Intervention de Jean-Yves le Drian

Réunion du 6 mai 2014 à 16h30
Commission des affaires étrangères

Jean-Yves le Drian, ministre de la défense :

Madame Dagoma, le président Déby m'a expliqué, après qu'il l'ait décidé, sa décision de retirer le contingent tchadien de RCA. Alors que les forces tchadiennes avaient subi en Centrafrique des pertes que l'opinion publique n'acceptait pas, le Tchad a été ulcéré par les reproches que lui ont adressés des membres du gouvernement de Mme Catherine Samba-Panza après l'incident dont j'ai fait état. Cette décision répondait donc aussi à des considérations de politique intérieure au Tchad, où le président Déby était interpellé sur la permanence de la présence de troupes tchadiennes en RCA alors qu'aucun processus de réconciliation nationale n'est en vue. La MISCA tente, avec difficulté, de compenser le vide laissé par ce départ ; des soldats burundais supplémentaires devraient venir renforcer son effectif.

M. Dupré et M. Terrot m'ont interrogé sur l'attitude de l'Algérie vis-à-vis du Mali. Avant l'élection à la présidence algérienne, des initiatives ont été prises concurremment par l'Algérie et le Maroc, avec ou sans l'accord du président Ibrahim Boubacar Keita, dans le but d'engager la réconciliation avec les groupes armées signataires de l'accord de Ouagadougou. On perçoit mal le résultat de ces initiatives à ce jour, mais l'Algérie souhaite manifestement jouer un rôle dans le processus de réconciliation nationale au Mali. Le président Ibrahim Boubacar Keita et le ministre de la défense malien se sont rendus à Alger. Une tentative d'action commune a eu lieu et, depuis la formation du nouveau gouvernement malien, des discussions ont été engagées avec certains groupes du Nord. Je compte me rendre en Algérie sous peu ; je traiterai de cette question avec mes interlocuteurs, ainsi que de la régionalisation de notre dispositif, puisqu'elle entraînera l'installation d'une base avancée à Tessalit, très près de la frontière algérienne. L'Algérie a recommencé à être un acteur diplomatique dans la région, mais sa Constitution interdit que son armée quitte son territoire ; tout au plus les forces spéciales algériennes peuvent-elles exercer un droit de suite.

Le traitement des fonctionnaires centrafricains a été assumé, non sans mal, par un collectif d'États voisins.

Les cartes qui vous sont utiles vous seront transmises, monsieur Loncle.

La conférence des donateurs pour le développement du Mali a permis de réunir 3,2 milliards d'euros de dons, dont la moitié a été décaissée. Ces fonds sont l'objet d'un contrôle très strict et nous n'avons aucun indice de prévarication. La répartition de ces fonds participe de la réconciliation nationale : une partie de cet argent doit aller au Nord, mais ce n'est pas le cas, parce que, comme l'a souligné à juste titre M. Destot, la population de Bamako est opposée à la réconciliation, si bien que les autorités politiques sont bloquées. Il faut souhaiter que le gouvernement malien prenne les initiatives nécessaires pour favoriser une réconciliation effective.

La somme de 450 millions d'euros inscrite au budget de la défense pour les OPEX en 2014 tenait compte de la décroissance significative de notre effectif au Mali et de la fin des opérations en Afghanistan. La loi de programmation militaire prévoit que le financement de toute nouvelle opération extérieure serait mutualisé. Pour Sangaris, un complément budgétaire devrait être trouvé en fin d'année pour la financer. Le coût de Sangaris est estimé à 230 millions d'euros pour l'année 2014. Le coût de Serval et des opérations dans la bande sahélo-saharienne est de l'ordre de 140 millions d'euros pour les quatre premiers mois de 2014. Mais je rappelle que nous avions au Mali un effectif initial de 5 000 soldats, et que ce nombre sera progressivement réduit à un millier.

Une fois la réorganisation achevée, le dispositif changera d'appellation puisqu'il prendra en compte Serval, Sabre et Epervier ; nos 3 000 militaires resteront dans la bande sahélo-saharienne dans la durée, aussi longtemps que nécessaire. Ne font pas partie de ce dispositif les forces stationnées à Abidjan – qui ne seront pas amoindries mais au contraire renforcées, monsieur Lellouche. Elles diminueront en revanche à Libreville. Les unités positionnées à Abidjan, Libreville et Dakar seront des forces de présence, donc hors du budget Opex.

Dans quelques postes isolés au nord de la bande sahélo-saharienne seront stationnées des unités en petit nombre, appelées à jouer un rôle de veille plutôt qu'un rôle opérationnel. C'est le cas aujourd'hui à Faya-Largeau où sont positionnés une trentaine de militaires. Nous n'avons pas identifié de risques particuliers pour ces emprises. Les groupes terroristes rassemblent, en tout, quelque 400 combattants entre le nord Mali et les alentours. Ils sont bien moins nombreux qu'ils n'étaient à l'origine, et dans une situation beaucoup plus difficile. L'accord franco-malien qui va être renouvelé est un accord classique bilatéral ; il porte sur la formation, l'échange de stagiaires et des exercices. Il ne s'agit pas du SOFA signé il y a un an et qui fixe le contour juridique de notre présence sur le territoire malien.

J'en viens, à la demande de M. Destot et de M. Charasse, à la stratégie de sortie de RCA. Le pays, composé de plusieurs ethnies et religions, n'a jamais été vraiment structuré sur le plan institutionnel. Dans ce contexte, le scénario qui me paraît le meilleur est de tenir une conférence nationale de réconciliation – à laquelle tout le monde devrait participer, sans exclusive – qui pourrait conduire à modifier la structure gouvernementale centrafricaine, actuellement caractérisée par une très faible représentation de la population musulmane. Cette conférence pourrait se tenir sous l'égide de l'ONU, de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale et de l'Union africaine, avec pour grands témoins les chefs d'État des pays voisins, et le soutien de la France. La Conférence fixerait le calendrier électoral ainsi que le dispositif permettant que les armes non encore collectées soient rendues. Ensuite viendrait la préparation de l'élection présidentielle, prévue en février 2015 par la résolution 2149 du Conseil de sécurité des Nations Unies sans que l'on soit sûr que cette date puisse être tenue. Dans ce cadre, l'opération de maintien de la paix permettrait la restructuration de l'État avec un gouvernement représentatif des différentes composantes ethniques et religieuses de la population centrafricaine. C'est la seule issue possible.

Les engins explosifs improvisés au Mali sont des fabrications « artisanales » faites localement.

Nous payons les coûts de notre intervention au Mali et l'Union européenne paye les coûts d'EUTM, monsieur Bacquet, et il en ira de même en RCA – même si, parfois, les contributions se font « en nature », sous forme par exemple de soutien logistique.

Certains milieux ont une posture anti-française, mais nos soldats sont globalement acceptés et ne subissent pas d'attaques, si l'on excepte celle qui a été commise hier dans la région de Nanga Boguila au nord-ouest de la RCA par des éléments incontrôlés qui les visaient directement. C'était la première fois.

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