Ma collègue a raison de faire cette précision, mais les violences conjugales étaient au coeur de la mission parlementaire sur les violences faites aux femmes et de la loi du 9 juillet 2010 ; elles le sont également dans le projet de loi sur l'égalité femmes-hommes, en cours d'examen par le Parlement. Les violences conjugales représentent au moins 30 % de l'activité d'un juge des enfants : 30 % des enfants délinquants sont des enfants victimes de violences conjugales ; 30 % des dossiers d'assistance éducative d'un juge des enfants sont des dossiers de violences conjugales. Il faut pouvoir, dans l'intérêt général, prendre en compte ce fait – ce que vous avez parfaitement réussi à faire jusqu'à aujourd'hui en traitant les violences conjugales dans l'ensemble du droit de la famille.
La tendance actuelle est de ramener les violences conjugales à une forme de conflit. Intellectuellement, tout le monde est d'accord pour dire que les violences conjugales sont différentes d'un conflit, mais dans la pratique, on a tendance à faire de la médiation, à demander aux parents de s'entendre. C'est le problème de cette proposition de loi.
S'agissant de l'autorité parentale et de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, les auteurs de ce texte ont estimé devoir préciser la distinction entre les actes usuels et les actes non usuels. Jusqu'à aujourd'hui, le droit civil ayant entretenu sur l'exercice conjoint de l'autorité parentale une certaine forme d'ambiguïté, avec la présomption d'accord à l'égard des tiers de bonne foi, la société s'est accommodée du fait qu'un parent peut faire seul les actes usuels. Ce n'est pas exactement ce que dit l'exercice conjoint de l'autorité parentale.
Les articles 3 et 4 de cette proposition de loi précisent que tout acte de l'autorité parentale, quel qu'il soit, doit être pris par les deux parents ensemble. Cela était vrai avant, mais cette précision est dangereuse. En effet, elle dit expressément que le parent avec lequel vit l'enfant doit prendre son téléphone et demander l'accord, l'autorisation de l'autre parent pour tout : un goûter d'anniversaire, un rendez-vous chez le dentiste, un changement d'horaire… Pour un auteur de violences conjugales, pour un parent qui veut perpétuer l'emprise sur l'autre parent et sur l'enfant, cette disposition est un trésor, elle est un argument juridique pour maintenir son emprise sur la famille.
Historiquement, nous nous sommes mis dans une situation difficile. La loi du 22 juillet 1987, dite « Malhuret », a aboli la conjonction entre la garde de l'enfant et l'exercice de l'autorité parentale. À juste titre, et je le comprends. Mais depuis cette date nous estimons que la séparation des parents – le code civil le dit expressément – est sans incidence sur l'exercice de l'autorité parentale. Cela est très bien, mais n'est possible que si l'on s'entend sur une sorte de malentendu selon lequel certains actes peuvent être accomplis par un seul parent. Ou alors il faut que la loi soit extrêmement volontariste, claire, sur un pendant de cet exercice conjoint de l'autorité parentale absolutiste qui est le développement de l'exercice exclusif de l'autorité parentale, c'est-à-dire qu'un seul des deux parents exerce l'autorité parentale. Cela est extrêmement résiduel dans nos décisions.
L'exercice de l'autorité parentale est une arme pour un parent qui veut nuire à l'autre, spécialement dans les situations de violences conjugales : c'est un droit de veto. Sur les violences conjugales, vous avez auditionné un très grand nombre de psychologues et de pédopsychiatres. Comme ils vous l'ont certainement expliqué, il suffit que l'un des parents refuse que son enfant aille voir un pédopsychiatre pour que le praticien engage sa responsabilité professionnelle s'il maintient les soins. Cette proposition de loi va encore plus loin en ce sens.
La loi actuelle dit que si l'intérêt de l'enfant le commande, le juge aux affaires familiales peut confier l'exercice de l'autorité parentale à l'un des deux parents. Il faudrait, au minimum, accentuer ce mouvement.