À l'image d'autres pays européens, la France a engagé depuis plus d'une décennie une baisse du montant des contributions, tant sociales que fiscales, des entreprises. Après l'exonération de 22 milliards d'euros, intervenue en 2003, des cotisations employeurs sur les salaires inférieurs à 1,6 SMIC, et les 6 milliards de baisse de la taxe professionnelle – TP –, les entreprises ont obtenu, comme suite au rapport Gallois, la mise en place du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi – CICE –, qui représente 20 milliards d'euros par an en année pleine.
L'évaluation des différentes mesures mises en place depuis la création en 1993 de la première exonération des cotisations sociales patronales sur les bas salaires montre les limites des politiques de baisse du coût du travail sur la création d'emplois et la compétitivité.
Le dispositif de 1993, qui prévoyait une exonération des cotisations familiales patronales pour les salaires allant jusqu'à 1,1 SMIC, aurait créé ou conservé entre 150 000 et 460 000 emplois en cinq ans. L'allégement Fillon de 2003 aurait créé ou sauvegardé entre 250 0000 et 500 000 emplois en cinq ans.
Si toutes les études constatent un effet positif de ces mesures sur l'emploi, elles pointent également des effets indésirables : un tassement des salaires au voisinage du SMIC – le fameux effet de « trappe à bas salaires » –, une création d'emplois mal rémunérés et précaires, un coût très élevé pour les finances publiques.
Les 22 milliards d'euros d'allégements de cotisations sur les bas et moyens salaires représentaient en 2010 un coût annuel par emploi créé ou sauvegardé de 75 000 euros, soit un montant bien supérieur au coût des emplois aidés, estimé à environ 10 000 euros par contrat conclu dans le secteur non marchand et à 7 000 euros pour les aides à l'emploi dans le secteur marchand. Un constat analogue peut être fait s'agissant du CICE : l'Observatoire français des conjonctures économiques a évalué l'effet sur cinq ans du dispositif à 150 000 emplois créés pour un coût annuel de 20 milliards d'euros à compter de 2014, soit 130 000 euros par an et par emploi.
Il est légitime de s'interroger sur la pertinence de ces dispositifs, surtout quand les diminutions sont instaurées sans contreparties, ce qui est le cas pour le CICE. L'argument de la compétitivité est discutable, car on néglige dans le calcul d'autres éléments qu'il faudrait prendre en compte, comme le coût du capital et l'innovation.
Si l'objectif est de renforcer les marges des entreprises industrielles, il est hasardeux d'affirmer que les entreprises utiliseront ces marges pour investir en France ou se consacrer à la recherche et développement. Pourquoi le feraient-elles, dans un contexte d'atonie de la demande, aggravé par les effets dépressifs des mesures annoncées, qui pèseront sur la demande des ménages comme sur la commande publique ?
Dans une situation qui, à l'échelle de la zone euro, rend impossible les ajustements monétaires, la tentation est grande de faire du coût du travail l'unique variable d'ajustement et de se lancer dans une course à la compétitivité-coût en faisant simultanément pression sur les dépenses publiques et sur les salaires.
Au « Pacte de responsabilité », qui accentue la politique de baisse de coût du travail, la présente proposition de loi vise à substituer une nouvelle philosophie, fondée sur des prélèvements sociaux et fiscaux réorientés dans un cadre vertueux pour l'emploi, la formation et l'investissement productif.
La « course à l'échalote » vers un coût du travail toujours plus bas ne pourra être gagnée tant que se maintiendra la distorsion actuelle dans le partage de la valeur ajoutée. En quelques décennies, celui-ci s'est déplacé de près de 10 points de PIB du travail vers le capital et, à l'intérieur du capital, vers les dividendes et les intérêts bancaires. Au regard du PIB actuel, 200 milliards d'euros ont basculé du facteur travail vers le facteur capital, sans que l'investissement productif progresse substantiellement.
La réforme des députés du Front de gauche suppose à la fois une rénovation de l'impôt sur les sociétés – IS –, la création d'un nouvel impôt territorial des entreprises et une évolution de la base de l'impôt sur la fortune – ISF.
Le texte présente un premier volet de mesures fiscales en proposant de substituer tout d'abord au taux normal unique de l'IS, qui tient trop peu compte de la capacité contributive des entreprises, une échelle instaurant une certaine progressivité. Nous souhaitons que les plus petites entreprises voient leur taux normal d'IS diminuer et que cet effort budgétaire soit compensé par un effort accru des plus grandes. Nous reprenons à notre compte un engagement de campagne du Président de la République, qui avait annoncé qu'il mettrait en place « trois taux d'imposition différents sur les sociétés : 35 % pour les grandes, 30 % pour les petites et moyennes, 15 % pour les plus petites ». Le Pacte de responsabilité prévoit que le taux normal sera réduit de 33,13 % à 28 % en 2020, mais nous regrettons que l'idée de taux différenciés ne soit pas mise en oeuvre.
L'article 1er est un article d'appel, qui vise à engager un débat constructif sur la contribution respective des différentes catégories d'entreprises. Cette préoccupation déborde largement les rangs du groupe GDR.
Le critère du chiffre d'affaires retenu dans le texte est certes imparfait, d'autant que le taux facial n'est qu'un aspect de l'enjeu. Il faut aussi se pencher sur l'assiette, l'efficacité et la pertinence des dispositifs d'exonération, comme des taux majorés ou réduits qui s'appliquent déjà à certains bénéfices.
Pour décourager les entreprises qui privilégient la logique de court terme des marchés au détriment de l'intérêt général, le deuxième article vise à majorer de 5 points le taux normal d'IS pour les sociétés reversant plus de 10 % de leurs bénéfices à leurs actionnaires sous forme de dividendes. Dans un article récent, l'économiste Christian Chavagneux a montré qu'en 2013, les distributions de dividendes opérées par les entreprises du CAC 40 ont crû de 6 %, alors même que leurs profits diminuaient de 8 %. Les quelque 39 milliards d'euros distribués représentaient 80 % de leurs profits. À la fin des années 1980, les entreprises non financières distribuaient environ 30 % de leurs bénéfices, contre près de 85 % en 2012. En trente ans, le taux de distribution n'a cessé de croître. Le montant des distributions représente désormais 2,6 fois celui des investissements, contre seulement la moitié au début des années 1980.
La modulation de l'IS en fonction de l'usage des bénéfices était un autre engagement de campagne du Président de la République, qui avait promis : « Une distinction sera faite entre les bénéfices réinvestis et ceux distribués aux actionnaires. » Rien – surtout pas l'orientation générale de la politique fiscale issue du Pacte de responsabilité et de solidarité – ne laisse augurer que cet engagement finira par être tenu.
L'article 3 propose de réexaminer la question de la déductibilité des charges financières. Celle-ci est le principal facteur expliquant l'écart entre le taux de taxation implicite des grandes entreprises, soit 24,9 %, et leur taux de taxation implicite théorique, qui est de 34,4 %. C'est également la première cause de l'écart entre le taux implicite de taxation des grandes entreprises et celui des PME, qui atteint 42,4 %. Combinée à d'autres dispositifs, la déductibilité des charges financières est potentiellement un facteur puissant d'optimisation fiscale.
L'article 23 de la loi de finances pour 2013 a ajouté aux règles anti-abus préexistantes un encadrement de portée générale, sous la forme d'un rabot. Une fraction des charges financières nettes – 15 % en 2013, puis 25 % à compter de 2014 – doit désormais être réintégrée au résultat imposable. Afin de préserver les PME, le rabot ne s'applique que lorsque le montant des charges financières nettes de l'entreprise excède 3 millions d'euros. Nous proposons de substituer à ce mécanisme un plafonnement inspiré du modèle allemand, à l'image de celui adopté par le Sénat fin 2011, dans le projet de loi de finances pour 2012.
La substitution de ce plafonnement au rabot actuel aurait au moins deux mérites. Elle augmenterait le rendement du dispositif pour le budget de l'État. S'appuyant sur des calculs de la direction générale des finances publiques – DGFIP –, le Conseil des prélèvements obligatoires – CPO –, dans son rapport de 2010, évalue le surplus de recettes fiscales à plus de 11 milliards sur trois ans, alors que le rabot existant ne rapporterait que 2 milliards par an. D'autre part, le dispositif proposé ne comporte pas, à la différence du droit existant, d'exceptions préjudiciables à son efficacité.
Si ce système ne rencontrait pas l'assentiment de la majorité, nous sommes tout disposés à envisager pour le futur une solution alternative en modifiant le droit existant dans ses modalités et non dans son principe. On pourrait par exemple supprimer les exceptions, sous réserve d'abaisser également le taux de 75 % à 50 %.
Le texte formule en second lieu des propositions relatives à la modulation des cotisations sociales. On pourrait instaurer, par la voie d'un dispositif sans doute imparfait, deux cotisations sociales additionnelles annuelles, assises sur la masse salariale et applicables aux sociétés immatriculées au registre du commerce et des sociétés.
Nous avons péché par excès de prévention à l'égard des règles de recevabilité financière, car la logique voudrait que nous proposions également une modulation à la baisse des cotisations sociales. Il s'agirait de moduler les cotisations des entreprises en fonction des choix que celles-ci opèrent dans la répartition des richesses. Les entreprises privilégiant la rémunération du capital sur celle du travail seraient soumises à deux cotisations additionnelles. L'une serait calculée en fonction de l'évolution du ratio de répartition des richesses de l'entreprise par rapport à l'évolution moyenne de ce ratio à l'échelle nationale. L'autre dépendrait de l'écart constaté avec les pratiques des autres entreprises du même secteur.
Ces propositions accroîtraient de façon pérenne les recettes de cotisations sociales au profit de l'emploi, des salaires et des qualifications, tout en faisant reculer les effarants gaspillages financiers actuels.
Les amendements déposés sur les articles nous permettront de débattre au fond.
Enfin, nous proposons, dans le cadre du changement d'architecture des prélèvements sociaux et fiscaux des entreprises, de revenir sur deux dispositifs emblématiques : le CICE et les allégements dits « Fillon ».