Les actionnaires, y compris l'État, attendent d'EDF une attitude responsable tant du point de vue industriel qu'au regard de la mission de service public qui lui est confiée. Il ne saurait être question d'abîmer l'outil de production et de distribution de l'électricité en France, dont la valeur avoisine les 500 milliards d'euros. Cet outil n'appartient d'ailleurs pas en totalité à EDF : les réseaux de transport d'électricité sont la propriété des collectivités territoriales ; les barrages, celle de l'État. Quoi qu'il en soit, l'opérateur EDF est chargé de l'entretenir et de le moderniser, soit pour compte propre, soit pour compte de tiers. Il y consacre des investissements considérables, dans une vision de long terme : nous ne pouvons pas nous contenter d'une optimisation comptable ou financière à court terme.
La méthode d'amortissement est fonction de l'outil considéré. Certains équipements internes des centrales, notamment électromécaniques, ont une durée de vie de sept à dix ans. Nous ne les amortissons donc pas sur quarante ou cinquante ans. Les équipements les plus importants, tels les générateurs de vapeur – qui pèsent environ 600 tonnes dans un réacteur EPR –, ont une durée de vie probable de l'ordre de trente ans et sont garantis pour cette durée. Lorsque nous les installons, nous les amortissons sur trente ans. Lorsque nous procédons à leur remplacement, notre intention est de les faire durer plus de dix ans. Même si nous n'amortissons pas tous les composants sur la même durée, nous devons assurer une cohérence à l'échelle de l'outil industriel dans son ensemble. En particulier, les centrales ayant une durée de vie maximale, certains équipements sont amortis sur des périodes plus courtes que leur propre durée de vie.
Les débats entre l'industriel et les responsables des comptes sont naturels. Mais il ne faut pas confondre l'amortissement comptable d'un investissement avec son coût réel. D'un point de vue comptable, un amortissement sur une durée plus courte réduit le résultat comptable et donc le montant de l'imposition – ce qui ne présente guère d'intérêt pour une entreprise comme EDF. Cette durée d'amortissement comptable n'a, en revanche, aucun impact sur le résultat brut d'exploitation – earnings before interest, taxes, depreciation and amortization (EBITDA) – ni sur la capacité d'autofinancement de l'entreprise – cash flow –, qui sont les indicateurs de performance économique suivis par les marchés. Les agences de notation, en particulier, jugent EDF sur son ratio dette sur EBITDA.
D'un point de vue économique, pour réaliser des investissements lourds, il convient de satisfaire une équation économique viable dans la durée. À cet égard, j'ai des comptes à rendre à mes actionnaires et à mes clients. Cette exigence d'équilibre économique s'est trouvée au coeur des discussions quelque peu musclées que nous avons menées sur le prix de cession de l'électricité d'EDF à ses concurrents dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (ARENH) mis en place par la loi portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (NOME). Ce coût de cession doit-il être inférieur ou supérieur au coût économique de la filière nucléaire – 55 euros par mégawattheure ? EDF doit-elle aider éternellement ses concurrents ou ceux-ci devront-ils être capables, un jour, de produire leur propre électricité ?
Quant à l'ASN, elle ne validera jamais la durée de vie des centrales a priori. Et c'est bien normal : elle ne souhaite pas s'engager, de manière à conserver la liberté d'arrêter les réacteurs à tout moment. Si EDF attendait que l'ASN émette un tel avis, elle ne réaliserait pas les travaux prévus. En revanche, l'ASN donnera un avis a posteriori : elle pourra reconnaître qu'il est légitime, au vu de la qualité des travaux réalisés, de prolonger en moyenne la durée de vie des centrales de telle ou telle durée.
D'une manière générale, chacun assume ses propres responsabilités : l'entreprise répond de son outil industriel et de son équilibre économique, c'est-à-dire de ses coûts et de ses revenus ; le conseil d'administration arrête les comptes présentés par l'entreprise, en choisissant notamment la méthode d'amortissement comptable qui lui semble la plus appropriée ; le marché sanctionne ; les pouvoirs publics peuvent également exercer à tout moment un pouvoir de sanction de nature différente.