Intervention de Thierry Salomon

Réunion du 17 avril 2014 à 15h30
Commission d'enquête relative aux coûts passés, présents et futurs de la filière nucléaire, à la durée d'exploitation des réacteurs et à divers aspects économiques et financiers de la production et de la commercialisation de l'électricité nucléaire

Thierry Salomon, président de l'association négaWatt :

Vous avez raison. Aujourd'hui, on assiste à un bouleversement mondial et l'on s'aperçoit qu'en matière de régulation, et notamment de régulation sur le prix du carbone, on est loin du compte.

Nous prévoyons la maîtrise, à un niveau d'environ 500 TWh, du gaz d'origine fossile, à peu près jusqu'à 2030-2035. Ce gaz naturel, que l'on va retrouver sur la mobilité, sur le chauffage, sur la production d'électricité, servira de variable d'ajustement. Mais un phénomène de vases communicants se produira. On utilisera moins de gaz pour se chauffer parce que l'on mènera une politique d'efficacité et de sobriété ; de ce fait, il y aura davantage de molécules gaz utilisables pour des usages plus nobles. D'où cette relative stabilité.

La stabilité du gaz et la baisse considérable du pétrole et du charbon entraîneront évidemment une décarbonisation du système énergétique de l'ordre d'un facteur 15, uniquement sur les émissions de CO2.

La question de la décarbonisation fut abordée lors du débat sur la transition énergétique. Le « facteur 4 » est maintenant inscrit dans deux lois : la loi de programmation fixant les objectifs de la politique énergétique (loi POPE) de 2005 et la première loi Grenelle. Or très peu de scénarios aboutissent au « facteur 4 ». En réalité, s'agissant de l'émission de CO2 due à la combustion, il faudrait un facteur de réduction d'au moins 6 à 7 pour aboutir, en 2050, au « facteur 4 » tous gaz à effet de serre confondus. En effet, il sera beaucoup plus difficile de réduire les émissions de méthane et des autres gaz à effet de serre, notamment dans l'agriculture et l'industrie agroalimentaire. C'est donc bien le secteur énergétique qui servira de moteur pour diminuer l'ensemble de ces gaz et aboutir à un facteur élevé. Il est vraisemblable que le « facteur 4 », au travers des travaux du GIEC, est déjà dépassé. Enfin, par rapport à l'augmentation de la population à venir, le facteur de réduction à atteindre par habitant, est non pas de 4, mais de 5,3. L'enjeu est donc considérable.

Nous sommes des ingénieurs énergéticiens et tentons, dans un premier temps, de définir une trajectoire possible et réaliste en prenant en compte certains risques. Et depuis un an et demi que l'on débat sur la transition énergétique, ce scénario tient de plus en plus la route. Il a même été rejoint par d'autres sur certains points. Pour autant, nous nous sommes dit qu'il fallait aller un peu plus loin sur le plan économique. Trois études ont donc été réalisées, non pas par nous, mais en partie à partir de données que nous avons fournies.

La première montre qu'il y a un potentiel de création d'emplois pérennes dans le secteur de la transition énergétique. Le volume d'emplois créé sera en effet maintenu, dans la mesure où les technologies utilisées requièrent certains emplois, notamment en matière d'exploitation.

La seconde, qui sera publiée d'ici à quelques semaines, a été faite sur un modèle macroéconomique, le modèle ThreeMe, qui a été développé par l'ADEME et l'OFCE. L'ADEME a eu pour mission d'étudier l'ensemble des scénarios, dans le cadre du débat national sur la transition énergétique (DNTE), au travers des différentes trajectoires. L'une des trajectoires s'appelle SOB, pour sobriété, et reprend très exactement les valeurs de négaWatt.

Les résultats sont très intéressants. Le scénario développé par cette étude est marqué, sur la phase 2010-2035, par une croissance de l'activité, de l'ordre de 4 à 5 points de PIB, puis par une stabilisation. On aboutit en quelque sorte à un équilibre du pouvoir d'achat et du revenu disponible des ménages. Autrement dit, dans ce modèle, la baisse de la facture énergétique compensera les investissements et le taux de chômage baissera, essentiellement à partir du moment où la transition commencera à s'opérer, c'est-à-dire vers 2030.

Une baisse considérable de la facture énergétique, pétrolière et gazière, bien que progressive, permettra de retrouver des fondamentaux macro économiques beaucoup plus acceptables que maintenant : baisse de la facture énergétique et, derrière, baisse de la dette de la Nation.

Ce scénario montre une voie possible. La transition énergétique n'est pas seulement le fait de choisir telle ou telle énergie. C'est aussi un modèle économique sur lequel il faudra continuer à travailler. En effet, certains modèles ne reflètent pas encore tous les bénéfices que l'on peut en attendre sur le temps de travail et sur le passage vers une société de services, notamment en termes de mobilité et de transports.

Enfin, une analyse a été publiée, dans le cadre du débat sur la transition énergétique, par le groupe de travail sur les investissements et sur les coûts, puis par le groupe de travail numéro 2 sur les trajectoires.

Quatre trajectoires possibles ont été comparées : la trajectoire DEC, avec plus de 50 % de nucléaire ; la trajectoire DIV, reprise d'un des scénarios de l'ANCRE ; la trajectoire EFF, reprise du scénario de l'ADEME dans sa version 2050 ; et la trajectoire SOB issue du scénario négaWatt.

On constate un niveau d'investissement actuel sur l'énergie de l'ordre de 37 milliards d'euros, et une montée, sur l'ensemble des scénarios, entre 50 et 6569 milliards d'euros – autrement dit, un différentiel de l'ordre de 20 à 30 milliards d'euros annuels. Lorsque l'on fait un calcul rapide cumulé, le niveau d'investissement se situe entre 2 200 et 2 400 milliards d'euros jusqu'à 2050.

Par ailleurs, dans le scénario de référence, le cumul de la facture énergétique s'élève à 4 500 milliards d'euros sur la période, tandis que dans les quatre scénarios de transition, il varie entre 2 000 et 2 900 milliards d'euros. Il est intéressant de constater que dans le scénario négaWatt, SOB, l'investissement est un peu plus important que les autres sur certaines années – notamment sur la phase de transition 2020-2040 ; évidemment, la réduction de la facture énergétique est, elle aussi, plus importante. Ce scénario aboutit à un écart de 800 milliards d'euros par rapport à des scénarios avec plus de 50 % de nucléaire, comme le scénario DEC.

On peut prendre ces chiffres « pour argent comptant ». Ce n'est pas nous qui les avons établis : ils résultent d'un travail du DNTE, piloté par Dominique Dron, commissaire générale au développement durable. Je pense que vous serez d'accord avec moi pour dire qu'il faut aller encore plus loin et que les quelques semaines de travail qui ont été consacrées à ces scénarios ne sont sans doute pas suffisantes. Nous avons vraiment besoin d'une feuille de route. Quoi qu'il en soit, et pour répondre avec retard à votre question d'il y a quelques années : oui, la trajectoire énergétique est faisable ; oui, d'après ces analyses, un modèle économique semble tenir la route.

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