Mes chers collègues, dans le cadre de l'avis budgétaire sur les crédits « Industrie » du projet de loi de finances pour 2013, Monsieur le président François Brottes, a souhaité que notre commission se penche sur l'avenir de la filière sidérurgique en France. Mon travail s'inscrit dans un contexte économique et politique particulièrement tendu, marqué par l'annonce de la fermeture des hauts-fourneaux de Florange le 1er octobre dernier. La situation du site de Florange apparaît comme un symbole médiatique de la crise à laquelle fait face l'industrie sidérurgique française, déjà ébranlée par la fermeture du site de Gandrange en 2009.
Néanmoins, le symbole médiatique n'est pas un reflet exact de la réalité : la sidérurgie française est une filière d'avenir dont il convient de soutenir l'évolution. Je souhaiterais souligner devant vous que la sidérurgie conserve une place importante au sein de l'environnement industriel français malgré la crise qu'elle traverse. La situation du site de Florange constitue à cet égard un exemple : il existe des pistes de solutions permettant d'envisager la poursuite d'une activité pérenne et rentable sur le site.
La sidérurgie occupe une place centrale au sein du paysage industriel français. Elle représente 30 000 emplois directs et 44 500 emplois indirects en France, dont la moitié des emplois sont le fait du groupe ArcelorMittal, qui a absorbé les deux entreprises publiques historiques du secteur, Usinor et Sacilor. Mais son poids en termes d'emplois (1.9 % du total des emplois industriels) n'est pas représentatif de son importance dans la chaîne de production. Conserver des entreprises et des emplois dans la filière sidérurgique constitue une priorité stratégique : de nombreuses industries en aval en sont dépendantes. Le perfectionnement des aciers automobiles, par exemple, est un élément déterminant de la modernisation des véhicules. Il permet d'améliorer le bilan énergétique des automobiles en réduisant leur poids ou en limitant les pertes d'énergie. Les investissements effectués par ArcelorMittal sur le site de Saint-Chely d'Apcher en Lozère visent à développer de nouveaux types d'acier destinés aux véhicules électriques.
Toutefois, la sidérurgie française est une industrie qui perd ses emplois et diminue ses volumes de production. Depuis plusieurs années, la part de la sidérurgie française dans la production mondiale est en recul constant. Elle est passée du 9e au 15e rang mondial entre 1989 et 2011. Elle n'est plus que le 3e producteur européen d'acier derrière l'Allemagne et l'Italie. On ne peut faire le constat d'un tel déclin sans le lier à celui de l'industrie française en général. La santé de la sidérurgie dépend de la vitalité des industries en aval : l'automobile, la mécanique, la construction constituent les débouchés naturels de cette filière industrielle. À cet égard, les difficultés de la sidérurgie française sont intimement liées à la désindustrialisation de la France.
Parallèlement à cette tendance de long terme, la filière sidérurgique française fait face à une grave crise conjoncturelle due au ralentissement de l'économie européenne. On dit souvent de la sidérurgie qu'elle est un indicateur avancé des marchés. C'est parce qu'elle dépend de nombreux secteurs très sensibles à l'évolution de la conjoncture. La crise économique de 2008, qui a entraîné un important repli des marchés automobile et aéronautique, a eu un impact fort sur la sidérurgie française qui a vu la demande diminuer de 50 % en un an. En 2012, elle demeure inférieure de 25 % à son niveau d'avant-crise. Le marché européen se trouve ainsi en situation de surcapacité productive, ce qui pèse à la baisse sur les prix. S'ajoute à cette situation de crise la hausse du prix du fer et du charbon, qui diminue d'autant plus les marges des producteurs.
Toute la chaîne de l'acier n'est pas impactée de la même façon par la crise. Les difficultés rencontrées par les acteurs de la sidérurgie sont particulièrement fortes pour les aciers issus de l'amont de la chaîne de production, que l'on appelle la « filière chaude ». La filière chaude correspond à la production des aciers dits de commodité, des produits semi-finis dont la qualité est uniforme quel que soit le lieu de production ou le savoir-faire de la main-d'oeuvre. La perte de compétitivité a été moins marquée pour les aciers issus de la filière froide, qui constituent des aciers dits de spécialité. Ces aciers qui se situent davantage en aval de la chaîne de production et disposent d'un grand nombre de débouchés industriels, sont soumis à une concurrence sur les prix moins forte que les aciers de commodités.
Dans ce contexte, quelles sont les perspectives d'avenir pour la filière sidérurgique française ? Je voudrais évoquer, dans un premier temps, le cas de Florange, dont les problématiques sont très similaires à celles des autres sites.
Il ressort de la lecture du rapport de M. Pascal Faure remis au ministre du Redressement productif, mais aussi des auditions que votre rapporteur a menées, que le site de Florange a encore un avenir industriel particulièrement intéressant. Il présente des faiblesses, notamment en ce qui concerne sa capacité à produire des aciers de commodités compétitifs. La phase liquide du site est globalement plus ancienne que celle des deux autres sites français du groupe ArcelorMittal, Dunkerque et Fos-sur-Mer. Alors que les deux sites côtiers ont connu des travaux de modernisation il y a moins de 10 ans, les dernières rénovations des hauts-fourneaux du site de Florange datent des années 1990. La fermeture des hauts-fourneaux ayant été programmée par le groupe Arcelor dès 2003, peu d'investissements de transformation ou de croissance ont été effectués. En comparaison, les hauts-fourneaux de Fos-sur-Mer et Dunkerque, qui ont bénéficié d'investissements importants au cours de la dernière décennie, sont plus modernes et donc plus compétitifs. Leur position géographique stratégique permet de réduire les coûts liés au transport des matières premières et des produits semi-finis.
Les faiblesses du site de Florange sont compensées par des avantages compétitifs trop rarement mis en avant. Florange dispose de deux atouts principaux qui donnent un sens à la pérennisation du site. Son implantation géographique, au coeur du bassin industriel lorrain, lui permet d'être à proximité de ses principaux clients : constructeurs automobiles français et allemands mais également clients de sa filière packaging situés dans le nord de l'Europe. Dans le secteur de la sidérurgie, cet avantage est essentiel. Il garantit une grande réactivité en cas de tensions sur le marché et limite les coûts liés au transport. Le dynamisme industriel de la Vallée de Fensch, où se situe Florange et qui accueille également les groupes Tata Steel (Hayange) et Thyssen Krupp, témoigne de l'intérêt que portent les sidérurgistes pour cette région. La localisation du site de Florange lui permet également de s'insérer dans le « cluster lorrain » du groupe ArcelorMittal. Conserver ce site a donc un sens économique pour le leader mondial de l'acier, qui dispose également dans la région d'un important site de recherche et développement, Maizières-lès-Metz, employant 600 personnes.
Le second avantage compétitif du site de Florange réside dans la qualité des aciers issus de sa filière froide reconnus pour leur qualité et leur haute technicité. Dans le domaine du packaging, l'équipement industriel du site permet une production de qualité hautement diversifiée. Des investissements ont été réalisés afin d'améliorer l'ensemble des outils de production de la filière « finishing ». D'autres sont en cours de réalisation afin de permettre au site de Florange de produire de l'Usibor, l'un des aciers les plus innovants du groupe ArcelorMittal dans le domaine automobile. Soulignons également la proximité avec le centre de recherche de Maizières-lès-Metz, qui permet le développement de projets innovants grâce à un aller-retour entre recherche et production.
La stratégie d'ArcelorMittal vis-à-vis de l'usine de Florange est claire. Lors du comité central d'entreprise qui s'est tenu le 1er octobre dernier, la direction d'ArcelorMittal a annoncé que le groupe souhaitait arrêter définitivement les deux hauts-fourneaux du site de Florange afin de concentrer la filière liquide sur les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer. Souhaitant réduire le nombre de hauts-fourneaux pour garantir une utilisation optimale de chacun d'entre eux, ArcelorMittal fait le choix des installations les plus performantes et les modernes.
Il est important de rappeler que l'arrêt de la filière chaude de Florange n'est pas synonyme d'une fermeture du site. Elle n'emploie actuellement que 629 salariés sur un total de 2 500. C'est la filière froide, de laquelle sont issus les aciers spécialisés à haute valeur ajoutée, qui constitue l'activité principale du site lorrain. Lors de l'annonce du plan, le groupe ArcelorMittal a réaffirmé sa volonté de pérenniser la filière froide du site de Florange en la maintenant au sein du groupe. Si la direction accepte le principe d'une reprise de l'ensemble de filière liquide (hauts-fourneaux, cokerie, agglomération du minerai et aciérie), l'hypothèse d'une cession de l'ensemble du site intégré n'est aujourd'hui pas à l'ordre du jour.
À la suite de l'annonce d'ArcelorMittal pour le site de Florange, le gouvernement français s'est engagé à tout mettre en oeuvre pour empêcher la mise à l'arrêt des deux hauts-fourneaux lorrains. Il a réussi à négocier avec la direction du groupe ArcelorMittal l'ouverture d'une phase de recherche de repreneur pour l'ensemble de la filière liquide d'une durée totale de soixante jours. Les recherches ont été confiées à M. Pascal Faure, auteur du rapport sur « la filière acier en France et l'avenir du site de Florange » précité. La phase de recherche de repreneur s'achèvera au mois de décembre.
Quelle que soit l'issue des recherches de repreneur pour la filière liquide, le gouvernement doit se montrer attentif à ce que les investissements nécessaires à la pérennisation de la filière froide de Florange soient réalisés. Au cours des auditions, ArcelorMittal n'a pas confirmé qu'il engagerait les investissements nécessaires à la consolidation de la filière froide du site de Florange. Il est pourtant vital que certains investissements, d'un montant total d'environ 40 millions d'euros, soient garantis pour assurer la pérennité de la filière froide.
Si les recherches menées par M. Pascal Faure devaient ne pas aboutir, des engagements fermes devraient également être obtenus sur l'avenir des 629 salariés concernés par la fermeture des hauts-fourneaux.
Les perspectives d'avenir pour l'ensemble de la sidérurgie française font écho à celles du site de Florange. S'agissant de l'amont de la filière sidérurgique, c'est-à-dire la production d'aciers de commodités, la tendance n'est pas à la croissance des volumes produits en France compte tenu de la situation de surcapacité du marché européen. Néanmoins, les sites de Dunkerque et de Fos-sur-Mer ont tous les atouts pour demeurer compétitifs au niveau mondial. Situés sur les côtes maritimes, ils bénéficient de coûts logistiques, liés à l'importation du minerai, relativement faibles. En outre, les outils de production sont modernes puisque les sites ont bénéficié d'investissements significatifs au cours de la dernière décennie. Enfin, la stratégie de concentration des sites de production mise en place par ArcelorMittal devrait accroître la compétitivité de ces deux sites en permettant à leurs hauts-fourneaux de tourner à pleine capacité.
L'évolution future du marché mondial de l'acier pourrait poser des difficultés à la filière française. Le marché intérieur chinois, qui absorbait jusqu'à présent l'essentiel de la production chinoise, pourrait bientôt arriver à saturation. Le risque est important que les entreprises chinoises se lancent à la conquête des marchés européens, déjà particulièrement déprimés, en pratiquant des prix face auquel des entreprises européennes ne pourraient rivaliser. Les sidérurgistes français recommandent d'être particulièrement vigilants sur ce point. L'Union européenne doit anticiper des pratiques de dumpings en établissant dès à présent des règles strictes. Ainsi, nous éviterions de reproduire le triste exemple du photovoltaïque.
Toute autre est la situation de l'aval de la filière, c'est-à-dire la production d'aciers de spécialité. Cette production possède un réel avenir sur le territoire français. Les aciers issus du site de Florange, qui bénéficient des travaux d'innovation du site de Maizières-lès-Metz sont mondialement reconnus pour leur fiabilité. La France dispose encore de toutes les compétences permettant à la filière sidérurgique de prendre sa place dans la concurrence mondiale sur les produits à haute-valeur ajoutée.
Cependant, l'avenir de la filière froide en France dépend de deux paramètres cruciaux. Le premier paramètre est le dynamisme des marchés avals. Si ces derniers devaient durablement se contracter, la filière froide de la sidérurgie française serait nécessairement impactée. Il apparaît donc nécessaire que les pouvoirs publics s'engagent pour soutenir l'activité en France sur le marché du rail et de l'automobile notamment. En matière ferroviaire, la puissance publique, qui dispose d'un pouvoir de donneur d'ordre quasi-monopolistique à travers RFF, doit montrer l'exemple dans ses relations avec ses sous-traitants. Le second paramètre est la disponibilité des compétences humaines pour maintenir une filière technologiquement exigeante. La France est parvenue, jusqu'à présent, à préserver les métiers de la sidérurgie sur le territoire. Cependant, à l'image de ce que l'on observe dans d'autres filières industrielles, les nombreux départs à la retraite prévus dans les prochaines années font courir le risque d'une extinction des compétences et des savoir-faire. Le constat est unanime : l'industrie manque de main-d'oeuvre. Réorientons le système français de formation vers les enseignements techniques et donnons à nos jeunes l'envie de travailler dans la sidérurgie !