Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le troisième texte que le groupe GDR a choisi de soumettre aujourd’hui à l’examen et au vote de notre assemblée est une proposition de loi de notre collègue Évelyne Didier, sénatrice de la Meurthe-et-Moselle. Elle vise à mieux répartir les responsabilités et les charges financières concernant les ouvrages d’art de rétablissement des voies.
Rappelons, en quelques mots, le problème qui se pose. Chacun sait que, lors de la construction d’une nouvelle infrastructure de transport – par exemple une voie ferrée, une voie navigable ou une autoroute –, des ouvrages d’art sont parfois construits par le gestionnaire afin de rétablir la continuité des voies communales, ou départementales, existantes, lorsque celles-ci ont été interrompues. Se pose, dès lors, la question de la répartition des coûts d’entretien, de réfection, voire de renouvellement de ces ouvrages et, par là même, la question de leur responsabilité juridique.
À l’heure actuelle, en l’absence de dispositions législatives et réglementaires particulières, c’est une jurisprudence ancienne du Conseil d’État, datant de 1906, qui s’applique. Depuis cette date, le juge estime que ces ouvrages sont des éléments constitutifs des voies, puisqu’ils en assurent la continuité. Par conséquent, la collectivité propriétaire de la voie portée est également entièrement responsable de l’ouvrage, c’est-à-dire qu’elle doit en assurer l’entretien, la réfection et le renouvellement, et garantir la sécurité à l’égard des tiers.
En d’autres termes, ceux qui décident de créer une ligne qui viendrait couper des voies existantes, qu’il s’agisse de RFF ou de VNF, laissent ensuite les ouvrages de rétablissement à la charge des collectivités, qui, elles, n’ont rien demandé ! Bref, j’en ai besoin, je le construis, mais je vous l’abandonne ensuite. Dès lors, le problème est double.
D’une part, si l’ouvrage est correctement dimensionné en fonction de la voie nouvelle, rien n’assure qu’il le soit en fonction du trafic sur la voie interrompue. On a ainsi des exemples de ponts construits pour la canalisation de cours d’eau, qui correspondent certes au gabarit des bateaux appelés à y circuler, mais qui sont largement surdimensionnés pour le trafic qu’ils auront à supporter.Ce sont donc les besoins du gestionnaire de l’infrastructure nouvelle qui sont pris en compte, bien plus que ceux des collectivités : pourquoi serait-ce alors à elles de payer ?
D’autre part, les petites communes ignorent parfois totalement que la responsabilité de l’ouvrage d’art leur revient. Lorsqu’elles l’apprennent, c’est que des travaux parfois conséquents sont devenus urgents, pour lesquels elles ne disposent ni de l’expertise technique, ni des moyens financiers nécessaires. Cette situation est d’autant plus choquante que l’État a opportunément su s’affranchir de ce principe lorsqu’il était lui-même concerné.
C’est ainsi que les sociétés d’autoroutes ont signé des contrats de concession leur imposant de prendre en charge les ouvrages de rétablissement de voies comme si elles en étaient les maîtres d’ouvrage, ce qu’elles ne sont pas juridiquement. Ces contrats ont été établis au nom de la sécurité des usagers des autoroutes – mais la sécurité des usagers de toute autre liaison de communication est-elle d’une importance moindre ?
La complexité du sujet, la méconnaissance des risques, la dérive constatée en matière de prise en charge des ouvrages nous obligent donc à traiter ce sujet et à revenir à un principe simple, juste et de bon sens, selon lequel celui qui décide de construire une nouvelle voie doit en assumer les conséquences.
Les auteurs de ce texte proposent une solution pragmatique, qui ne remet pas en cause la domanialité et le droit de propriété des collectivités sur ces ouvrages, tout en recherchant une répartition des charges plus juste et plus équitable.
La règle proposée est la suivante : au gestionnaire de la nouvelle infrastructure de transport doit revenir la responsabilité de la structure de l’ouvrage d’art, y compris l’étanchéité tandis qu’au propriétaire de la voie rétablie doit revenir la responsabilité de la chaussée et des trottoirs.
Par ailleurs, le texte prévoit d’instaurer l’obligation pour les parties de signer une convention, dont les principes généraux auront été rendus publics dès le stade du dossier d’enquête préalable à la DUP.
Ce mécanisme permet de régler, d’une part, les questions spécifiques posées par chaque cas particulier et, d’autre part, le problème de l’information des collectivités sur leurs propres obligations.
S’agissant des ouvrages de rétablissement existants, le texte donne la possibilité, à l’une ou l’autre partie, de dénoncer les conventions signées dans le passé et d’en conclure de nouvelles sur les bases que je viens de présenter. De même, pour les ouvrages ne bénéficiant d’aucune convention et seulement en cas de litige, les parties auront trois ans pour signer un tel document.
La commission du développement durable de notre Assemblée a examiné cette proposition de loi mardi 13 mai dernier et elle l’a adoptée à l’unanimité, au terme de débats constructifs et consensuels.
Les représentants de tous les groupes politiques ont souligné la nécessité de mettre fin à une situation insatisfaisante et ont marqué leur accord avec la nouvelle répartition des charges et des responsabilités proposée. Néanmoins, tous ont également souligné que le problème résidait dans l’application de ce nouveau dispositif aux situations existantes.
Le Gouvernement a donc déposé plusieurs amendements dont nous débattrons tout à l’heure et qui visent à trouver un équilibre entre le souhaitable et le possible.
J’aurai l’occasion de le redire : ces amendements ne vont sans doute pas aussi loin que le groupe GDR l’aurait souhaité, mais nous sommes sensibles au fait qu’ils respectent l’esprit de la proposition de loi et que la situation financière d’un opérateur comme RFF ou VNF ne laisse, en pratique, que peu de marges d’action.
Je vous appellerai donc, certes avec un esprit de sagesse plus que d’enthousiasme, à les adopter.
Mes chers collègues, cette proposition de loi s’inscrit dans la continuité des réflexions d’un groupe de travail animé par Dominique Bussereau. Elle rejoint des initiatives analogues de sénateurs de l’opposition et elle est soutenue par l’Association des maires de France. Elle a donc bénéficié, jusqu’à présent, d’un excellent accueil : le caractère pragmatique et aisément compréhensible du dispositif ainsi que les délais laissés à chacun des acteurs pour s’adapter au nouvel environnement juridique ainsi créé n’y sont sans doute pas étrangers. J’espère qu’elle bénéficiera aujourd’hui du même soutien de notre assemblée.