Intervention de Jeanine Dubié

Séance en hémicycle du 13 mai 2014 à 15h00
Économie sociale et solidaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJeanine Dubié :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, le projet de loi relatif à l’économie sociale et solidaire qui nous réunit aujourd’hui a pour objectif de donner une plus grande reconnaissance et une meilleure gouvernance à un secteur d’activité particulier. Ce sujet est cher aux radicaux de gauche, et je veux saluer ici le travail inlassable de Thierry Jeantet pour lui donner toute la place qu’il mérite..

Le champ de l’économie sociale et solidaire est un secteur, certes, hétérogène, mais un secteur plus respectueux des valeurs humanistes de solidarité, de démocratie, et de justice sociale, mais qui ne concède rien en fait d’efficacité, d’innovation et de professionnalisme.

Nous le savons, notre pays, comme beaucoup d’autres pays européens, fait face à une crise financière, une crise économique et sociale, mais aussi à une crise morale.

Cette crise trouve ses origines à la fois dans les mauvaises habitudes budgétaires que nous avons prises depuis trente ans, toutes tendances politiques confondues, mais aussi dans des événements récents, liés aux excès d’une économie financiarisée déconnectée des modes de production traditionnels. Cette crise donne à l’économie sociale et solidaire une résonance particulière parce que l’ESS, c’est d’abord un modèle différent du modèle capitaliste classique.

Depuis trente ans, nous accumulons les déficits. Il est aujourd’hui de notre responsabilité de les réduire en engageant un effort important de réduction de la dépense publique. Cet effort est nécessaire car la dette finit par peser tellement sur le fonctionnement même de notre économie qu’elle l’asphyxie.

Nous sommes sur un chemin de crête : il faut, d’un côté, réduire les dépenses publiques et, de l’autre, investir, plus qu’on ne l’a fait dans le passé, dans les secteurs économiques qui sont, comme l’économie sociale et solidaire, porteurs d’espoir et d’emplois.

L’ESS, c’est aujourd’hui en France 8 % du PIB, 223 000 établissements employeurs, 2,4 millions de salariés, dont 17 % de cadres, et des besoins en recrutement estimés à 600 000 emplois d’ici à 2020.

Non seulement les résultats économiques de l’ESS sont globalement bons, mais ils démontrent une capacité de résistance et de résilience face à la crise, avec la création de nouvelles activités localisées sur notre territoire, dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’insertion, de la prévoyance ou de l’agriculture.

Ces réponses apportées aux besoins fondamentaux de notre société confirment que l’économie sociale et solidaire est une force motrice pour accompagner l’évolution des sociétés contemporaines touchées par l’individualisme. L’ESS contribue largement au maintien du lien social, si nécessaire aujourd’hui.

Il ne s’agit pas d’opposer un modèle économique à un autre, ni d’opposer une économie saine à une économie « malsaine ». Nous ne sommes pas naïfs, l’économie sociale et solidaire n’est pas préservée de toutes les intempérances.

Néanmoins, l’ESS a longtemps été considérée de façon trop marginale par les pouvoirs publics. Nous avons souvent oublié son rôle et son originalité, alors qu’elle est en mesure de faire cohabiter de façon harmonieuse performance économique, utilité sociale et développement durable. Le projet de loi se propose de donner les moyens à l’ESS de se renforcer.

Au nom du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste, je tiens d’abord à saluer la méthode retenue par le Gouvernement pour l’élaboration du projet de loi. Les acteurs socio-professionnels de la grande famille de l’ESS sont unanimes, ils nous l’ont dit en audition, ce texte est le résultat d’une large concertation, il propose de faire de l’ESS un modèle robuste et ambitieux.

Concernant la reconnaissance publique du secteur, le projet de loi propose dans son article 1er, article fondateur, de caractériser les acteurs par des déterminants d’une définition politique. Ce sont les caractéristiques économiques des entreprises et des organismes concernés qui serviront à définir l’identité et l’utilité sociale. En effet, compte tenu de l’hétérogénéité des acteurs, les débats sur la définition de l’ESS sont nécessairement complexes.

Ainsi, dans le texte, l’ESS se définit d’abord par l’intégration dans les statuts de principes communs forts : un but différent du seul partage des bénéfices, une gouvernance démocratique ou participative définie par statut et incluant les parties prenantes, et enfin, une gestion avec des modalités de lucrativité limitée ou encadrée. L’inscription de ces grands principes humanistes dans la loi correspond à une définition volontairement inclusive.

Afin de renforcer l’unité et la visibilité de l’ESS auprès du grand public, le groupe RRDP avait proposé en commission un amendement visant à inscrire dans la loi une déclaration de principe commune aux entreprises de l’ESS. Le Gouvernement et les rapporteurs se sont montrés intéressés par cette initiative déjà évoquée lors des débats au Sénat. Vous nous avez proposé de réfléchir à un amendement instituant une charte pour l’examen en séance publique, sachez que nous le soutiendrons sans réserve.

Cette charte apportera des réponses à des critiques légitimes que nous avons pu entendre sur la spécificité de l’ESS par rapport au privé lucratif, je pense notamment au secteur médico-social, où l’ESS représente les deux tiers de l’activité. Les acteurs, comme nos concitoyens, s’interrogent à juste titre sur les exigences importantes en matière de non lucrativité, de redistribution, d’exemplarité sociale et de gouvernance démocratique. Cette charte serait une grande opportunité pour le secteur et il serait dommage de laisser passer cette occasion.

Le texte propose ensuite une nouvelle structuration de l’ESS pour institutionnaliser son dialogue avec l’État, les collectivités territoriales et la société civile. En reconnaissant l’utilité publique des chambres régionales de l’économie sociale et solidaire, les CRESS, le texte confie aux représentants de l’État dans les territoires la mission de contractualiser avec elles.

Dans l’ensemble, les CRESS disposent déjà d’une expertise fine des entreprises de l’ESS sur leurs territoires. Le texte leur permet d’assurer la promotion de l’ESS, d’aider à la formation des dirigeants et des salariés, tout en continuant la collecte des données. Elles voient aussi leur légitimité renforcée avec la possibilité, inscrite lors de l’examen au Sénat, d’ester en justice pour faire respecter par les entreprises commerciales les conditions prévues à l’article 1er. Avec un ancrage territorial amélioré et coordonné avec les pouvoirs publics, l’ESS pourra poursuivre son développement en répondant aux besoins locaux de nos concitoyens.

Au sujet de la commande publique, les préfets pourront désormais utiliser des clauses sociales avec les plans locaux pluriannuels pour l’insertion et l’emploi, les PLIE, et les maisons de l’emploi. Nous vous proposerons des amendements pour préciser que l’élaboration des schémas de promotion des achats socialement responsables pourra se faire sur une base pluriannuelle, l’évaluation des objectifs devant, elle, être effectuée chaque année.

En ce qui concerne les mesures médiatisées sur l’idée de faciliter la reprise d’entreprises par les salariés, nous devons d’abord revenir à la raison et éviter les débats inutilement polémiques. Au cours de l’histoire de nos deux derniers siècles, le législateur français a inscrit dans la loi des progrès sociaux incontestables en faveur des salariés de notre pays. Nous avons le devoir de continuer cette oeuvre sans que nos bonnes intentions se révèlent des facteurs limitants pour la performance économique et l’emploi.

Nous connaissons les chiffres. Chaque année, au moins 50 000 emplois disparaissent dans des entreprises en bonne santé économique. Tous les députés de terrain que nous sommes dans cet hémicycle connaissent de près ou de loin cette réalité choquante à laquelle nous ne pouvons nous résigner. En leur donnant le temps et les informations nécessaires, le projet de loi permet aux salariés de proposer une offre de reprise. Ils ont le savoir-faire, la compétence, la connaissance de l’outil de production. Dans ces situations spécifiques, il est tout à fait naturel de les encourager à reprendre leur entreprise.

La création du nouveau statut de société coopérative de production d’amorçage va donner les moyens de limiter la prise de risque initiale des salariés. Pour compléter ce dispositif, en lien avec Bpifrance et la Confédération générale des SCOP, le projet de loi propose la mise en place d’un fonds d’aide à la transmission d’entreprise. Avec la formation et l’accompagnement par les CRESS, les CCI, les unions régionales des SCOP, l’ensemble de ces dispositions peut apporter des réponses concrètes à la perte de savoir-faire sur nos territoires.

Concernant la gouvernance au niveau national, l’examen en commission a abouti de façon probablement un peu rapide à la disparition de la référence au conseil national des CRESS et à la création d’une chambre française de l’ESS. Nous vous proposerons par amendement une solution de compromis, en gardant la chambre française mais en clarifiant les missions et les représentations de chacun. Il nous a semblé important de préciser que les CRESS seront représentées par le conseil national des CRESS au sein de la nouvelle chambre française. Cela fera aussi l’objet d’un amendement. La référence au conseil national doit être inscrite dans la loi avec ses missions d’animation, de soutien, de coordination et de consolidation au niveau national des données collectées par les CRESS.

Pour les députés radicaux et apparentés, ce projet de loi constitue une occasion importante de regrouper formellement toutes les entreprises de l’ESS. L’adoption de notre amendement à ce sujet permettrait de développer encore davantage l’économie sociale et solidaire en proposant une forme plus universelle de groupe d’entreprises de l’ESS.

Pour conclure, je tiens à dire au nom des députés RRDP que le développement de l’ESS n’est pas une façon de se donner bonne conscience comme on a pu l’entendre parfois. Il s’agit simplement d’agir de façon responsable en réaffirmant ici cette idée simple souvent oubliée dans notre économie financiarisée : ce n’est pas l’homme qui est au service de l’économie, c’est bien l’économie qui est au service de l’homme. Dans ces conditions, madame la secrétaire d’État, sachez d’ores et déjà que vous pourrez compter sur le soutien des députés du groupe RRDP.

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