S'agissant de « l'excellence » de la filière nucléaire française, plusieurs éléments relatifs notamment à la construction de l'EPR devraient inciter à une certaine prudence. Quant à votre exposé sur la réutilisation du MOX, il m'a paru quelque peu idyllique. Lorsque nous avons visité le site de La Hague et l'usine MELOX à Marcoule, nous avons été frappés par le nombre de dispositifs de surveillance mis en place par l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), compte tenu des risques de prolifération et de la dangerosité du plutonium. En outre, les questions de sécurité ne paraissent pas résolues : les missiles sol-air déployés à proximité du site de La Hague après les attentats du 11 septembre 2001 ont été retirés, sans que, semble-t-il, d'autres mesures soient prises. Dès lors, il est légitime de s'interroger : cela vaut-il la peine de prendre autant de risques ?
D'autant que cela ne rapporte rien : selon les études que le représentant d'EDF et vous-même avez citées – vous nous l'aviez d'ailleurs déjà dit lorsque nous avons visité le site de La Hague –, le stockage direct des déchets ne coûterait pas plus cher que leur retraitement et la fabrication du MOX. Si le choix entre ces deux options n'a pas d'impact sur la production d'électricité ni sur son coût, et que, dans votre vision même, l'économie française dans son ensemble ne retire aucun gain du retraitement et de la filière MOX – même si j'ai bien noté les implications non négligeables en termes de développement industriel et d'emploi –, la question des risques mérite d'être posée. EDF a d'ailleurs confirmé la dangerosité du MOX et les difficultés liées à son utilisation. Elle affirme maîtriser ces risques mais, malheureusement, cela ne s'est pas toujours aussi bien passé dans d'autres pays.
Par ailleurs, selon le directeur général de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), le retraitement et la fabrication du MOX n'ont de sens que si l'on construit un jour des réacteurs de quatrième génération. À cet égard, l'Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et l'IRSN nous ont indiqué qu'ils n'imaginaient pas de quatrième génération sans des améliorations en matière de sûreté, non seulement par rapport à Superphénix, dont les problèmes de sûreté n'avaient pas été résolus, mais aussi par rapport à la troisième génération et à l'EPR. Ainsi, selon une note qu'elle nous a transmise, « l'ASN considère que cette quatrième génération doit apporter un gain de sûreté significatif par rapport à la troisième génération et qu'ASTRID doit permettre de tester effectivement des options et dispositions de sûreté renforcée ». Quelles sont ces options et ces dispositions ?
De même, l'IRSN écrit à propos des réacteurs à neutrons rapides refroidis au sodium, dont fait partie ASTRID : « Des avancées notables sont nécessaires pour permettre une inspection en service des structures importantes pour la sûreté, les possibilités dans ce domaine se heurtant à la difficulté liée à l'opacité du sodium. » De telles inspections n'étaient pas possibles au sein de Superphénix. En outre, de nombreuses hypothèses d'accidents n'ont pas encore été discutées et, selon l'IRSN, il convient d'approfondir « la coulée des matériaux fondus ; la possibilité de les maintenir en cuve ; le déclenchement d'une explosion de vapeurs de sodium et son ampleur ; les transferts de radionucléides issus du combustible fondu au sodium du réacteur, à l'enceinte de confinement et à l'environnement ; la prévention des accidents d'endommagement sévère du coeur, notamment sa fusion ; les risques liés à la réactivité chimique violente du sodium avec l'air et avec l'eau ». Je suppose que vous travaillez sur ces questions avec le CEA, mais pouvez-vous nous en dire plus sur les réponses que vous pensez apporter ?
Dans la mesure où les réacteurs de quatrième génération devront permettre de recycler les matières et de réaliser un saut qualitatif en matière de sûreté, pourront-ils être compétitifs par rapport aux moyens alternatifs de production d'électricité ? Et à quelle échéance pourraient-ils voir le jour ? Le directeur général de l'IRSN a évoqué hier la fin du siècle en cours. Votre calendrier est-il plus « optimiste » que le sien ?