Intervention de Damien Abad

Séance en hémicycle du 13 mai 2014 à 15h00
Économie sociale et solidaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDamien Abad :

Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, madame et messieurs les rapporteurs pour avis, l’économie sociale et solidaire ouvre de nombreuses perspectives pour notre économie et la vitalité de nos territoires. C’est un secteur qui emploie déjà, on l’a dit, plus de deux millions de personnes en France, soit près de 10 % des salariés, principalement dans les domaines de l’action sociale, de la finance, de l’assurance, de l’enseignement et de la santé. En dix ans, il a créé 440 000 emplois nouveaux, et ses besoins sont estimés à 600 000 emplois à l’horizon 2020.

Le groupe UMP est naturellement attaché aux principes de l’économie sociale et solidaire, mais force est de constater que ce projet de loi n’est pas révolutionnaire ; c’est sans doute pour cela qu’il ne fait pas vraiment les grands titres de l’actualité.

En outre, à vous écouter, on a l’impression que l’économie sociale et solidaire serait l’apanage de la gauche. En commission des affaires économiques, le rapporteur a même cité Fourier et Proudhon ! Or l’économie sociale a été forgée, non seulement par ces courants socialistes du XlXe siècle, mais aussi par le christianisme social. Beaucoup d’initiatives sont nées du bas clergé et des communautés chrétiennes pour lutter contre l’isolement de l’individu. Même certains penseurs du libéralisme ont contribué à l’émergence de l’économie sociale : c’est le cas, par exemple, de John Stuart Mill, qui croyait aux vertus du marché, tout en considérant que l’on pouvait résoudre la question sociale grâce à l’auto-organisation des travailleurs et des consommateurs au sein de coopératives.

Au XXe siècle, on peut noter que le général de Gaulle lui-même, constatant les méfaits de la « mécanisation générale » et refusant l’uniformisation de la société, oeuvra pour l’association des travailleurs à leurs entreprises en proposant la participation aux bénéfices. Ainsi, dès 1948, il affirmait : « La rénovation économique de la France, c’est dans l’association que nous devons la trouver. »

Cette volonté de mettre en place l’économie sociale et solidaire n’est donc pas l’apanage de la gauche. Elle n’est pas non plus simplement française, elle est aussi européenne, et l’on doit s’inspirer pour ce projet de loi de la vision de l’Union européenne. Même si les traités ne donnent pas de compétence, à proprement parler, à l’Union européenne en matière sociale, celle-ci a décidé de renforcer la solidarité et la cohésion sociale, sous la houlette du commissaire Michel Barnier qui s’est engagé, dès 2009, en plein coeur de la crise, à promouvoir une croissance plus durable et plus inclusive, notamment à travers le modèle de l’entrepreneuriat social. L’objectif était d’offrir à ce secteur un cadre européen plus robuste et une meilleure visibilité vis-à-vis du grand public, des collectivités et des financeurs.

Il s’agit, non pas d’opposer des modèles de croissance entre eux, comme on a pu l’entendre, mais de compléter le modèle actuel, qui se fonde sur l’initiative individuelle et l’innovation, par un modèle fondé sur l’éthique, l’humain, la cohésion sociale, au plus près des territoires. L’Union européenne s’est engagée ; il nous faut, en France, enfoncer le clou. Or force est de constater que le compte n’y est pas car, comme l’a rappelé mon excellente collègue Isabelle Le Callennec, même si ce projet de loi apporte ici ou là plusieurs solutions adaptées, il ne répond que partiellement à la triple ambition de clarification, d’assouplissement et d’institutionnalisation du secteur.

Nos critiques portent tout d’abord sur la détermination du champ de l’économie sociale et solidaire, prévue à l’article 1er, et sur les conditions d’obtention de l’agrément « entreprise solidaire d’utilité sociale », prévues à l’article 7. En effet, nous estimons que le dispositif est trop restrictif, dans la mesure où il écarte la plupart des sociétés commerciales. Votre définition de l’économie sociale et solidaire est beaucoup plus stricte que celle souhaitée par de nombreux acteurs. Si l’on reprend la définition de l’entrepreneuriat social proposée fin 2011 par la Commission européenne, l’essentiel des entreprises du secteur de l’aide à la personne ou celles liées à l’environnement n’en sont pas d’emblée exclues, contrairement à la philosophie de ce projet de loi. C’est pourquoi nous vous proposerons un amendement permettant aux entreprises de services à la personne de bénéficier de la qualité d’entreprise de l’économie sociale et solidaire, et des droits qui s’y rattachent.

Nos critiques portent également sur l’information anticipée des salariés. Outre la question de savoir s’il ne s’agit pas d’un cavalier, le sujet a déjà été abordé lors de l’examen de la proposition de loi dite « Florange ». Nous craignons que ces dispositions, fort sympathiques au premier abord, et pleines de bonnes intentions, ne se révèlent finalement contre-productives, en raison notamment du risque de non-respect de la confidentialité des négociations, qui pourrait bloquer, voire compromettre la transmission de l’entreprise.

Nous avons des réserves, enfin, quant à la consécration législative du Conseil supérieur de l’économie sociale et solidaire ou encore sur un certain nombre de procédures administratives qui alourdissent le processus et augmentent les dépenses publiques. Nous sommes malheureusement loin du choc de simplification ! On a toujours tendance à mettre le secteur de l’économie sociale et solidaire en asphyxie administrative, alors qu’il aurait besoin de plus de souplesse.

C’est donc dans un esprit constructif que nous abordons l’examen de ce texte, et nous espérons que le Gouvernement et la majorité écouteront nos orientations et reprendront nos amendements – et, monsieur le président de la commission, peut-être pas que des amendements techniques –, car l’entrepreneuriat social est l’un des leviers essentiels pour retrouver une croissance plus durable et plus inclusive.

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