Intervention de André Chassaigne

Séance en hémicycle du 13 mai 2014 à 15h00
Économie sociale et solidaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAndré Chassaigne :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, chers collègues, les députés du Front de gauche se satisfont d’examiner ce projet de loi. À l’inverse des idéologues du marché qui font de l’entreprise capitaliste privée le modèle unique, nous souhaitons en effet encourager la diversité des formes de propriété. C’est l’un des outils dont nous devons nous saisir fortement à l’heure où la politique néolibérale échoue sur tous les fronts.

Pour répondre aux failles structurelles du capitalisme, créer de l’emploi, répondre aux besoins du quotidien, nous promouvons évidemment l’extension des services et établissements publics, mais il est également nécessaire d’encourager des formes décentralisées de propriété sociale et de systématiser le recours aux modes d’organisation propres à l’économie sociale et solidaire.

Le présent texte poursuit l’objectif de développer, d’ouvrir et de sécuriser juridiquement tous les organismes considérés aujourd’hui comme appartenant à ce secteur dynamique et en croissance régulière, coopératives, mutuelles, fondations, associations.

Cependant, s’agissant de l’économie générale du texte, soyons attentifs à ce qu’il n’ouvre pas à un dévoiement ou à une dilution des financements de l’économie sociale et solidaire en raison de la nouvelle définition du secteur avec des entreprises, SA ou SARL, qui pourront être qualifiées d’entreprises de l’ESS.

Si l’ESS doit attirer le plus possible de bonnes volontés et ne doit en aucun cas se scléroser, elle ne doit pas pour autant céder sur ses principes essentiels. Travailler autrement, remettre l’économie au service de l’homme, favoriser le partage égal des fruits du travail, combattre le court-termisme, l’appât du gain, tels sont ses mots d’ordre. Ils doivent non seulement le rester, mais encore devenir de plus en plus concrets. Ce sont ces pratiques vertueuses qui doivent polliniser l’économie traditionnelle, et non l’inverse !

Aussi, nous voulons des conditions strictes pour les entreprises qui voudront faire partie de l’ESS et bénéficier de ses financements, via la Banque publique d’investissement notamment. C’est du reste la position de la FNARS, du Coorace et d’Emmaüs France, attachés à un encadrement des salaires plus serré ou à une limitation plus forte de l’affectation des résultats de l’entreprise aux associés.

Travailler autrement, c’est la devise des chambres régionales de l’économie solidaire. Soyons vigilants pour que ce principe ne soit pas un vain mot car, comme le décrit un récent article du Monde diplomatique sur les conditions de travail et d’emploi dans l’ESS, « quelle que soit la catégorie socioprofessionnelle, le salaire d’un travailleur du secteur est inférieur à ceux du privé. C’est particulièrement vrai dans le milieu associatif, principal employeur de l’ESS avec 78 % de ses salariés, soit 1 800 000 personnes : le salaire y est inférieur de 17 % à celui observé dans le secteur marchand. Les contrats précaires et les temps partiels subis y sont également deux fois plus importants. » Ainsi, les usages constatés ici ou là dans la pratique ne sont pas toujours à la hauteur des principes affichés. Les contrats précaires et la faiblesse des rémunérations brouillent la frontière entre salariat et bénévolat, instaurent un flou entre travailleur aidant et usager aidé.

Comme le rappellent les auteurs de l’article, « le consentement au travail pas ou peu rémunéré au nom d’un engagement militant s’explique par la conviction de faire vivre "une autre économie ". Or cette croyance se révèle de moins en moins fondée. De nombreuses enquêtes font ainsi apparaître l’importation des pratiques du management privé au sein de l’ESS. » D’où l’importance de bien définir les normes sociales qui décident de l’appartenance au secteur.

J’en viens maintenant au vif regret qui est le nôtre de ne pas trouver dans ce texte un véritable droit de rachat prioritaire, à offres égales, pour les salariés, qui leur permettrait de reprendre leur entreprise sous forme de coopérative. C’était pourtant un engagement public de François Hollande.

Ce droit de préférence de rachat à égalité d’offre au bénéfice des salariés est transformé en un simple droit d’information préalable. En réalité, l’article 11 ne nous offre qu’une simple et incomplète transposition de la directive européenne du 12 mars 2001, article 7, alinéa 6. Autant dire que nous sommes loin du compte au regard de l’urgence de la situation pour des dizaines d’entreprises en voie de fermeture, et de l’espoir qui existe chez les salariés de reprendre et de réinventer leur outil de production sous forme de coopérative. Fralib, Mory-Ducros, Kem One, La Redoute, Gad, faut-il dresser la liste de ces entreprises qui ferment et qui licencient, laissant sur le carreau des milliers de salariés ? Nombreux sont ceux qui, parmi eux, débordent de motivation et d’inventivité pour poursuivre l’aventure, sauver les emplois, innover, partager.

Ici encore, les députés du Front de gauche entendent batailler contre le renoncement. Nous avons déposé un amendement à l’article 11 pour donner un droit de rachat prioritaire aux salariés. En revanche, nous disons, parmi d’autres exemples, notre satisfaction concernant l’article 15 et le dispositif proposé d’une SCOP d’amorçage, que nous souhaitons cependant améliorer par amendement.

Vous le voyez, chers collègues, les députés du Front de gauche entendent muscler cet important projet de loi et empêcher autant que possible les dérives. Travaillons ensemble dans cette direction !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion