La Délégation procède à l'audition, sous forme de table ronde, de M. Edouard Durand, magistrat formateur à l'École nationale de la magistrature, de Mme Nadège Bossard, juge aux affaires familiales près le tribunal de grande instance du Mans, de Mme Nathalie Tomasini et de Mme Janine Bonaggiunta, avocates, sur la proposition de loi relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant (n° 1856).
La séance est ouverte à 14 heures 10.
Suite au report du projet de loi sur la famille, M. Erwann Binet et Mme Marie-Anne Chapdelaine ont rédigé cette proposition de loi relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant qui, malheureusement, ne dit rien sur les violences dans le couple. Au surplus, l'exposé des motifs – que nous ne pouvons pas modifier – comporte des phrases qui me désolent.
Mme Ernestine Ronai, coordinatrice nationale « violences faites aux femmes » de la Mission interministérielle pour la protection des femmes victimes de violences et la lutte contre la traite des êtres humains (MIPROF) nous a fait part de son inquiétude sur cette proposition de loi et son exposé des motifs qui, comme elle nous l'a expliqué, risquent de donner un coup de frein à la loi relative aux violences dont l'application par les magistrats commence à donner de bons résultats.
Aussi la Délégation souhaite-t-elle amender cette proposition de loi pour qu'il soit tenu compte des violences dans le couple, s'agissant notamment de la médiation familiale. Je vous propose donc, mesdames, monsieur, de nous faire part de vos observations sur l'économie générale de ce texte, puis de nous proposer éventuellement des améliorations.
Aux termes de la proposition de loi, le juge peut enjoindre les parents de prendre part à des séances de médiation familiale. Il faut faire confiance au juge qui, d'ores et déjà, en tenant compte des cas de violences ou d'emprise d'un des parents sur l'autre, ne propose pas toujours la médiation. Ce texte développe la médiation, et j'y suis favorable, mais sans abroger les dispositions actuelles, notamment sur l'ordonnance de protection. Il est donc possible de conjuguer l'ensemble de ces dispositifs.
D'ores et déjà, le juge a la possibilité d'enjoindre aux personnes de suivre une séance d'information sur la médiation, entretien au cours duquel la médiation peut commencer. Les nouvelles dispositions prévoyant que le juge peut imposer des séances permettront le développement de la médiation familiale, alors que les résultats sont actuellement limités sur l'injonction et la médiation familiale que le juge peut ordonner après les débats. En effet, la difficulté est que le délai de convocation étant de deux à six mois selon les juridictions, le conflit peut s'envenimer entre-temps, d'où l'intérêt de faire commencer la médiation le plus tôt possible dans le processus judiciaire, c'est-à-dire dès notre saisine.
C'est ainsi que nous développons au Mans la pratique d'une médiation entre la saisine et la date d'audience, c'est-à-dire pendant le délai de convocation – ce qui a déjà été initié avec le principe de la double convocation. Pour notre part, nous ne convoquons pas systématiquement les personnes : le juge analyse d'abord la requête, puis sélectionne les dossiers qu'il envoie en médiation en fonction de la nature du litige. Par conséquent, si des éléments de violences apparaissent dans la requête, nous n'envoyons pas les personnes en médiation.
À ce stade – entre la saisine et la convocation –, êtes-vous saisis d'une demande de divorce ?
La médiation que nous développons concerne les procédures hors et après divorce, c'est-à-dire les requêtes modificatives après un jugement de divorce, et les requêtes déposées par des parents non mariés qui nous saisissent très rapidement après leur séparation, lesquelles concernent souvent de très jeunes enfants.
Pour une procédure de divorce, à quel moment la médiation a-t-elle lieu ? Est-il vrai que des juges aux affaires familiales peuvent instruire un divorce en ignorant l'existence de violences ?
Oui, mais dans la mesure où il y a une ordonnance de protection…
On le saura, car les mesures mentionnées sur l'ordonnance de protection sont prises pour une durée de quatre mois, et la femme doit déposer une requête en divorce. En fait, tout dépend des juridictions et de leur organisation ; je suis dans une juridiction de taille moyenne, donc nous le savons.
Lors de l'audience de tentative de conciliation, l'intérêt de l'enfant est pris en compte : les mesures relatives à l'enfant sont débattues, et l'avocat de la victime de violences conjugales indique l'impact de celles-ci au regard de la situation de l'enfant. Nous traitons donc ces violences sur le plan des mesures relatives à l'enfant.
On parle de faits avérés, pour lesquels une ordonnance de protection est prise. Or dans la plupart des cas, une simple main courante a été déposée. Comment savoir au moment de la médiation si une main courante a été déposée et, ainsi, éviter la médiation ?
Au stade de la requête en divorce, le magistrat n'a pas connaissance de l'existence des violences. C'est au moment des débats que l'avocat de la femme violentée met en exergue l'existence de violences pour protéger les enfants. En effet, on ne peut pas évoquer les griefs entre les époux au premier stade du divorce.
Au moment de l'audience de non-conciliation, l'avocat prend donc la décision de porter à la connaissance du magistrat l'existence de violences pour lui permettre de statuer au mieux sur la résidence et le droit de visite et d'hébergement des enfants (DVH). C'est uniquement dans ce cas de figure que le magistrat est alerté par les avocats de l'existence des violences. Ceux-ci se fondent sur l'article 373-2-11 du code civil qui précise les critères sur lesquels s'appuie le magistrat pour fixer la résidence et le droit de visite et d'hébergement, à savoir l'âge de l'enfant, la pratique antérieure des parents, l'aptitude de chacun des parents à assumer ses devoirs, ainsi que les pressions ou violences exercées par l'un des parents sur l'autre. Or cette proposition de loi évacue totalement l'existence de ces critères, si bien que la règle sera la garde alternée, quel que soit le problème !
Non. Il y a une différence entre l'exposé des motifs, qui prévoit la garde alternée, et la rédaction du code civil telle que proposée par l'article 7 de la proposition de loi qui ne prévoit pas la garde alternée obligatoire. C'est toute la difficulté : nous aimerions amender l'exposé des motifs, mais nous ne le pouvons pas.
Madame la présidente, vous me permettrez de ne pas partager votre satisfaction toute relative sur la question de la résidence alternée. De façon plus générale, je serai sans doute dans un positionnement assez différent de celui de ma collègue. Je suis en effet extrêmement inquiet de cette proposition de loi.
Il faut avoir conscience que cette proposition de loi remet en cause toute la cohérence du dispositif que vous avez vous-mêmes créé depuis la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, votée après les travaux menés au sein de l'Assemblée nationale dans le cadre de la mission d'évaluation de la politique de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes .
Quant à l'exposé des motifs, il est un instrument juridique, et pas seulement le développement d'un point de vue de personnalités. Pour prendre un exemple très emblématique, en tout cas très cher à mon coeur, je fais étudier aux auditeurs de justice à l'École nationale de la magistrature l'exposé des motifs de l'ordonnance du 2 février 1945 sur l'enfance délinquante comme fondant la doctrine française sur la justice pénale des enfants. C'est un texte qui fonde une doctrine, et il en sera de même de cette proposition de loi dont l'exposé des motifs, dans ses ambiguïtés et dans ses affirmations, est extrêmement net sur la volonté de saper la cohérence du dispositif que vous avez porté au sein de cette Délégation.
Je ferai quelques développements généraux, avant d'aborder les articles.
Dans l'ensemble et dans le détail, ce texte est extrêmement dangereux. En tant que juge des enfants, j'affirme qu'il est dangereux pour les enfants et qu'il sera extrêmement compliqué pour les praticiens et pour vous-mêmes comme représentants de la société de promouvoir une lutte cohérente contre les violences conjugales. En effet, on ne peut pas dire tout et son contraire en même temps ! On ne peut pas dans une session de formation sur les affaires familiales, par exemple, défendre en même temps une chose et son contraire ! Sinon, on rend les acteurs fous, on ne permet plus de penser.
À mon sens, ce texte manie très bien les ambiguïtés, et d'abord sur la résidence, que vous venez d'évoquer. Dire expressément dans l'exposé des motifs que la résidence alternée doit être prioritaire, comme l'ont fait de façon récurrente des propositions de loi depuis plusieurs années, puis dans le texte de loi que la notion de résidence habituelle n'existe même plus, c'est entretenir une confusion très volontaire ! Je suis très fier de la fonction que j'exerce, je fais une immense confiance aux magistrats, mais ils se retrouveront en grande difficulté s'ils doivent appliquer une loi incohérente. Ensuite, les dispositions sur la médiation et sur l'autorité parentale et l'exercice de l'autorité parentale sont, s'agissant des violences conjugales, extrêmement dangereuses. En outre, les dispositions sur les actes usuels et non usuels vont mettre les familles en grande difficulté.
Ce texte est conçu sur un modèle unique : le modèle des couples qui s'entendent. J'ignore si c'est volontaire ou involontaire, mais il prend comme modèle de situation familiale les familles qui n'ont pas besoin d'une norme puisqu'il y a du respect. Comme juge des enfants, je suis un ardent militant de la coparentalité, je sais combien il est essentiel pour un enfant que ses deux parents s'entendent et qu'ils puissent pour lui prendre ensemble des décisions. Cependant, il y a des situations dans lesquelles la coparentalité n'est pas possible.
Si la coparentalité est un principe, ce principe n'a de sens que si nous lui réservons des exceptions. Or ce texte balaie cela d'un revers de main. Une tendance assez récente guide toute la pensée sur le droit de la famille, avec l'idée d'une coparentalité paradoxalement entendue depuis la loi de 2002 comme la restauration du droit du père suite à la loi du 4 juin 1970. Or ce qui est fragile dans le droit de la famille, ce sont la place de l'enfant et la place de la mère.
Comme le disait le doyen Jean Carbonnier, la coparentalité est la nostalgie de l'indissolubilité du mariage. Mme Ernestine Ronai vous a sans doute parlé de la notion de « parentalité parallèle » et du risque lié à la séparation prématurée du conjugal et du parental. L'idéologie qui gouverne le droit de la famille est celle-ci : votre vie de couple s'est mal passée, mais vous devez rester parent ensemble. Cela n'est vrai que dans un certain nombre de situations, et tout n'est pas conflit dans la famille. Un conflit met en présence deux personnes qui sont à égalité et capables de faire valoir leur point de vue par le langage et, éventuellement, par la médiation. Les deux situations qui ne sont pas de l'ordre du conflit sont l'absence et les violences conjugales.
Ce texte, dans son exposé des motifs, se fonde sur le constat de l'absence des pères auprès des enfants entendus comme victimes de la séparation. Cela me paraît paradoxal et déresponsabilisant. En effet, comme juge des enfants, je sais que les pères sont très peu présents dans la vie des familles et que cela est une décision de leur part. Comme le montre d'ailleurs l'étude réalisée récemment par la chancellerie sur les décisions des juges aux affaires familiales, la quasi-totalité des décisions rendues par les juges aux affaires familiales (JAF) le sont avec l'accord des pères, c'est-à-dire qu'elles correspondent à leur demande. Je le dis clairement : des lobbies minoritaires sont en train de créer pour les pères eux-mêmes une injonction paradoxale, un modèle du bon père qui demande la résidence alternée, alors qu'elle ne correspond pas à la demande des familles. Cela va produire, à mon sens, une situation très dangereuse en conduisant les familles dans un infra droit, un droit en deçà de la décision du juge aux affaires familiales.
Cette question est liée au statut des beaux-parents, qui est nécessaire, point de vue que je soutiens depuis plusieurs années. L'exposé des motifs de la proposition de loi cite l'étude de l'INED ; certes, la relation père-enfant se dégrade en cas de séparation, mais l'étude « Désunion et paternité » d'octobre 2012 du Centre d'analyse stratégique montre que, y compris pendant la vie commune, l'investissement des pères à l'égard des enfants reste en retrait dans la sphère familiale ! D'où le besoin de recourir aux belles-mères et aux grands-mères.
Par ailleurs, il me semble assez problématique que cette proposition de loi traduise ce que j'appelle une conception procédurale des relations familiales.
En premier lieu, nous sommes en présence d'une double injonction paradoxale : l'injonction de s'entendre et l'injonction de recourir à un moyen pour s'entendre qui est la médiation familiale. Je trouve paradoxal que la loi se donne les moyens de prohiber la médiation pénale dans les situations de violences conjugales, tout en encourageant la médiation familiale, laquelle me paraît plus inappropriée encore que la médiation pénale aux violences conjugales. En effet, si la médiation pénale est une violence institutionnelle à l'égard de victimes, elle a le mérite de se centrer sur l'infraction de violences conjugales. La médiation familiale, elle, a pour objet la parentalité. Elle évacue de ce fait la question des violences comme fait significatif et central. En ce sens, elle est plus inadaptée.
En second lieu, et c'est une conviction profonde que j'exprime, la référence à l'intérêt de l'enfant est entendue dans une appréciation exclusivement subjective, c'est-à-dire que l'intérêt de l'enfant est un outil procédural pour justifier la décision que le juge estime la meilleure. En l'état du droit, c'est ainsi que l'on conçoit l'intérêt de l'enfant : un juge estimera que l'intérêt de l'enfant est de résider chez son père et d'aller chez sa mère un week-end sur deux et la moitié des vacances scolaires ; et un autre estimera que l'intérêt de ce même enfant est la résidence alternée.
Comme juge des enfants, je pense que l'intérêt de l'enfant est autre chose, qu'il doit être objectivé. L'intérêt de l'enfant est la prise en compte de ses besoins fondamentaux, identiques pour tous les enfants selon le développement de leur personnalité et leur âge : le besoin de sécurité, le besoin de stabilité. On ne peut pas fonder un droit sur une conception subjective de l'intérêt de l'enfant. Cette ambiguïté figure dès le deuxième paragraphe de l'exposé des motifs : « Le droit de la famille doit s'adapter à ces nouvelles configurations familiales, dans l'intérêt de l'enfant qui est la pierre angulaire de la présente proposition de loi ». Je vous dis le fond de ma pensée : ce texte signifie que l'intérêt de l'enfant doit s'adapter à ces nouvelles configurations familiales. Il eût fallu écrire : « Le droit de la famille doit s'adapter à l'intérêt de l'enfant entendu comme la prise en compte de ses besoins fondamentaux ». Vous avez compris toute la dangerosité de ce texte de loi.
L'exposé des motifs contient cette autre phrase très dangereuse : « Avec la médiation notamment, la proposition de loi offre des solutions pour permettre la résolution des conflits dans toutes les situations que les familles peuvent connaître : conflits parentaux, divorces, séparations, recompositions familiales... » Nous pensons, nous, que les violences ne sont pas des conflits.
Dans les violences conjugales, la situation est extrêmement déséquilibrée, avec une femme faible victime et un homme qui est souvent un bourreau, pour ne pas dire un monstre. Par conséquent, la médiation est impossible dans ces cas-là. Elle est souvent proposée et acceptée par nos clientes, mais elle se solde par un échec, si bien que les femmes se sentent encore plus victimes, n'étant pas reconnues dans leurs souffrances devant le médiateur qui a tendance à estimer qu'elles en font trop…
À mon sens, la loi doit être rédigée dans l'intérêt général, et non uniquement sous le prisme des violences. Elles existent, nous en tenons compte, mais elles ne sont pas la norme.
La norme, c'est la femme émancipée ou la femme qui veut s'émanciper des contraintes familiales en demandant que le père de ses enfants se rende disponible pour eux comme elle le fait elle-même. La tendance actuelle est la coparentalité, qui permet l'équilibre entre l'homme et la femme dans la vie familiale et dans la société dans l'intérêt l'enfant.
Ma collègue a raison de faire cette précision, mais les violences conjugales étaient au coeur de la mission parlementaire sur les violences faites aux femmes et de la loi du 9 juillet 2010 ; elles le sont également dans le projet de loi sur l'égalité femmes-hommes, en cours d'examen par le Parlement. Les violences conjugales représentent au moins 30 % de l'activité d'un juge des enfants : 30 % des enfants délinquants sont des enfants victimes de violences conjugales ; 30 % des dossiers d'assistance éducative d'un juge des enfants sont des dossiers de violences conjugales. Il faut pouvoir, dans l'intérêt général, prendre en compte ce fait – ce que vous avez parfaitement réussi à faire jusqu'à aujourd'hui en traitant les violences conjugales dans l'ensemble du droit de la famille.
La tendance actuelle est de ramener les violences conjugales à une forme de conflit. Intellectuellement, tout le monde est d'accord pour dire que les violences conjugales sont différentes d'un conflit, mais dans la pratique, on a tendance à faire de la médiation, à demander aux parents de s'entendre. C'est le problème de cette proposition de loi.
S'agissant de l'autorité parentale et de l'exercice conjoint de l'autorité parentale, les auteurs de ce texte ont estimé devoir préciser la distinction entre les actes usuels et les actes non usuels. Jusqu'à aujourd'hui, le droit civil ayant entretenu sur l'exercice conjoint de l'autorité parentale une certaine forme d'ambiguïté, avec la présomption d'accord à l'égard des tiers de bonne foi, la société s'est accommodée du fait qu'un parent peut faire seul les actes usuels. Ce n'est pas exactement ce que dit l'exercice conjoint de l'autorité parentale.
Les articles 3 et 4 de cette proposition de loi précisent que tout acte de l'autorité parentale, quel qu'il soit, doit être pris par les deux parents ensemble. Cela était vrai avant, mais cette précision est dangereuse. En effet, elle dit expressément que le parent avec lequel vit l'enfant doit prendre son téléphone et demander l'accord, l'autorisation de l'autre parent pour tout : un goûter d'anniversaire, un rendez-vous chez le dentiste, un changement d'horaire… Pour un auteur de violences conjugales, pour un parent qui veut perpétuer l'emprise sur l'autre parent et sur l'enfant, cette disposition est un trésor, elle est un argument juridique pour maintenir son emprise sur la famille.
Historiquement, nous nous sommes mis dans une situation difficile. La loi du 22 juillet 1987, dite « Malhuret », a aboli la conjonction entre la garde de l'enfant et l'exercice de l'autorité parentale. À juste titre, et je le comprends. Mais depuis cette date nous estimons que la séparation des parents – le code civil le dit expressément – est sans incidence sur l'exercice de l'autorité parentale. Cela est très bien, mais n'est possible que si l'on s'entend sur une sorte de malentendu selon lequel certains actes peuvent être accomplis par un seul parent. Ou alors il faut que la loi soit extrêmement volontariste, claire, sur un pendant de cet exercice conjoint de l'autorité parentale absolutiste qui est le développement de l'exercice exclusif de l'autorité parentale, c'est-à-dire qu'un seul des deux parents exerce l'autorité parentale. Cela est extrêmement résiduel dans nos décisions.
L'exercice de l'autorité parentale est une arme pour un parent qui veut nuire à l'autre, spécialement dans les situations de violences conjugales : c'est un droit de veto. Sur les violences conjugales, vous avez auditionné un très grand nombre de psychologues et de pédopsychiatres. Comme ils vous l'ont certainement expliqué, il suffit que l'un des parents refuse que son enfant aille voir un pédopsychiatre pour que le praticien engage sa responsabilité professionnelle s'il maintient les soins. Cette proposition de loi va encore plus loin en ce sens.
La loi actuelle dit que si l'intérêt de l'enfant le commande, le juge aux affaires familiales peut confier l'exercice de l'autorité parentale à l'un des deux parents. Il faudrait, au minimum, accentuer ce mouvement.
La loi permet au juge de prononcer l'exercice exclusif de l'autorité parentale lorsque l'intérêt de l'enfant le commande. Nous sommes amenés à le faire dans des situations de violences conjugales.
Madame le juge, nous n'obtenons jamais l'autorité parentale exclusive, sauf dans un cas exceptionnel qui est l'incarcération du père pour violences ! Dans les autres cas, quand nous osons demander l'autorité parentale exclusive, le juge nous rétorque : « Maître, c'est un problème de couple, n'en rajoutez pas ».
Dans cette proposition de loi, « l'accord exprès » nous pose problème : nous ne comprenons pas ce que cela signifie – doit-il être écrit, faut-il passer devant un juge ?... Sans compter que cette disposition conduira à d'énormes blocages. Il faudra l'accord exprès de l'autre conjoint pour déménager, après un mariage ou en cas de changement professionnel, par exemple ! En ce sens, cette proposition de loi traduit une limitation de la liberté d'aller et venir.
Je rejoins totalement M. le juge des enfants : l'intérêt de l'enfant est totalement oublié. Selon moi, seuls les spécialistes qui examinent l'enfant peuvent déterminer l'intérêt de ce dernier. Au demeurant, il s'agit d'un contentieux extrêmement compliqué, qui nécessiterait à mon sens la présence de magistrats spécialisés.
Je suis également d'accord avec M. le juge des enfants : l'accent est mis sur le principe de l'égalité des droits entre les parents, au détriment de l'intérêt de l'enfant. Après l'introduction de l'autorité parentale conjointe et du sacro-saint principe de coparentalité, cette proposition de loi va plus loin, en faisant de l'exceptionnel la norme, et en oubliant l'intérêt de l'enfant. L'exceptionnel, c'est une séparation où les conjoints sont matures et respectueux. Cela peut être aussi un couple où la fonction purement maternelle n'existe pas car il y a deux pères. Le mariage pour tous a été voté et, en lisant entre les lignes, on ne trouve nulle part ni la notion de père, ni la notion de mère.
Comment feront les femmes qui souhaitent allaiter leur enfant jusqu'à dix-huit mois si la résidence alternée devient la norme ?
Tel est pourtant l'esprit de cette proposition de loi, comme l'a souligné M. le juge des enfants.
Certes, il existe un lobby des pères, mais il y a aussi une spécificité maternelle, une fonction maternelle. Comme l'a indiqué le garde des sceaux en 2007, l'intérêt du très jeune enfant doit être pris en compte également. Ce n'est pas ce que fait ce texte.
Ensuite, je voudrais revenir sur l'adjectif « usuel », en mettant de côté les violences conjugales. En effet, même en cas de conflit, très peu de couples se séparent en bonne intelligence. En exigeant l'accord de chacun des protagonistes pour tous les actes de la vie courante, usuels ou importants, cette proposition de loi entraînera des blocages épouvantables.
Au surplus, et ma consoeur a raison, on ne sait pas ce que signifie « exprès ». Aura-t-on besoin d'un écrit ou pas ? Et dans l'hypothèse où il n'y aura pas d'accord, quelles seront les sanctions ?
Avec une telle disposition, une femme qui souhaite déménager ne pourra pas le faire si le père n'est pas d'accord.
Cela s'appelle l'emprise.
Effectivement, si le conjoint est dans le conflit, et a fortiori violent et manipulateur, la femme ne pourra pas déménager à la suite d'une promotion professionnelle, par exemple.
Enfin, aux termes de cette proposition de loi, le juge pourra enjoindre les époux à suivre une médiation familiale. Actuellement, certaines de nos clientes, auxquelles le magistrat a enjoint de suivre une médiation familiale, se sont rendues au premier rendez-vous pour dire que cela n'était pas possible en raison des violences qu'elles subissent, et lorsque nous sommes revenues devant le magistrat, celui-ci les a critiquées au motif qu'elles n'avaient pas joué le jeu ! Cette disposition traduit une vraie volonté, elle affirme que la médiation familiale est la bonne solution. Mais c'est faux ! Ce n'est pas comme cela qu'il faut procéder, d'autant plus que la politique pénale en matière de violences conjugales proscrit la médiation pénale ! Il serait donc totalement incohérent d'enjoindre la médiation familiale au niveau civil !
S'agissant de l'article 4, nous envisageons de l'amender en ajoutant que l'accord de l'autre parent n'est pas requis lorsqu'il a été condamné, ou dès l'ordonnance de protection ou son dépôt, ou dès la plainte.
Madame la présidente, je salue votre détermination, mais c'est l'économie du texte qui pose problème, c'est la succession des alinéas à laquelle il est procédé de façon extrêmement cohérente !
La rédaction de l'article 4 est extrêmement cohérente dans le souci de gommer les problèmes. La manière d'évoquer les violences conjugales dans ce texte est dangereuse à plusieurs titres. En effet, on ne réserve les violences conjugales comme exception que dans deux cas particuliers : le changement de résidence et le changement d'établissement scolaire.
Or si le législateur estime que, en cas de violences conjugales, il n'est pas possible de recueillir l'accord des deux parents pour le changement de résidence et le changement d'établissement scolaire, il n'est pas possible non plus de l'imposer pour le judo ou la clarinette. C'est la question de l'exercice exclusif de l'autorité parentale ou de l'autorisation de faire seul les actes usuels accordée au parent chez qui l'enfant réside.
C'est pourquoi la partie sur la résidence – qu'on ne sait plus comment appeler – est cohérente avec le reste.
L'autre point que je voudrais souligner de façon très nette est que la référence à la condamnation est un piège. Je salue votre volonté d'essayer de dépasser ce piège, mais cela n'est pas possible en laissant les choses en l'état. Certes, amender l'article en ajoutant l'ordonnance de protection est une idée intéressante, mais, et vous l'avez rappelé tout à l'heure, les violences conjugales sont des problèmes très fréquents et très graves, or les statistiques officielles du ministère sont, je crois, d'une plainte pour dix faits !
Par conséquent, il ne faut pas lier la qualification des violences conjugales à une décision pénale, cela est extrêmement dangereux. Tout magistrat a reçu pour mandat de qualifier juridiquement les faits dont il est saisi, et il n'est pas possible de réserver à un autre cette fonction. Je m'explique.
Comme juge des enfants en assistance éducative, je suis chargé de qualifier le danger au sens de l'article 375 du code civil. Dans le cadre d'une audience, je reçois le père et la mère, assistés de leur avocat respectif, et l'enfant. Après avoir laissé parler les parties, je constate qu'il s'agit d'un dossier de violences conjugales. J'évoque les violences conjugales, mais l'avocate du père m'interrompt pour dire : « Monsieur le juge, nous sortons de chez le juge aux affaires familiales, qui a rejeté la demande de la mère du référé expulsion du conjoint violent » (dispositif existant avant l'ordonnance de protection aux termes de l'ancien article 220-1 du code civil). Je lui réponds alors : « Pardon, moi aussi, je suis juge, et chargé de qualifier le danger, or les violences conjugales sont une cause du danger et je les prends en compte ».
Deuxième exemple, et je pense que je ne serai pas contredit par les autres juges des enfants de France : il nous arrive de maintenir une mesure de placement d'un enfant pour le protéger, alors que l'un ou les deux parents ont obtenu au pénal une relaxe, un non-lieu ou un acquittement pour des faits de maltraitance sur l'enfant. En clair, le dossier pénal n'a pas permis d'aboutir à la condamnation de l'auteur de l'agression sur l'enfant, mais le juge des enfants et les services de protection excluent que l'enfant soit remis à ses parents. Vous connaissez le genre de dossier dont je parle. Les violences conjugales sont des problèmes de même nature !
Vous avez parfaitement raison, monsieur le juge : ce n'est pas parce qu'une ordonnance de protection est refusée qu'il n'y a pas de violences conjugales. Une ordonnance de protection n'est pas accordée facilement : il faut une plainte et un certificat médical récents. Or, une femme victime ne va pas systématiquement déposer plainte dans les 48 heures ni voir son médecin au plus vite. Et bien souvent, sans cette ordonnance de protection, nous n'obtenons pas les mesures visant à protéger les femmes et les enfants.
Madame la juge, la fin du dernier alinéa de l'article 4 est ainsi rédigée : « Toutefois, l'accord de l'autre parent n'est pas requis lorsque celui-ci a été condamné soit comme auteur, coauteur ou complice d'un crime ou délit sur la personne du parent qui souhaite changer la résidence ou l'établissement scolaire de l'enfant ». Nous souhaiterions que ne soit pas non plus requis l'accord de l'autre parent qui a été condamné comme auteur, coauteur ou complice d'un crime ou d'un délit sur la personne de l'enfant.
Cela m'amène à cette question : d'ores et déjà, retirez-vous ou suspendez-vous l'autorité parentale de celui qui a été condamné pour actes criminels ou délictueux sur la personne de son conjoint ?
Pas systématiquement. Le juge ne se saisit pas lui-même, il est saisi par la victime.
L'autorité parentale exclusive n'est pas automatiquement accordée.
Mais en tant que juge aux affaires familiales, avez-vous le droit de suspendre l'autorité parentale ?
Si la filiation de l'enfant est établie dans l'année de sa naissance, ou pour un enfant né dans le cadre du mariage, le principe est l'exercice conjoint de l'autorité parentale. A contrario, si le père reconnaît son enfant plus d'un an après sa naissance, le principe est l'exercice exclusif. Mais le juge peut attribuer l'exercice exclusif de l'autorité parentale quand l'intérêt de l'enfant le justifie.
Non, il faut que l'un des parents le demande, au cours d'une audience.
Je pensais qu'il était possible de suspendre l'autorité parentale lorsque l'on constatait qu'un enfant était en danger, sans qu'il soit nécessaire que l'un des parents le demande.
Non.
Il y a souvent des navettes entre le juge des enfants et le juge aux affaires familiales. Si le juge des enfants est saisi, que l'enfant est en danger et qu'une décision est rendue dans ce sens, la mère ou le père qui veut protéger l'enfant reviendra devant le juge aux affaires familiales pour demander l'autorité parentale exclusive.
Le juge des enfants n'est pas compétent pour statuer sur l'autorité parentale exclusive.
Comme ma collègue l'a dit très justement, le débat judiciaire devant le juge aux affaires familiales est un procès civil. Le procès civil étant l'affaire des parties, le juge ne doit traiter que de ce qui lui est demandé. Reste que l'article 373-2-8 du code civil prévoit que le juge aux affaires familiales peut être saisi par le procureur de la République. C'est le cas pour l'ordonnance de protection.
Mais c'est une grande avancée, de nature à modifier les pratiques.
Habituellement, si le juge aux affaires familiales perçoit une situation dangereuse pour l'enfant, il transmet au procureur de la République, qui saisira le juge des enfants et de l'assistance éducative. Il me semblerait indispensable, dans le cas qui nous intéresse ici, de permettre au procureur de la République d'intervenir dans la procédure devant le juge aux affaires familiales.
Je peux tout à fait admettre qu'une mère victime de violences conjugales se dise que, pour pouvoir partir, elle devra accepter la résidence alternée et l'exercice conjoint de l'autorité parentale. Or il me paraît légitime que le procureur de la République puisse, au nom de la société, demander qu'il n'y ait ni résidence alternée, ni exercice conjoint de l'autorité parentale.
Il peut être informé par le juge aux affaires familiales ou parce qu'il y a une affaire pénale en cours.
Sur le plan pénal, c'est une question de délais.
Je tiens toutefois à attirer votre attention sur le dernier alinéa de l'article 4, qui envisage la condamnation de l'autre parent pour violences conjugales. Mais que se passera-t-il en cas de mesures alternatives aux poursuites pénales, par exemple si le procureur de la République s'est contenté de faire un rappel à la loi en raison de violences conjugales ? Le rappel à la loi n'étant pas une condamnation, le dernier alinéa ne s'appliquera pas. C'est très pensé ….
Dans les faits, les femmes victimes de violences sont contraintes de quitter le domicile et, parfois, de laisser leurs enfants. Mais par la suite, au cours de l'audience de l'ordonnance de protection, elles peuvent se battre et demander que les enfants reviennent avec elles. Certes, je suis consciente que le phénomène d'emprise peut jouer, mais cette audience n'en reste pas moins un moment assez fort, où elles peuvent s'exprimer.
Madame la juge, on répond fréquemment à la mère que si son conjoint était aussi dangereux qu'elle le dit, elle ne lui aurait jamais laissé ses enfants. Dans la pratique, nous nous heurtons à des difficultés. Il faudrait que les choses soient bien structurées au niveau des dispositions de la proposition de loi. Sinon, ce sera le flou le plus total.
L'alinéa 2 de l'article 4 parle de « tout acte de l'autorité parentale, qu'il ait un caractère usuel ou important». Ne pourrait-on pas supprimer les actes de caractère « usuel » ?
Jusqu'à présent, le changement de résidence donnait lieu à une information. Ensuite, nous étions saisis des conséquences que cela pouvait avoir sur l'enfant, au regard de son intérêt …
Cela reviendra devant nous, de toute façon.
Il faut reconnaître que parfois, le père ou la mère déménage loin pour embêter l'autre parent. Cela complique bien évidemment les relations entre les enfants et l'autre parent – le plus souvent le père – qui ne les voit quasiment plus. Cette disposition vise à limiter de tels cas et à amener les parents à se mettre au moins d'accord sur la distance. Mais il faut dire qu'aujourd'hui, la majorité des demandes de séparation viennent des femmes. C'est la fin de l'emprise patriarcale et du chef de famille. Celui-ci le vit mal, ce qui est compréhensible. D'où cette disposition qui, pour régler les problèmes de déménagements intempestifs, impose l'accord des deux parents.
Par ailleurs, si l'un des parents part très loin, la garde alternée n'est plus possible. Mais l'autre parent pourra ne pas donner son accord. Il y a une cohérence : tous les articles sont liés les uns aux autres de manière très subtile, pour faire le jeu de ce que l'on a dénoncé tout à l'heure.
Toujours à propos de l'article 4, je tiens à faire remarquer que le rapport de la Chancellerie sur la coparentalité révèle que certains membres et associations qui étaient intervenus dans le groupe de travail souhaitaient que les violences conjugales ne soient pas prises en compte pour décider des modalités d'exercice de l'autorité parentale, en estimant qu'il n'y a pas de raison de prendre les violences conjugales comme fait significatif pour statuer sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale ou sur la résidence alternée. La proposition de loi est la traduction juridique de cette volonté.
Nous en avions parlé lorsque nous nous étions rencontrés lors d'un colloque, monsieur le juge. Alors, pourquoi ne pas créer un titre spécifique « violences conjugales » ? Si on doit écarter celles-ci du droit classique de la famille, il faut des textes spécifiques « violences conjugales », tout comme des juges formés, spécialisés pour traiter ce contentieux particulier.
On ne voulait pas marginaliser ces femmes qui le sont déjà. Mais cela marche très bien dans d'autres pays.
Je suppose que vous faites référence à la loi de 2010 ? Mais c'est une loi spécifique à la violence psychologique, du moins très centrée autour de la violence psychologique – indépendamment des dispositions relatives à l'ordonnance de protection.
Nous en avons déjà fait un premier bilan, et Monique Orphé, ici présente, a contribué à la compléter dans le cadre du projet de loi sur l'égalité entre les femmes et les hommes ; c'est assez rare pour être noté. Mais je tiens à vous préciser que la loi « violences » ne porte pas que sur les violences psychologiques.
Cela dit, la création du délit de violences psychologiques a fait l'objet de beaucoup de réticences de la part des magistrats, parce qu'un tel délit est compliqué à établir et qu'il n'y a pas de jurisprudence …
Cette loi modifie le code civil. Et cette proposition de loi le modifie aussi…
… avec, en arrière-plan, un objectif que je trouve très pernicieux.
J'en viens à l'amende civile (article 5) et à l'amende pénale (article 8) – que j'examinerai sous un angle particulier. Je cite la proposition de loi : le juge « peut également, lorsqu'un parent fait délibérément obstacle de façon grave ou renouvelée aux règles de l'exercice conjoint de l'autorité parentale prévues à l'article 372-1 en empêchant l'autre parent d'exercer ses prérogatives, ou lorsqu'un parent ne respecte pas une décision fixant les modalités de l'exercice de l'autorité parentale, le condamner, par une décision spécialement motivée, au paiement d'une amende civile … »
Qui voit-on, derrière le parent empêchant l'autre parent d'exercer ses prérogatives ? La mère qui ne permet pas au père de dire : je ne suis pas d'accord avec la clarinette, j'exige du judo. Et derrière le parent ne respectant pas une décision fixant les modalités de l'exercice de l'autorité parentale ? Ici, le champ est un peu plus large…
Je vous propose de supprimer « en empêchant l'autre parent d'exercer ses prérogatives ». Bien sûr, je préférerais que l'on supprime tout l'article 5, voire toute la proposition de loi …
Certains articles, notamment ceux qui concernent les beaux-parents, sont acceptables.
Au minimum, on supprime : « en empêchant l'autre parent d'exercer ses prérogatives » et on réintroduit un certain équilibre.
Je voudrais faire remarquer que l'imprévisibilité est une forme de violence. Par exemple, c'est le père qui décide s'il va chercher ses enfants à 17 heures 30 ou à 18 heures 30, ou s'il les ramène à 17 heures 30 ou à 18 heures 30. Et au besoin, il fait dire à la mère par les enfants qu'il les ramènera la veille du jour prévu. Je n'invente rien ! Gérer le temps de l'autre est un moyen d'emprise.
Il faut donc lire cette introduction de la loi dans les familles à partir des situations où la loi est écartée. Les violences conjugales constituent le meilleur angle. Si l'intérêt général est respecté, tout est facile. Les familles qui sont dans une entente parfaite et qui sont capables de dialoguer n'auront pas besoin de ce texte. Ce texte doit s'appliquer d'abord aux situations de violences conjugales.
La précision « en empêchant l'autre parent d'exercer ses prérogatives » est liée à l'article précédent, qui traite de l'acte usuel ou important. Le parent avec qui l'enfant vit devra demander l'accord de l'autre pour tout, puisque l'autorité parentale est entendue ici exclusivement comme une prérogative et non pas comme un droit-fonction, un devoir subordonné à une finalité, l'intérêt de l'enfant.
Je me disais que ce ne serait pas si simple à mettre en oeuvre. Le juge est tenu de prendre des décisions spécialement motivées. Il doit avoir des éléments de preuve. Il est certain que le juge aux affaires familiales se trouvera dans une position autre que celle qu'il connaît …
C'est un contentieux supplémentaire et je ne sais pas si c'est la meilleure façon d'apaiser la situation. Pour ma part, je suis favorable au dialogue et à la médiation familiale, parce que je pense que la loi est faite d'abord pour la majorité, même s'il faut se préoccuper des situations minoritaires. Dans la majorité des cas, les parents que nous voyons souhaitent l'un et l'autre, et de plus en plus, s'investir auprès de leurs enfants. Voilà pourquoi je pense que le principe de coparentalité répond à la réalité de la situation.
Vous nous parlez de parents qui se respectent et qui sont suffisamment coordonnés dans leur organisation pour permettre cet échange dans l'intérêt de l'enfant. Mais c'est d'absolument exceptionnel – indépendamment des cas de violences conjugales.
Avez-vous observé des cas où l'autorité parentale ne peut pas s'exercer, parce que l'un des deux parents ne veut plus voir les enfants, ne vient jamais les chercher, parce que la présentation ne se fait pas à l'heure, etc. ? De quels moyens disposez-vous lorsque ces faits vous sont rapportés ? Comment sanctionner celui qui ne remplit pas ses devoirs de parent ?
Nous sommes souvent saisis d'une demande de suppression du droit de visite et d'hébergement. Mais je suis toujours très prudente avant de supprimer un DVH : il faut savoir pourquoi il ne s'exerce pas, dans quelles conditions, etc.
Quels sont les moyens à notre disposition ? C'est l'enquête sociale, pour aller voir au plus près où en sont les relations et quelles sont les difficultés. Et c'est la médiation familiale.
Parfois, la rupture des relations entre un enfant et son père ou sa mère est liée à un problème de communication ou de compréhension. Le rôle du juge, comme cela a été affirmé dans la loi de 2002, est de veiller à sauvegarder les intérêts de l'enfant et à maintenir des relations avec chacun des parents. C'est ce que nous faisons au quotidien dans notre cabinet. J'essaie donc toujours de rétablir un lien avant même de le supprimer et de réfléchir à une sanction.
Sinon, quelle est la sanction ? C'est de modifier la résidence en la transférant de l'un chez l'autre. Quand les parents sont séparés depuis des années, la rupture de relations ou les difficultés relationnelles ou de communication ne sont pas toujours liées à des situations de violence. Il peut s'agir d'une séparation qui n'est pas ou qui est mal acceptée. Il faut creuser, pour apprécier la nature de la situation. Mais il peut aussi s'agir d'un parent qui, volontairement, fait obstacle à l'autre parent. C'est alors le rôle du juge aux affaires familiales d'aider cet autre parent – souvent le père – à exercer vraiment son rôle et donc, de rejeter la demande concernant le DVH qui lui est faite. Les situations familiales sont plurielles et les séparations sont vécues de façon assez différente, et pas uniquement sous le prisme de la violence conjugale subie par les femmes.
Je voudrais développer un point de vue un peu différent. Évidemment que tout est possible dans toutes les familles, que d'une manière abstraite, on peut mettre sur le même plan les parents qui s'entendent, ceux qui ne s'entendent pas, qui sont en conflit, dans des situations de violence, ou les parents absents. Mais je vous crois, madame la présidente, mesdames les députées, quand vous dites que les violences conjugales sont un fait très significatif dans les familles, qui ne peut en aucune manière être mis sur le même plan que les situations d'aliénation parentale.
L'aliénation parentale, qui est derrière cette proposition de loi, comme elle était derrière les propositions de loi du 24 octobre 2013 ou derrière l'amendement qui avait été voté au Sénat, est utilisée pour porter les principes qui sont guidés par cette proposition de loi. En tant que juge aux affaires familiales et en tant que juge des enfants, je dois à la vérité de dire que je n'ai connu que très peu de situations de l'ordre de l'aliénation parentale.
Je voudrais par ailleurs attirer votre attention sur le fait qu'il y a deux raisons légitimes pour lesquelles un enfant peut refuser le voir le parent avec lequel il ne vit pas : l'alliance et le détachement. L'alliance est le processus psychique, provisoire et réversible, par lequel l'enfant va supporter le moment de la situation parentale en ayant une relation privilégiée avec l'un de ses parents, en général celui avec lequel il vit et qui est sa figure d'attachement prioritaire, la mère. Le détachement est le processus psychique par lequel l'enfant va s'autoriser à refuser d'être en lien avec un parent maltraitant.
À ce propos, l'Organisation des Nations unies a dépêché en France un rapporteur spécial dans une mission de protection de l'enfance. Il a fait une mention particulière sur les inquiétudes de l'ONU concernant le traitement, par la France, des plaintes déposées par les mères pour les maltraitances subies par leurs enfants chez l'autre parent.
Nous avons tendance à lire de façon inversée ces situations-là. Je participe à des colloques sur les violences conjugales, et je constate qu'il y a toujours un professionnel qui va dire : oui, mais la mère peut essayer de nous manipuler. Dans quelles situations, face à une plainte, à une requête, à une demande, à l'expression d'un désarroi, nous dirions : attention, je suis en train de me faire manipuler ?
Ernestine Ronai nous a dit que l'on enseignait toujours, dans les écoles de magistrature ou d'avocats, le SAP ou syndrome d'aliénation parental. Est-ce exact ?
À l'École nationale de la magistrature, nous en parlons, et je me fais fort d'en parler comme nous en parlons aujourd'hui. Avec Mme Ronai, nous en parlons aussi souvent que possible. Bien sûr que dans tout choix de formation, il y a un choix de contenu et de manière d'aborder un problème. Mais il est tout à fait possible que d'autres intervenants évoquent ce prétendu syndrome, qui est un piège. Un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation a validé il y a quelques mois la décision d'une Cour d'appel transférant la résidence de l'enfant chez le père : l'enfant était victime d'un syndrome d'aliénation parentale repéré dans l'enquête sociale. Depuis quand une assistante sociale ou un juge sont-ils compétents pour diagnostiquer un syndrome ? Vous voyez bien l'ambiguïté, voire le piège de ce genre de concept.
C'est ce que je voulais dire. Cela relève du domaine médical.
Très généralement, de telles décisions s'appuient sur des dires d'experts.
Je ne sais pas si on parle toujours d'aliénation mentale à l'ENM, mais en tout cas, on la plaide souvent. Les femmes se trouvent enfermées dans une double injonction de la société : dénoncer les maltraitances sur leurs enfants, et respecter le sacro-saint principe de coparentalité, c'est-à-dire respecter l'autre parent. À partir du moment où elles dénoncent des attouchements ou des maltraitances de la part de l'autre parent, automatiquement, le spectre de l'aliénation parentale resurgit. C'est catastrophique : on ne peut plus dénoncer un quelconque agissement de l'autre parent sans que la mère ne soit suspectée d'aliénation parentale.
Pas systématiquement …
En tout cas, dans le contexte des violences conjugales, c'est notre quotidien.
L'article 8, qui traite de l'amende prévue par le code de procédure pénale pour non-représentation d'enfant, prévoit de contraventionnaliser la première infraction. Il serait difficile d'être contre, dans une perspective plutôt souple du droit pénal. Mais c'est le texte dans son ensemble qui, là encore, me préoccupe beaucoup.
L'exposé des motifs précise qu'on fera de la non-représentation d'enfant commise la première fois une contravention, à la fois pour augmenter les poursuites et pour se libérer du problème de la preuve. Comme la preuve est très difficile à apporter, les professionnels – spécialement les magistrats – auront moins de scrupules à poursuivre et à condamner pour une contravention plutôt que pour un délit. Je trouve ce raisonnement trompeur et contraire à la démocratie ! Et je note ce paradoxe très surprenant : les parlementaires qui vont demander que l'on fasse d'un délit une contravention pour pouvoir se dégager de l'exigence de la preuve et poursuivre davantage, sont les mêmes qui, en cas de violences conjugales, prôneront le recours à la médiation pénale et familiale.
Comme juge des enfants et juge aux affaires familiales, j'ai pris conscience que les violences conjugales étaient un problème récurrent et très spécifique. Je traite donc ce problème de façon particulière. Mais ceux qui nous disent que les violences conjugales ne font pas échec à l'instauration d'une médiation, qu'elle soit pénale ou familiale, sont les mêmes qui demandent, en cas de non-représentation d'enfant, une contravention dès la première infraction. C'est ahurissant !
Je ne peux pas préjuger de la jurisprudence pénale.
On nous dit toujours que les violences conjugales sont difficiles à prouver et que si la victime de ces violences n'a pas déposé plainte, on ne peut pas délivrer d'ordonnance de protection. Et cette proposition de loi, s'agissant de l'infraction de non-représentation d'enfant, dit exactement l'inverse : comme il est précisé dans l'exposé des motifs, le problème de la preuve ne doit pas être un obstacle aux poursuites. C'est incroyable !
Le plaignant sera entendu, tout comme la personne mise en cause et, éventuellement, l'entourage. Il y aura toujours une enquête pénale. La différence, c'est que l'affaire viendra devant la juridiction en charge des contraventions de quatrième classe et non devant le tribunal correctionnel.
Expliquez-moi cette phrase : « En effet, ce délit fait actuellement fréquemment l'objet d'un classement sans suite, et apparaît rarement sanctionné en raison de la lourdeur de la procédure et des difficultés de preuve. Sa contraventionnalisation permettrait d'accélérer la procédure et de faciliter … l'établissement de la preuve des violations de la décision du juge aux affaires familiales. »
Je pense que c'est une erreur.
C'est même une atteinte à la démocratie.
Lorsque je forme sur l'ordonnance de protection, les magistrats me rétorquent systématiquement que sans plainte, et donc sans condamnation, on n'a pas « la preuve de la vraisemblance », et que les mains courantes sont insuffisantes. Et aujourd'hui, s'agissant de la non-représentation d'enfant, on nous dit exactement l'inverse : il faut pouvoir s'affranchir de l'exigence de la preuve.
Si l'on amendait ce texte, pour avoir un effet miroir, on pourrait condamner le parent qui ne vient pas chercher l'enfant, une fois ou deux, pendant que l'autre attend tout le week-end, et condamner également celui qui ne paie pas la pension alimentaire.
Il risque d'être un peu compliqué de recouvrer une amende auprès d'un parent qui, déjà, ne paie pas la pension alimentaire.
L'article 6 n'appelle pas de remarques particulières, sauf à augmenter le recours à l'exercice exclusif de l'autorité parentale. En revanche, l'article 7, qui modifie l'architecture des familles en cas de séparation, me paraît extrêmement préoccupant.
On peut lire dans l'exposé des motifs que « l'alternance des temps de résidence sera le principe ». Mais cela n'apparaît pas dans l'article.
Ce hiatus entre l'exposé des motifs et le texte lui-même pourrait faire penser qu'il n'y aura pas de résidence alternée prioritaire. Or ce texte sera interprété à la lumière de l'exposé des motifs.
Cet artifice de langage est révélateur. L'intérêt général commanderait de donner aux familles, en cas de conflit, de violences, d'absence de l'un des parents, une loi claire, un « squelette de vie ». Or ce texte fait tout le contraire : c'est une non-loi, une loi qui ne parle pas, qui ne nomme plus, qui ne « spécificie » plus.
On ne parle plus de « résidence habituelle » - tout en sachant que c'est la mère qui s'occupera surtout de l'enfant – sous prétexte que la distinction entre la « résidence habituelle » et le « droit de visite et d'hébergement » serait source de contentieux. Or la récente étude de la Chancellerie a démontré que dans une écrasante majorité des cas, la décision instituant la résidence habituelle et le droit de visite et d'hébergement (DVH), qui est rendue par le JAF, est conforme à la demande des pères eux-mêmes. Cette distinction ne pose donc a priori pas de problème pour les familles. Mais si problème il y a, il faut que la loi nomme. Une loi qui ne nomme plus ne sert à rien. On ne va plus nommer, mais le juge aux affaires familiales pourra le faire en interprétant le texte à la lumière de l'exposé des motifs.
Je ne suis pas d'accord. Ce n'est pas comme cela que j'appréhende l'intérêt général !
Nous avons reçus certains mails, de source identique, affirmant que les JAF sont de parti pris : ils auraient tendance à confier la résidence plutôt à la mère qu'au père.
Si la résidence alternée est demandée par le père, elle lui est souvent accordée. Nous nous battons d'ailleurs beaucoup pour qu'un enfant très jeune – de dix-huit mois ou deux ans – ne puisse pas aller chez son père en résidence alternée. C'est très difficile, ne serait-ce que pour des raisons pratiques.
Je ne suis pas opposée par principe à la résidence alternée, quel que soit l'âge de l'enfant. Il faut juste que ce soit adapté à son âge, à sa situation, etc.
Quand un père demande la résidence alternée pour un enfant de six mois, vous ne vous assurez pas qu'il y a, derrière, par exemple, une grand-mère ?
Mais si la mère travaille, elle devra passer par une assistante maternelle. N'oublions pas que nous sommes dans une société où les femmes sont émancipées. Et puis, l'enfant a également besoin du repère paternel.
Il nous arrive souvent, aujourd'hui, d'être saisis par des mères ou des pères qui se séparent alors que leur enfant est très jeune, et qui s'en voient privés pendant plusieurs mois. Notre rôle est alors de rétablir des liens. Cela est valable dans les deux sens. Un enfant a besoin d'avoir des contacts avec ses deux parents.
Une majorité de pédopsychiatres – dont le docteur Bernard Golse, qui est pédopsychiatre et psychanalyste – estiment que la résidence alternée est inappropriée pour les enfants en bas âge. Et puis, madame le juge, que faire lorsque la mère allaite ? On passe au biberon parce que c'est mieux pour le père ?
Je n'ai pas à avoir de position de principe à propos de l'allaitement. Reste que la mère va devoir reprendre son travail, et qu'il lui faudra prendre des dispositions. Nous sommes dans une société moderne, au XXIe siècle !
Nous sommes en train de parler de jeunes enfants. Les mères, même lorsqu'elles travaillent, savent s'adapter et prendre en compte l'intérêt de l'enfant. Et elles peuvent considérer que l'allaitement de l'enfant est important. Vous parlez de créer du lien entre les parents ? L'allaitement est un moyen de créer du lien avec la mère.
Dans notre cabinet, nous ne traitons que de cas de violences conjugales. Et dans tous les dossiers, tous les pères demandent la garde alternée – sauf dans 2 % des cas. Ils sont en opposition avec la femme qui a osé dénoncer les violences qu'elle subissait, et ils se battent de cette façon. La garde alternée « va » avec les violences conjugales.
Leur demande ne correspond pas forcément à un désir profond, si ce n'est d'ennuyer la mère…
Certains souhaitent continuer à persécuter la mère au-delà de la séparation, par le biais des enfants, par le biais des demandes de résidence alternée…
…qui ne concerne que 17 %…
Et c'est pour ces situations résiduelles, marginales, que l'on prétend modifier la loi.
Encore une fois, c'est une situation exceptionnelle, et on en fait un principe. Comme le disait M. le juge des enfants, l'esprit de la proposition de loi va dans le sens de la résidence alternée, même si le texte ne le prévoit pas.
Je remarque par ailleurs que cette proposition est intitulée : « Proposition de loi relative à l'autorité parentale et à l'intérêt de l'enfant ». La différence des caractères utilisés résume tout ce que l'on vient de dire : l'intérêt de l'enfant y est secondaire.
Si vous pouviez supprimer cette proposition de loi…
Ce serait original, s'agissant de députés de la majorité, signataires d'une proposition de loi de la majorité …
Vous avez en tout cas toute mon admiration et mon soutien absolu.
Vos écrits sont d'une extrême importance et nous nous permettrons de vous citer abondamment lorsque le texte sera discuté dans l'hémicycle.
J'en viens aux articles 16 à 18 sur la médiation familiale. L'idée d'enjoindre la médiation me paraît absurde et violente. Pourquoi ne pas désigner un médiateur si les parents sont d'accord, ou leur imposer de se renseigner sur la procédure de la médiation ? Mais obliger le père et la mère à participer à une médiation familiale pour évoquer leurs différends me paraît inadapté.
La lecture d'un article relatif à la médiation au moment du mariage, est absurde et grossier. Cela correspond à une conception procédurale des relations familiales. Je ne sais pas ce que vous imagineriez pour vous-même mais pour moi, évoquer la médiation familiale au moment du mariage est un appel au conflit !
Enfin, l'article 19, sur l'audition de l'enfant apporte selon moi une précision utile. Voilà ce qu'il faudrait laisser dans cette proposition de loi !
Je souhaiterais maintenant vous faire quelques propositions.
La première, qui m'est très chère, n'a jamais été prise en compte. Elle consisterait à permettre au juge aux affaires familiales d'imposer le paiement de la pension alimentaire par virement. Il semblerait que les textes le permettent, mais les JAF que j'ai consultés à ce propos considèrent que ce n'est pas possible : le texte prévoit les modalités de la pension, mais pas son mode de paiement – en nature, en argent, etc. Je pense pourtant que ce serait très utile …
Cela éviterait aussi ce que l'on voit assez souvent : un parent, tous les mois, qui remet directement et sans enveloppe à son enfant le chèque ou l'argent liquide de la pension !
Mes autres propositions m'ont été inspirées par la proposition de loi déposée le 7 février 2012. Si je n'étais pas d'accord avec son article 1er, qui prônait la substitution, dans le code civil, de la responsabilité parentale à l'autorité parentale, je trouvais intéressants ses deux autres articles : l'article 2 prévoyait que le JAF pouvait priver de l'exercice de l'autorité parentale le parent qui ne remplit pas son obligation d'entretien, d'aliment ou de versement de la pension alimentaire ; l'article 3 prévoyait d'élargir le retrait civil de l'autorité parentale aux délits commis contre l'autre parent (article 378-1). Je propose donc qu'on reprenne ces deux articles. Et de la même façon, je pense qu'il faudrait modifier l'article 378 relatif au retrait pénal de l'autorité parentale.
Je voulais faire une observation : nos clientes ne souhaitent pas qu'on leur verse la pension alimentaire par virement. Cela supposerait en effet qu'elles fournissent un relevé d'identité bancaire (RIB). Or, pour des raisons diverses, elles ne veulent pas faire connaître leurs coordonnées bancaires à leur conjoint.
À titre de conclusion, je citerai la réponse qu'a faite, le 3 juillet 2007, devant l'Assemblée nationale, le garde des sceaux à une question écrite :
« La résidence alternée ne saurait être la conséquence d'une revendication purement égalitaire des droits entre le père et la mère, au mépris de l'examen des situations individuelles et de la recherche des solutions les plus adaptées aux besoins spécifiques des mineurs et, en particulier, des très jeunes enfants, et que le seul critère qui doit être retenu est celui de l'intérêt de l'enfant. »
Le ministre constatait qu'à la lumière de la pratique, la garde alternée était tout à fait déconseillée pour les enfants de moins de six ans.
Je considère cette proposition de loi comme positive, dans la mesure où elle développe la médiation familiale, ce qui est une nécessité. En effet, la plupart des personnes que nous recevons en audience sont de jeunes parents qui viennent de se séparer et n'ont pas encore repris le dialogue. Certains ne se disent même pas bonjour ! Engager une médiation familiale dès notre saisine est un moyen de renouer le dialogue. Parfois, la femme est enceinte ou l'enfant est à peine né …
Les situations sont tellement diverses. L'enfant n'est pas toujours un projet de vie raisonné. Néanmoins, si chacun des parents souhaite affirmer son rôle auprès de cet enfant …
Si le projet n'est pas raisonné, je ne vois pas comment ils vont s'investir auprès de l'enfant.
Certaines personnes peuvent être amenées à se séparer au bout d'un an ou deux, sans se trouver pour autant dans une situation de conflit insurmontable. Pour l'enfant, il est important que ses parents puissent au moins se dire bonjour et soient capables de prendre une tasse de café ensemble pour discuter, par exemple, de sa scolarité. La loi nous ayant donné pour mission de maintenir un lien entre les parents et de favoriser l'exercice consensuel de l'autorité parentale, nous pouvons nous appuyer sur la médiation familiale. N'oublions pas que les audiences durent en moyenne un quart d'heure, au maximum une demi-heure. Dans les situations où il n'y a pas de violences conjugales, c'est-à-dire la majorité des cas, les services de médiation peuvent être utiles.
Je voudrais savoir comment se passerait la médiation s'il y avait des médiateurs partout …
Madame la présidente, je suis médiatrice conventionnelle et judiciaire, et je peux vous dire que le rôle d'un médiateur est extrêmement effacé. Le médiateur est là pour écouter, il intervient très peu et essaie de faire dialoguer les personnes. Certaines en sont capables, mais d'autres sont figées et alors, mieux vaut aller voir un psychologue qu'un médiateur, car celui-ci n'est pas là pour vous diriger. Il peut conseiller de dire bonjour, mais c'est à peu près tout. Il n'a pas à prendre position, il est en recul par rapport aux époux ou aux concubins qu'il a devant lui. Son rôle est extrêmement secondaire et il ne peut pas dénouer des situations qui, sans relever de violences conjugales, sont tout de même conflictuelles.
Cette proposition de loi sera examinée le 19 mai par l'Assemblée en séance publique. Je pense qu'elle comporte des aspects positifs. La médiation familiale, entre autres, peut représenter une amélioration. En effet, les parents sont souvent désarmés – d'où l'intérêt de l'école de la parentalité, des rencontres de la parentalité, des conférences et des formations organisées par les caisses d'allocations familiales, etc.
Mais je viens de relire le rapport que le Haut conseil à la famille a publié en avril 2014 sur les ruptures familiales, et je m'interroge : est-ce des parents qui ne sont ni mariés, ni pacsés ou liés par aucun contrat qui se présentent devant le juge pour établir une convention ?
Oui, bien sûr. Ils n'y sont pas obligés, mais ils le font de plus en plus souvent parce qu'il leur faut un cadre légal.
Une des raisons pour laquelle nous souhaitons développer la médiation familiale est que le premier réflexe du parent qui se sépare est de saisir le juge avant même d'essayer de trouver un accord avec l'autre parent.
Je rappelle qu'une décision judiciaire peut prévoir les modalités de résidence et d'exercice du droit de visite et d'hébergement de l'autre conjoint, mais qu'il est toujours précisé que celles-ci s'entendent « sauf meilleur accord entre les parties ».
Ainsi, rien n'oblige des parents qui ne sont ni mariés, ni pacsés, qui n'ont pas passé de contrat, et qui se séparent, à passer par le juge ?
Je pensais à Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et l'esclave, c'est la liberté qui opprime et c'est la loi qui affranchit. » Et pour cela, madame la présidente, mesdames les députés, je vous fais totalement confiance.
La séance est levée à 16 heures 10.