Intervention de Robert Durdilly

Réunion du 17 avril 2014 à 15h30
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Robert Durdilly, président de l'Union française de l'électricité, UFE :

L'UFE mène une réflexion de fond pour éclairer les décisions politiques. Afin d'évaluer l'impact de la transition énergétique sur le système électrique, les coûts de l'énergie, le bilan carbone et la balance commerciale, elle propose des scénarios contrastés sur le mix énergétique.

Je commencerai en abordant les grands enjeux et les objectifs de la transition énergétique avant d'évoquer la place du nucléaire dans le mix électrique au regard de ce nouveau paysage énergétique.

En matière de transition énergétique, l'objectif majeur est la lutte contre le changement climatique et la réduction des émissions de gaz à effet de serre. A cet égard, le nouveau rapport du GIEC est alarmant ; il montre que la progression des émissions continue et même s'accélère. Nous sommes face à un enjeu planétaire. En 2015, la France organise la COP21 dont l'issue est cruciale dans cette lutte. La France doit montrer un engagement sans faille en faveur des objectifs que j'ai rappelés. Il lui faut articuler sa politique autour d'une stratégie bas carbone, comme elle en a déjà exprimé l'intention, voire en devenir la vitrine. Pour ce faire, la France doit s'appuyer sur ses points forts : elle émet moins de 1 % des gaz à effet de serre dans le monde ; elle est très bien placée au niveau européen ; elle a réduit ses émissions de 13 % entre 1990 et 2011 grâce à son atout : un parc hydro-nucléaire faiblement carboné.

Nous devons néanmoins améliorer notre performance en matière de CO2. Cela suppose une stratégie bas carbone ambitieuse qui cible en priorité la consommation de pétrole – le pétrole représente 60 % des émissions de CO2 en France tandis que le fuel est la troisième source de chauffage – sur laquelle on a moins travaillé.

Deux leviers peuvent être mis au service de cette stratégie : le premier réside dans l'efficacité et l'intensité énergétique. Cette dernière, qui correspond à la performance intrinsèque des équipements, n'a cessé de s'améliorer, tirée par le progrès technique : les performances des LED sont cinq à six fois supérieures à celles des ampoules à incandescence. La marge de progression est encore importante, mais les améliorations sont conditionnées par la croissance économique. Il est donc crucial de maintenir une forte dynamique de croissance pour pouvoir capitaliser sur l'intensité énergétique. Quant à l'efficacité énergétique, elle doit être adaptée en fonction des exigences en matière de carbone et des coûts en recherchant une meilleure efficience.

Le deuxième levier tient à la réduction de la consommation de pétrole par des transferts d'usage vers des énergies décarbonées, principalement dans deux grands secteurs : le bâtiment, pour lequel les solutions existent, et le transport, encore en devenir mais qui compte de nombreuses filières porteuses.

Le transfert d'usage doit profiter aux énergies renouvelables thermiques, domaine dans lequel la France est le plus en retard et qui représente les deux tiers de ses objectifs en matière de développement des énergies renouvelables. Les pompes à chaleur, les co-générateurs et la biomasse constituent les principaux gisements.

Pour mettre en place cette stratégie, la France dispose de nombreux atouts : des filières industrielles en matière d'efficacité énergétique, des champions énergétiques nationaux et des compétences reconnues dans l'hydraulique, l'éolien offshore et le nucléaire. Elle est donc bien placée pour tirer parti de la transition énergétique.

Nous relevons avec satisfaction que, parmi les 34 plans de reconquête industrielle, 27 intéressent directement l'électricité, qu'il s'agisse de transfert d'usage, de gestion de la demande ou de stockage. Ces plans vont dans la bonne direction.

La transition énergétique ne peut pas être synonyme de repli ou de décroissance. Elle doit être un facteur de progrès.

S'agissant de la place du nucléaire, la politique énergétique s'inscrit nécessairement dans un temps long. Il faut être capable de se donner du temps pour réussir et pour lever les verrous technologiques. Les interrogations portent non pas sur le bien-fondé de la transition énergétique, mais sur ses modalités et son rythme.

Dans cette perspective, l'exploitation du parc existant, dans des conditions de sûreté optimale, est indispensable pour faire les bons choix. La prolongation du parc donne le temps de se préparer et de disposer des solutions technologiques de remplacement les plus performantes possibles.

Dans la gestion du temps, l'Allemagne est un contre-exemple car la trop grande rapidité d'exécution, en dépit d'objectifs louables, produit de l'inefficacité économique. En raison des choix qui ont été faits, de 2010 à 2013, les émissions de CO2 ont augmenté de 13 millions de tonnes par an, soit plus 40 % des émissions du parc de production électrique français. Au Danemark, malgré le développement des énergies renouvelables, le charbon représente encore 60 % de la production d'énergie. En revanche, la Suède offre un bon exemple : grâce à une stratégie bas carbone inscrite dans la durée, le mix électrique, composé de 58 % d'énergies renouvelables, 40 % de nucléaire et 2 % d'énergie fossile, est presque totalement décarboné. La compétitivité reste remarquable puisque le prix du mégawattheure est de l'ordre de 30 à 35 euros.

Plusieurs conditions et principes, qui relèvent presque du bon sens, doivent être respectés pour réussir : en premier lieu, il faut s'interdire de développer des moyens de production en l'absence de besoins, au risque de créer des surcapacités coûteuses pour la collectivité. Plusieurs pays européens sont en train d'en payer le prix. Dans la situation économique actuelle, cette préoccupation doit passer au premier plan et demande un pilotage sérieux.

En deuxième lieu, il convient d'agir en bon gestionnaire, d'une part, en privilégiant les solutions à bonne rentabilité, y compris dans les énergies renouvelables, par le choix de filières à maturité qui ne demandent pas de subventions ; d'autre part, en tirant parti des synergies européennes, sans toutefois se départir du souci de la sûreté du système électrique européen.

En troisième lieu, il faut adresser un signal prix-carbone, comme la Suède a su le faire. En l'absence de signal, l'arbitrage se fait en fonction du coût de l'énergie et le charbon en sort inévitablement vainqueur.

En conclusion, il est raisonnable de ne pas dresser les unes contre les autres les énergies qui composent le mix électrique. Il faut, au contraire, tirer profit de leur complémentarité. Il faut mener la transition énergétique dans la durée grâce à un pilotage intelligent, qui tienne compte des progrès technologiques et de l'évolution du marché de l'énergie, et parvenir ainsi à un mix de production équilibré, sécurisé, décarboné et au moindre coût pour la collectivité.

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