Commission des affaires étrangères

Réunion du 6 mai 2014 à 16h30

Résumé de la réunion

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La réunion

Source

Audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, sur la situation en République Centrafricaine et au Mali.

La séance est ouverte à seize heures trente.

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Je remercie M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la défense, d'être à nouveau parmi nous cet après-midi. Il traitera de l'évolution de la situation en République centrafricaine et au Mali, que notre commission suit attentivement, en particulier depuis le déclenchement des opérations Serval et Sangaris.

La situation en RCA s'est fortement détériorée, et l'on note l'aggravation des déplacements de population, au moment où commence la saison des pluies. Alors qu'il y a quelques semaines les haines se cristallisaient sur l'appartenance à des groupes armés, anti-Balaka et ex-Séléka, la crise semble évoluer vers un conflit ouvert fondé sur la religion et l'ethnicité ; est-ce exact ? Dans ce contexte, comment envisager la suite de la mission Sangaris qui avait réussi à rétablir la sécurité à Bangui mais qui comptait sur un relais européen et international ? Les moyens de nos forces sont-ils suffisants ? Éprouvent-elles des difficultés particulières dans certains secteurs ? Quelles sont les conditions de vie de nos soldats, dont je tiens à souligner la compétence, le dévouement et l'engagement ? Pouvez-vous préciser notre dispositif au Mali et son articulation avec les moyens pré-positionnés dans la région sahélienne ?

Nous aimerions aussi des précisions sur l'engagement européen au Mali et en RCA. La mission EUTM-Mali semble être un succès. Êtes-vous satisfaits de son fonctionnement, de ses résultats et de l'implication de nos partenaires européens ? Comment envisagez-vous son avenir ? En Centrafrique, la mission EUFOR-RCA, dont la constitution a été laborieuse, vient d'atteindre sa capacité opérationnelle initiale ; pouvez-vous nous en dire plus sur ses tâches et sur les pays contributeurs ?

Enfin, tant en RCA qu'au Mali, le Conseil de sécurité des Nations unies a créé une opération de maintien de la paix. Au Mali, le déploiement de la MINUSMA est-il satisfaisant ? Comment jugez-vous la participation des États africains et le niveau de coopération avec les forces françaises ? Pour ce qui est de la RCA, nous nous sommes tous réjoui de l'adoption à l'unanimité, sur l'insistance de la France, de la résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies créant une mission de maintien de la paix, la MINUSCA ; la mission, qui doit être opérationnelle en septembre prochain, comprend aussi un volet « humanitaire » et un volet « développement ». Comment cette opération s'articulera-t-elle avec le dispositif actuel de la MISCA, la force de l'Union africaine, dont le Président Idriss Déby a décidé de retirer le contingent tchadien ? Eu égard aux effectifs envisagés – près de 12 000 militaires – la MINUSCA pourra-t-elle atteindre sa pleine capacité opérationnelle dans les temps impartis ?

Avant de vous céder la parole, monsieur le ministre, pour cette audition qui n'est pas ouverte à la presse, je la laisse un instant à M. Pierre Lellouche, comme il me l'a demandé.

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Je déplore, madame la présidente, l'organisation des travaux de l'Assemblée, ainsi conçue que la commission des affaires étrangères reçoit le ministre de la défense au moment où, en séance publique, est discutée la proposition de résolution exprimant la gratitude et la reconnaissance de l'Assemblée nationale pour les actes d'héroïsme et les actions militaires des membres des forces armées alliées ayant pris part au débarquement en Normandie, le 6 juin 1944. Nous assistons à l'audition de M. Jean-Yves Le Drian par respect pour lui et pour nos soldats engagés dans l'action, mais il est regrettable que nous soyons de ce fait empêchés de participer au débat qui se déroule dans l'hémicycle, à quelques jours de la commémoration du 70ème du Débarquement où des dizaines de milliers de soldats alliés ont perdu la vie.

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Ce télescopage est effectivement très fâcheux. Je ferai part de votre observation à M. le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement.

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Jean-Yves le Drian, ministre de la défense

Je partage votre embarras. Mon audition par votre commission était prévue de longue date et j'ai souhaité respecter l'engagement que j'avais pris envers votre commission ; M. Kader Arif, secrétaire d'État chargé des anciens combattants et de la mémoire, me représente en séance publique pour la discussion de la proposition de résolution, dont l'examen a été inscrit vendredi à l'ordre du jour des travaux de votre Assemblée.

Je traiterai pour commencer de la situation au Mali. Si l'actualité médiatique n'est plus centrée sur l'engagement de nos forces au Sahel, notre mission se poursuit avec intensité et obtient des résultats. Ces derniers jours ont été marqués par l'annonce de la mort de Gilberto Rodrigues Leal, enlevé et retenu en otage depuis novembre 2012. Cette annonce émane du groupe terroriste Mujao, qui avait enlevé notre compatriote, et elle n'est pas confirmée ; certaines sources laissent entendre que son décès se serait produit bien avant qu'il ne soit rendu public juste après la libération des journalistes français retenus otages en Syrie. Par ailleurs, nos forces ont récemment libéré cinq employés d'organisations humanitaires pris en otages au Nord du Mali et aux mains des djihadistes depuis plusieurs semaines.

Je ferai un point général en insistant sur les éléments les plus significatifs : l'amélioration de la situation sécuritaire ; l'inquiétante stagnation du jeu politique au Mali, où la réconciliation politique ne progresse pas suffisamment en dépit de quelques modestes signes positifs récents ; la réorganisation en cours de notre dispositif dans les pays de la bande sahélo-saharienne.

Quelques mots sur la situation sécuritaire. La réorganisation du dispositif Serval a été amorcée ; elle se traduit par la diminution progressive de notre effectif au Mali – qui passera de 1 800 à 1 000 hommes – et par la spécialisation dans le contre-terrorisme, avec une stratégie de régionalisation.

Au Sud, dans la boucle du Niger, la situation sécuritaire est globalement normalisée. Au Nord, des groupes armés terroristes, bien que durement frappés et pour certains déstructurés, ont adapté leur mode d'action à un rapport de forces qui leur est extrêmement défavorable. Ils continuent cependant de faire peser une menace sur nos troupes et sur les forces armées maliennes en les harcelant régulièrement par des tirs de roquettes et par l'utilisation d'engins explosifs improvisés. Nous avons réagi en réorganisant notre dispositif à partir de Gao, où nous concentrerons désormais l'essentiel de nos forces ; je me rendrai une nouvelle fois au Mali au cours de ce mois et nous procéderons à ce moment à la fermeture de notre base de Bamako.

Nous conduisons certaines de nos opérations, au Nord, avec les forces armées maliennes et celles de la MINUSMA. Ainsi lors de l'opération Jorasses, pendant trois semaines en mars, une manoeuvre d'ensemble a permis de neutraliser plusieurs groupes terroristes et leurs dirigeants, dont le bras droit de Mokhtar Belmokhtar. Ces interventions, facilitées par l'utilisation des drones Reaper positionnés à Niamey, qui améliorent considérablement la détection et le repérage, attestent de la maturité de la collaboration entre les différentes forces ; elle se traduit par une efficacité démontrée semaine après semaine et qui permet de sécuriser progressivement le territoire.

L'engagement à nos côtés des forces maliennes montre aussi la qualité du travail de la mission européenne de formation de l'armée malienne, EUTM Mali. La première phase a consisté en la formation de quatre bataillons; elle est à présent achevée, le quatrième bataillon étant sorti de Koulikouro fin mars. Quatre bataillons supplémentaires seront formés au cours des deux prochaines années, le mandat d'EUTM ayant été prolongé d'autant. C'est la brigade franco-allemande qui a pris le commandement d'EUTM Mali, témoignage fort de l'européanisation de cette mission. Les bataillons maliens, une fois formés, sont accompagnés dans leur déploiement sur le terrain. Avec 70 militaires, les formateurs français ne constituent plus que 12 % des militaires affectés à cette mission.

La montée en puissance de la MINUSMA, longtemps poussive, s'améliore. Avec le déploiement des compagnies de génie népalaise et cambodgienne, la MINUSMA vient de franchir la barre des 6 000 soldats. L'arrivée prochaine de contingents bangladeshi et néerlandais devrait porter son effectif à 8 000 soldats ce mois-ci, ce qui permettra de couvrir l'ensemble du territoire. On note une participation significative des Pays-Bas, qui ont annoncé l'envoi de 400 soldats aguerris au sein de la MINUSMA, ainsi que des hélicoptères de combat, matériels à l'importance déterminante. Il y a donc tout lieu d'être optimiste ; la MINUSMA atteindra progressivement sa pleine capacité opérationnelle à l'automne.

J'en viens à la nécessaire relance de la réconciliation nationale. Je vous l'avais dit, l'un des facteurs du succès à long terme de notre intervention est la réconciliation avec les populations du Nord. Cette dynamique, indispensable pour faire obstacle à la reconstitution de groupes terroristes, est un défi majeur pour le président Ibrahim Boubacar Keita, et force est de constater que ce processus n'est pas engagé. Les Nations Unies tentent des initiatives mais, sur place, la volonté politique fait défaut. Le récent remaniement gouvernemental pourrait cependant changer la donne, avec la nomination d'un Haut Représentant pour le dialogue inter-malien ; d'autre part, M. Soumeylou Boubèye Maïga, le ministre de la défense, partisan affirmé du dialogue, a été maintenu dans ses fonctions. Je vois là les signes d'un progrès possible. Lors de ma prochaine visite à Bamako, je signerai le nouvel accord de coopération bilatérale entre le Mali et la France.

Sur le plan stratégique, nous poursuivons la réorganisation de notre présence militaire qui, devenue régionale, s'étendra en dehors du Mali aussi au Burkina Faso, en Mauritanie, au Niger et au Tchad. Nous nous réorientons ainsi principalement vers le contre-terrorisme sur l'« autoroute des trafics » utilisée par les groupes de terroristes qui sont aussi des narcotrafiquants et des trafiquants d'armes. Dans la bande sahélo-saharienne stationnera à terme une force de 3 000 soldats français, à partir de quatre pôles d'intervention : Gao, au Mali, et N'Djamena, au Tchad ; Niamey, au Niger ; Ouagadougou, au Burkina Faso. Outre cela, des bases avancées, à Faya-Largeau et à Tessalit par exemple, permettront une meilleure réactivité. L'ensemble sera placé sous un commandement unique positionné au Tchad. Cette réorganisation, une fois achevée, nous conduira à changer le nom de l'opération, puisque nous ne sommes plus dans la logique qui a présidé à Serval mais dans une opération de contre-terrorisme. Nos forces s'appuieront sur la base logistique d'Abidjan et sur celles de Libreville et de Dakar. Il n'y a pas de date limite à notre présence ainsi réorganisée dans la bande sahélo-saharienne.

Cette coordination générale, que j'ai décidée en accord avec le président de la République, a été validée par les chefs d'État des cinq pays considérés. Les chefs d'état-major malien, burkinabais, nigérien, mauritanien et tchadien, réunis en présence du chef d'état-major français des armées, ont rédigé un communiqué commun soulignant « la nécessité d'apporter une réponse régionale et coordonnée aux défis sécuritaires actuels de la zone ». Cela témoigne d'une volonté de coopération inédite.

En Centrafrique, la situation sécuritaire et politique demeure fragile et incertaine en raison de la profondeur de la crise et de la faiblesse des institutions. Mais le soutien international à notre action, après avoir mis du temps à se manifester, commence à se concrétiser. À Bangui, exception faite des quartiers musulmans autour de PK5 et de PK12 et de quelques pics de violence temporaires, le calme est revenu et un début de normalisation s'est amorcé. Cependant, la tension demeure vive et des incidents, parfois violents, peuvent éclater à n'importe quel moment, principalement sous l'effet de la radicalisation du mouvement anti-balaka. C'est d'ailleurs après un incident de ce type, au cours duquel un convoi tchadien, répondant à une provocation, a causé plusieurs morts, que le président Déby a décidé le retrait de son contingent de la MISCA.

En province, la route reliant Bangui à la frontière camerounaise est désormais ouverte et fluide, ce qui permet la reprise progressive du trafic routier, et avec elle l'amélioration de la vie économique de la capitale et surtout l'acheminement des denrées alimentaires indispensables pour rétablir une situation qui demeure très précaire.

L'Ouest est plutôt calme, mais nous y maintenons un dispositif pour éviter toute confrontation inter-ethnique et dissuader les coupeurs de routes et autres criminels d'agir. Au centre du pays, zone contestée entre les ex-Séléka qui se replient vers le Nord-Est et les anti-balakas qui occupent progressivement le vide, la situation reste tendue, notamment sur la ligne Sibut-Grimari ; aussi y avons-nous déployé un groupement tactique interarmes, en collaboration avec la MISCA. Au nord de Bossangoa, le départ des troupes tchadiennes a créé un vide et des groupes armés en profitent pour semer la terreur. C'est ainsi qu'à Nanga Boguila, village situé à 450 km au nord de Bangui, 16 personnes, dont trois employés de Médecins sans frontières, ont été tuées le 26 avril dans l'attaque d'un hôpital. Hier soir, 5 mai, c'est probablement le même groupe, vraisemblablement composé d'ex-Séléka, qu'un détachement de Sangaris a affronté dans un violent combat ; plus d'une dizaine d'individus de la colonne adverse sont morts. La situation sécuritaire demeure donc très difficile.

Le dispositif Sangaris est désormais organisé en trois groupements tactiques : l'un est à Bangui, un autre contrôle l'axe logistique vers le Cameroun, le troisième est au Nord et à l'Est. La décision prise par le Président de la République de porter l'effectif à 2 000 hommes nous permet de mener de front ces trois zones en complément du déploiement des unités de la MISCA, malgré les élongations logistiques et le début de la saison de pluies,.

Nos soldats mènent en RCA une action exemplaire et très difficile. La situation, extrêmement volatile et périlleuse, exige d'eux un grand sang-froid.

La MISCA, en dépit de difficultés logistiques et de commandement, continue de se déployer. Il lui faudra trouver le moyen de remplacer le contingent tchadien ; un autre bataillon africain pourrait venir compléter les effectifs.

Enfin, la mission EUFOR RCA a été lancée le 2 avril dernier ; la capacité opérationnelle initiale a été déclarée le 30 avril. Une compagnie d'infanterie et des gendarmes français accompagnés d'un peloton estonien sont déjà sur place pour assurer la garde de l'aéroport de M'Poko à Bangui; la pleine efficacité de la mission sera atteinte mi-juin, lorsque le déploiement sera terminé, ce qui allégera considérablement notre tâche dans la capitale. Nous avons eu le plus grand mal à mobiliser l'Union européenne pour constituer cette force. Pourtant, l'instabilité régionale est avérée ; laisser la RCA dans un vide sécuritaire, c'est prendre le risque manifeste de voir le pays devenir, à relativement court terme, un repaire terroriste.

Quels défis faudra-t-il prioritairement relever dans les mois à venir ? Il y a d'abord la sécurité des communautés musulmanes encore présentes à Bangui et dans l'Ouest. À ce sujet, nos forces sont face à une contradiction : elles doivent inciter une population qui voudrait partir à rester sur place afin de ne pas créer un clivage confessionnel irréversible, tout en la protégeant des agressions. Sangaris n'a pas pour mission d'alimenter l'exode mais d'évacuer des personnes en danger imminent ; c'est ce qui a été fait à PK12 ces derniers jours.

Le deuxième défi consiste à poursuivre rapidement le déploiement de Sangaris et de la MISCA sur le territoire. La présence des forces internationales dans la majeure partie du pays est un facteur de dissuasion pour les ex-Séléka qui ont la tentation de précipiter la partition du pays.

Le troisième défi est de concrétiser le renfort international à notre action par la mise en oeuvre de la résolution 2149 du Conseil de sécurité selon le calendrier prévu. Ce texte permet le déploiement d'une opération de maintien de la paix formée à partir d'une partie de l'actuelle MISCA et de nouveaux contingents, avec un effectif de 10 000 militaires, 1 800 policiers et 200 civils. Les forces françaises appuieront la composante militaire de la MINUSCA mais ne feront pas partie de l'opération de maintien de la paix.

Enfin, je vous l'ai dit, aucun résultat durable ne sera atteint en RCA en matière de sécurité sans relance du processus politique. Faute de soutien, la présidente de la transition, Mme Catherine Samba-Panza peine à remplir sa mission. Même si les salaires des fonctionnaires centrafricains ont finalement pu être payés, l'administration du pays est à l'arrêt ; la chaîne pénale, en particulier, ne fonctionne pas. La situation n'est sans doute pas irréversible, mais une initiative politique est indispensable pour remettre la transition sur les rails. Elle ne peut venir que de Mme Catherine Samba-Panza mais elle doit être mise en oeuvre en coordination avec les chefs d'État de la région. Des signes de réconciliation sont nécessaires ; aujourd'hui, ils n'apparaissent pas. Il faut dire que le pouvoir central fait face à des criminels organisés soudoyés par différents groupes. M. Laurent Fabius et moi-même agissons activement. J'ai prévu de me rendre ce mois-ci dans les pays de la région. Je pourrai, si vous le souhaitez, vous faire le compte rendu de ce déplacement en juin.

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Je vous remercie, monsieur le ministre, pour cet exposé détaillé.

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Monsieur le ministre, mon collègue Pierre Lellouche et moi-même aimerions disposer d'une copie des cartes que vous avez commentées pour expliciter votre propos ; elles seraient très utiles à notre groupe de travail sur le Sahel.

Les promesses de dons substantiels faites au cours de la conférence des donateurs pour le développement du Mali réunie à Bruxelles il y a un an se sont-elles matérialisées ? Quelle utilisation a été faite de ces fonds ? Est-elle contrôlée ?

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Nos travaux au sein du groupe de travail sur le Sahel nous conduiront, mon collègue François Loncle et moi-même, à nous rendre au Mali. Pourriez-vous préciser la teneur du nouvel accord franco-malien dont vous avez annoncé la signature ?

Les cartes que vous avez projetées montrent qu'en de nombreux lieux des engins explosifs ont été utilisés. Ce mode opératoire se généralise-t-il dans la région, et aussi en RCA ? D'où proviennent ces engins, que l'on a vus aussi en Afghanistan et au Pakistan ?

Quel est le coût de ces opérations ? Leur poids financier avait été évoqué avec vous lors d'une audition par la commission des finances ; où en est-on au regard des 450 millions d'euros prévus pour les OPEX en 2014 dans la loi de programmation militaire, et quelles sont les prévisions ? Notre effectif militaire est appelé à baisser progressivement, vous l'avez rappelé, mais combien de temps le dernier millier de militaires français resteront-ils au Mali ? Et s'il y a un État au Mali, il n'y en a plus en RCA ; la présidente de transition n'ayant aucun moyen de parvenir à reconstruire les institutions à moyen terme, notre présence en Centrafrique est à durée indéfinie ; comment en sortir ? Comment soutenir cette charge, et à quel coût ?

Je comprends le principe qui sous-tend le déploiement de nos unités dans la bande sahélo-saharienne, mais cette stratégie conduit à priver nos bases d'Abidjan et de Dakar de tous moyens ; l'évaluation du nouveau dispositif est-elle prévue ? Combien de nos soldats seront-ils cantonnés dans des postes avancés isolés et pour cette raison vulnérables ?

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Une coopération existe-t-elle avec l'Algérie au sujet du Mali et peut-on s'appuyer sur les forces algériennes ? Qui assure le versement de la paye des fonctionnaires centrafricains ? Quelle est la situation humanitaire ?

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Je vous remercie, monsieur le ministre, de la rare disponibilité dont vous faites preuve à l'égard de la commission des affaires étrangères ; elle témoigne de votre considération pour le Parlement. A été évoquée la présence au Mali de groupes terroristes dits « résiduels ». Mais sont-ils véritablement résiduels, ou sont-ils le symptôme de la situation dans la bande sahélo-saharienne qui vous a conduit à redéployer nos troupes de la manière dite ? Des gendarmes sont envoyés en RCA ; cela signifie-t-il que la tâche de la mission d'interposition relève davantage du maintien de l'ordre que du combat classique ?

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Avec votre autorisation, monsieur le ministre, je me suis rendu fin février au Mali, où j'ai rencontré les militaires de Serval. Je veux témoigner de l'excellence de leur engagement sur les plans militaire, humanitaire et d'aide au développement – ce que nous devrions mieux mettre en avant. Il me semble que l'on accable un peu vite le président malien en lui reprochant un manque de volonté politique en faveur de la réconciliation nationale ; en réalité, la population du sud du Mali n'est pas prête à ce que ses dirigeants aillent trop vite en besogne. Enfin, l'extrême faiblesse de l'administration au nord du pays ne donne pas une très bonne impression de ce que pourrait être la situation là-bas après le départ de nos troupes. Je ne voudrais pas que cela ait pour conséquence le maintien au Mali des forces armées françaises et internationales au-delà du moyen terme.

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Comment s'étonner que nos chers amis européens traînent les pieds au moment de se mobiliser pour constituer une mission européenne en RCA ? N'ont-ils pas aliéné leur sécurité en la confiant aux États-Unis, sans comprendre qu'ils doivent prendre une part du fardeau ? Ne devrions-nous pas re-nationaliser les moyens qui nous permettraient de faire face à l'insécurité qui va nous atteindre directement ? Si nous montrons le chemin, peut-être les autres Européens se réveilleront-ils…

Dans la région de l'Afrique dont il est question, les affrontements interreligieux sont anciens – ainsi les massacres de chrétiens au nord du Nigeria sont-ils tout sauf nouveaux. Ce qui se passe maintenant était en gestation depuis des lustres et résulte de ce que la France et l'Union européenne s'en sont lavé les mains – grave erreur qui nous amène à devoir affronter un conflit d'un nouveau type, mêlant guerre de religions, guerre ethnique, problèmes économiques et absence d'État. Nous resterons longtemps pour garantir le retour de la stabilité, et je soutiendrai votre action en ce sens.

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Comme mon collègue Jean Glavany, je vous remercie, monsieur le ministre, pour l'entière disponibilité dont vous avez fait preuve depuis le début de la législature. Dans l'attente du déploiement complet de Sangaris, de la mission européenne et de la MINUSCA sur l'ensemble du territoire centrafricain, pourrons-nous faire face aux défis inquiétants que vous avez rappelés ?

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En RCA, les agressions commises contre nos troupes sont-elles commises par des groupes isolés ou signalent-elles l'aggravation de la situation sécuritaire ? Quel est le coût des dépenses faites pour nos troupes ?

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J'associe mes remerciements à ceux qui vous ont été adressés, monsieur le ministre. Pensez-vous que la décision prise par le président Déby de retirer le contingent tchadien de la MISCA soit définitive ? Le consensus semble prévaloir à ce sujet au Tchad, mais ce retrait pose de graves problèmes, vous l'avez souligné. Comment sera-t-il compensé ? Quelle sera la nationalité du nouveau bataillon, de combien d'hommes sera-t-il constitué et combien de temps restera-t-il en RCA ?

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Ma question rejoint celle de M. Jean-Paul Dupré : la coopération avec l'Algérie au sujet du Mali progresse-t-elle, qu'il s'agisse du renseignement ou de l'action ?

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J'ai admiré l'action menée par nos troupes en RCA, mais nos hommes ne sont pas à l'abri d'épisodes génocidaires dont ils ne pourraient empêcher la survenue et au cours desquels ils pourraient eux-mêmes être pris pour cibles prioritaires. Au cours de notre séjour en Centrafrique, Pierre Lellouche et moi-même, pris à partie, avons dû être exfiltrés par les militaires français. À l'aéroport de Bangui, nous avons constaté une grande ambivalence : on attend des soldats français qu'ils aident à l'évacuation et, en même temps, on les rejette. On peut donc s'interroger : à partir de quand une force est-elle considérée comme une troupe d'occupation, et plus rejetée qu'acceptée par la population ?

Je suis persuadé que le budget des OPEX est très largement dépassé. Payons-nous ces frais seuls, ou avez-vous obtenu de l'Union européenne, puisqu'elle ne s'expose pas militairement, qu'elle ouvre à tout le moins son porte-monnaie ?

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Jean-Yves le Drian, ministre de la défense

Madame Dagoma, le président Déby m'a expliqué, après qu'il l'ait décidé, sa décision de retirer le contingent tchadien de RCA. Alors que les forces tchadiennes avaient subi en Centrafrique des pertes que l'opinion publique n'acceptait pas, le Tchad a été ulcéré par les reproches que lui ont adressés des membres du gouvernement de Mme Catherine Samba-Panza après l'incident dont j'ai fait état. Cette décision répondait donc aussi à des considérations de politique intérieure au Tchad, où le président Déby était interpellé sur la permanence de la présence de troupes tchadiennes en RCA alors qu'aucun processus de réconciliation nationale n'est en vue. La MISCA tente, avec difficulté, de compenser le vide laissé par ce départ ; des soldats burundais supplémentaires devraient venir renforcer son effectif.

M. Dupré et M. Terrot m'ont interrogé sur l'attitude de l'Algérie vis-à-vis du Mali. Avant l'élection à la présidence algérienne, des initiatives ont été prises concurremment par l'Algérie et le Maroc, avec ou sans l'accord du président Ibrahim Boubacar Keita, dans le but d'engager la réconciliation avec les groupes armées signataires de l'accord de Ouagadougou. On perçoit mal le résultat de ces initiatives à ce jour, mais l'Algérie souhaite manifestement jouer un rôle dans le processus de réconciliation nationale au Mali. Le président Ibrahim Boubacar Keita et le ministre de la défense malien se sont rendus à Alger. Une tentative d'action commune a eu lieu et, depuis la formation du nouveau gouvernement malien, des discussions ont été engagées avec certains groupes du Nord. Je compte me rendre en Algérie sous peu ; je traiterai de cette question avec mes interlocuteurs, ainsi que de la régionalisation de notre dispositif, puisqu'elle entraînera l'installation d'une base avancée à Tessalit, très près de la frontière algérienne. L'Algérie a recommencé à être un acteur diplomatique dans la région, mais sa Constitution interdit que son armée quitte son territoire ; tout au plus les forces spéciales algériennes peuvent-elles exercer un droit de suite.

Le traitement des fonctionnaires centrafricains a été assumé, non sans mal, par un collectif d'États voisins.

Les cartes qui vous sont utiles vous seront transmises, monsieur Loncle.

La conférence des donateurs pour le développement du Mali a permis de réunir 3,2 milliards d'euros de dons, dont la moitié a été décaissée. Ces fonds sont l'objet d'un contrôle très strict et nous n'avons aucun indice de prévarication. La répartition de ces fonds participe de la réconciliation nationale : une partie de cet argent doit aller au Nord, mais ce n'est pas le cas, parce que, comme l'a souligné à juste titre M. Destot, la population de Bamako est opposée à la réconciliation, si bien que les autorités politiques sont bloquées. Il faut souhaiter que le gouvernement malien prenne les initiatives nécessaires pour favoriser une réconciliation effective.

La somme de 450 millions d'euros inscrite au budget de la défense pour les OPEX en 2014 tenait compte de la décroissance significative de notre effectif au Mali et de la fin des opérations en Afghanistan. La loi de programmation militaire prévoit que le financement de toute nouvelle opération extérieure serait mutualisé. Pour Sangaris, un complément budgétaire devrait être trouvé en fin d'année pour la financer. Le coût de Sangaris est estimé à 230 millions d'euros pour l'année 2014. Le coût de Serval et des opérations dans la bande sahélo-saharienne est de l'ordre de 140 millions d'euros pour les quatre premiers mois de 2014. Mais je rappelle que nous avions au Mali un effectif initial de 5 000 soldats, et que ce nombre sera progressivement réduit à un millier.

Une fois la réorganisation achevée, le dispositif changera d'appellation puisqu'il prendra en compte Serval, Sabre et Epervier ; nos 3 000 militaires resteront dans la bande sahélo-saharienne dans la durée, aussi longtemps que nécessaire. Ne font pas partie de ce dispositif les forces stationnées à Abidjan – qui ne seront pas amoindries mais au contraire renforcées, monsieur Lellouche. Elles diminueront en revanche à Libreville. Les unités positionnées à Abidjan, Libreville et Dakar seront des forces de présence, donc hors du budget Opex.

Dans quelques postes isolés au nord de la bande sahélo-saharienne seront stationnées des unités en petit nombre, appelées à jouer un rôle de veille plutôt qu'un rôle opérationnel. C'est le cas aujourd'hui à Faya-Largeau où sont positionnés une trentaine de militaires. Nous n'avons pas identifié de risques particuliers pour ces emprises. Les groupes terroristes rassemblent, en tout, quelque 400 combattants entre le nord Mali et les alentours. Ils sont bien moins nombreux qu'ils n'étaient à l'origine, et dans une situation beaucoup plus difficile. L'accord franco-malien qui va être renouvelé est un accord classique bilatéral ; il porte sur la formation, l'échange de stagiaires et des exercices. Il ne s'agit pas du SOFA signé il y a un an et qui fixe le contour juridique de notre présence sur le territoire malien.

J'en viens, à la demande de M. Destot et de M. Charasse, à la stratégie de sortie de RCA. Le pays, composé de plusieurs ethnies et religions, n'a jamais été vraiment structuré sur le plan institutionnel. Dans ce contexte, le scénario qui me paraît le meilleur est de tenir une conférence nationale de réconciliation – à laquelle tout le monde devrait participer, sans exclusive – qui pourrait conduire à modifier la structure gouvernementale centrafricaine, actuellement caractérisée par une très faible représentation de la population musulmane. Cette conférence pourrait se tenir sous l'égide de l'ONU, de la Communauté économique des États de l'Afrique centrale et de l'Union africaine, avec pour grands témoins les chefs d'État des pays voisins, et le soutien de la France. La Conférence fixerait le calendrier électoral ainsi que le dispositif permettant que les armes non encore collectées soient rendues. Ensuite viendrait la préparation de l'élection présidentielle, prévue en février 2015 par la résolution 2149 du Conseil de sécurité des Nations Unies sans que l'on soit sûr que cette date puisse être tenue. Dans ce cadre, l'opération de maintien de la paix permettrait la restructuration de l'État avec un gouvernement représentatif des différentes composantes ethniques et religieuses de la population centrafricaine. C'est la seule issue possible.

Les engins explosifs improvisés au Mali sont des fabrications « artisanales » faites localement.

Nous payons les coûts de notre intervention au Mali et l'Union européenne paye les coûts d'EUTM, monsieur Bacquet, et il en ira de même en RCA – même si, parfois, les contributions se font « en nature », sous forme par exemple de soutien logistique.

Certains milieux ont une posture anti-française, mais nos soldats sont globalement acceptés et ne subissent pas d'attaques, si l'on excepte celle qui a été commise hier dans la région de Nanga Boguila au nord-ouest de la RCA par des éléments incontrôlés qui les visaient directement. C'était la première fois.

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Monsieur le ministre, je vous remercie pour la précision de vos réponses.

La séance est levée à dix-huit heures.