Nous avons le plaisir de recevoir ce matin M. Hael Al Fahoum, Ambassadeur, chef de la mission de Palestine en France. Je vous remercie, Monsieur l'Ambassadeur, d'avoir bien voulu accepter mon invitation.
Je tiens à préciser que nous avons également convié l'Ambassadeur d'Israël en France, qui ne pourra venir la semaine prochaine en raison de la célébration du 66ème anniversaire de l'indépendance d'Israël, mais devrait être auditionné le 11 juin par notre Commission.
Je crois que nous pourrions commencer par évoquer l'accord inter-palestinien du 23 avril qui prévoit la formation d'un gouvernement d'entente nationale, l'organisation d'élections dans les territoires palestiniens et la restructuration de la direction de l'Organisation de libération de la Palestine. Vous nous éclairerez, je l'espère, sur sa genèse. Notre souhait est de voir les efforts de réconciliation inter-palestinienne permettre l'organisation rapide d'élections nationales, qui devraient conforter la légitimité des institutions palestiniennes.
La France est prête à travailler avec tout gouvernement engagé en faveur de la non-violence et d'une solution à deux Etats. Nous recueillerons avec intérêt votre analyse des conditions d'intégration du Hamas au processus politique et des principes qui guideront l'action d'un futur gouvernement. Par ailleurs, quel soutien l'Union européenne peut-elle apporter dans la perspective des élections qui sont envisagées ?
Il faut souhaiter que 2014 ne soit pas une année blanche pour la paix, et je pense que l'unité palestinienne peut, si les conditions nécessaires sont réunies, renforcer la viabilité d'un futur accord. Les pourparlers avec Israël sont suspendus, alors que la situation s'aggrave sur le terrain. Quelles sont, selon vous, les conditions qui permettraient la reprise des négociations, à laquelle Mahmoud Abas ne s'est pas déclaré fermé ?
Enfin, nous serons très attentifs à ce que vous pourrez nous dire sur la situation en Cisjordanie et à Gaza, au plan politique, économique, financier et sécuritaire.
Son Excellence M. Hael Al Fahoum. C'est pour moi un plaisir et un honneur de m'adresser à vous aujourd'hui. Je tiens tout d'abord à vous remercier pour cette opportunité, la deuxième que vous m'accordez depuis ma prise de fonction, il y a de cela bientôt 4 ans.
Depuis ma première audition devant la Commission des Affaires Étrangères, en mai 2011, quelques évolutions significatives sont intervenues de notre côté : l'adhésion de la Palestine en tant qu'État membre de l'UNESCO, en octobre 2011 - et le vote historique en novembre 2012, à l'Assemblée générale des Nations Unies, en faveur de l'admission de la Palestine en tant qu'État observateur à l'ONU. La Palestine a également pu adhérer à 15 traités des Nations Unies. En revanche, rien n'a changé dans les positions israéliennes que je décrivais en 2011, face à cette Commission. Cette intervention a pour objet essentiel d'attirer votre attention et d'essayer de répondre ensuite aux questions qui pourraient vous interpeller sur la situation actuelle, c'est-à-dire l'état des négociations, du processus de paix, qui dure encore depuis 20 ans, mais aussi de la réconciliation qui vient d'être annoncée entre l'OLP et le Hamas.
Vous n'êtes pas sans savoir que le secrétaire d'État américain John Kerry déploie depuis 9 mois des efforts appréciables, depuis la reprise des négociations entre l'OLP et le gouvernement israélien, en vue de parvenir à un accord final. Les Américains nous avaient donné des assurances que ces négociations menées sur la base des frontières de 1967 incluraient l'ensemble des points, tels que les réfugiés et Jérusalem. Ces points sont, comme vous le savez, essentiels à l'aboutissement d'un accord final, juste et viable. Le Président Mahmoud Abbas prit alors une douloureuse décision, à savoir le report du recours d'adhésion aux organisations des Nations Unies et des Conventions internationales qui faisait logiquement suite à notre reconnaissance en tant qu'État observateur par les Nations Unies, y compris par la France. Le report de ce recours s'est fait en échange de la libération par le gouvernement israélien de 104 prisonniers pré-Oslo, dont des natifs palestiniens d'Israël. Jusqu'à ce jour, 30 d'entre eux n'ont toujours pas été libérés.
Depuis le début de ces négociations, le gouvernement israélien n'a eu de cesse de les saboter, en poursuivant une politique de colonisation effrénée du Territoire occupé. 55 000 nouveaux colons ont été installés sur notre terre au cours de ces 9 derniers mois. Le gouvernement israélien a par ailleurs continué de tuer, de blesser et d'emprisonner des Palestiniens, de confisquer des terres palestiniennes, d'assoiffer et d'interdire l'accès à l'eau à des milliers de Palestiniens et de détruire des maisons palestiniennes. Pensez-vous que dans ces conditions, le gouvernement israélien ait adopté durant ces 9 mois l'attitude convenable d'un gouvernement souhaitant mettre fin à l'occupation ? Ou au contraire, cette attitude est-elle celle d'un gouvernement qui cherche tout simplement à passer de l'état d'occupation à celui d'annexion ? Pensez-vous qu'il a adopté l'attitude convenable vers la reconnaissance de la solution de deux États ? Depuis 9 mois, le gouvernement du Premier Ministre Netanyahu a au contraire utilisé tous les moyens possibles pour consolider son régime d'apartheid.
Existe-t-il un autre mot pour qualifier ce système discriminatoire et ségrégationniste, prenant tout un peuple en otage, système imposé à notre pays par le gouvernement de l'État d'Israël ?
Malgré l'oppression et les souffrances quotidiennes que nous subissons chaque instant au vu et au su de la communauté internationale, nous demeurons entièrement attachés à une politique non-violente, à un processus de négociations dont l'aboutissement serait la garantie d'une paix juste et définitive entre nos deux peuples, palestinien et israélien, ainsi qu'à une solution de deux États qui, au rythme actuel de la colonisation, devient de plus en plus irréaliste.
La semaine dernière, utilisant notre réconciliation nationale comme un prétexte, le Premier Ministre Netanyahu a décidé de mettre fin au processus de négociation. Si ce gouvernement israélien était sincèrement intéressé par la paix, il aurait au contraire considéré cette réconciliation comme une opportunité pour la paix, et non comme une opportunité pour un nouveau report. Lors du vote pour l'admission de l'État de Palestine comme observateur à l'Assemblée générale des Nations Unies, le 29 novembre 2012, le représentant de la France avait rappelé que " contribuer aux perspectives de la paix, [...] c'est progresser, sur la base des engagements de l'OLP, vers une réconciliation inter-palestinienne sans laquelle la solution de deux États n'est qu'un mirage". Mahmoud Abbas, suite à la réconciliation, a d'ailleurs annoncé que le nouveau gouvernement, composé de technocrates sans appartenance politique, respecterait les engagements pris par l'OLP.
Le Conseil central de l'OLP s'est réuni le week-end dernier, et a décidé que la reprise des négociations était possible, sur la base du respect par Israël de ses engagements et obligations, y compris la mise en oeuvre des accords signés, la conformité non équivoque des frontières de 1967, ainsi que celle des résolutions de l'ONU, la libération de la 4e vague de prisonniers politiques, et le gel des colonies.
Malgré les menaces israéliennes, et malgré la campagne agressive menée à l'égard du processus de réconciliation nationale, le Conseil central de l'OLP a réaffirmé le droit souverain de la Palestine à acquérir son indépendance par le biais de moyens juridiques et diplomatiques et non-violents, incluant une résistance populaire et l'utilisation de vecteurs internationaux, comme un aboutissement du rehaussement de son statut en tant qu'État observateur aux Nations Unies, voté en novembre 2012 à l'Assemblée générale de l'ONU. Après 47 ans d'une occupation belliqueuse, après 66 ans d'exil, nous devons à notre peuple le respect de leurs droits, que nous recherchons par tous les moyens légitimes possibles.
Le gouvernement israélien, formé par une coalition représentative des parties les plus extrémistes de la société israélienne, y compris les colons, n'a jamais fait de la paix une priorité stratégique objective.
Je saisis l'occasion pour remercier très chaleureusement la France, ses institutions et sa société civile, pour tous les efforts accomplis pour la libération de Marwan Barghouti et de l'ensemble des prisonniers palestiniens, à travers les nombreuses actions de soutien. Cette solidarité à nos côtés fait honneur à la France, et aux Français. Je tiens également à saluer les nombreuses personnalités françaises qui ont signé l'appel de Robben Island pour la libération de Marwan Barghouti et de l'ensemble des prisonniers palestiniens, et à leur tête Monsieur le Premier Ministre Michel Rocard. Je salue également la très appréciable diplomatie des territoires mise en oeuvre en France, par laquelle de nombreuses coopérations et partenariats ont été établis entre nos deux pays, au travers des accords bilatéraux, mais également par la décentralisation.
Nous sommes persuadés que la communauté internationale doit aujourd'hui accomplir ce qui est nécessaire pour qu'Israël comprenne que le choix d'une politique de colonisation et d'apartheid a un prix, qui devra se traduire politiquement, juridiquement et économiquement.
Jean-Pierre Dufau. Monsieur l'Ambassadeur, vous avez rappelé que cette situation dure et ne trouve pas de solution depuis près de 70 ans. Chacun appelle de ses voeux une paix durable, avec raison, car ce différend a des répercussions dans le monde entier. Pourriez-vous nous éclairer sur les raisons profondes et récentes du gel des négociations ? Je crois qu'il vaut mieux en la matière parler de pause que d'arrêt des discussions. Quelles seraient selon vous les voies et moyens d'une reprise du dialogue ? Il me semble à ce titre que la réconciliation inter-palestinienne pourrait permettre de parler d'une seule voix, et s'engager de manière responsable vers une solution à deux Etats.
Enfin, quel pourrait être le rôle joué par la France, et l'Union européenne, dans ce processus ?