Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, chers collègues, nous avons aujourd’hui l’occasion d’aborder une question qui revêt une importance toute particulière : celle de l’accueil des demandeurs d’asile. L’exercice du droit d’asile est, chacun en convient, un principe fondamental à valeur constitutionnelle, une tradition qui veut que notre République accueille sur son sol tous ceux et celles qui, dans leur pays d’origine, sont victimes de violences. Par ailleurs, il s’agit d’une obligation juridique liée au droit communautaire et aux engagements internationaux de la France, en particulier la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur les réfugiés.
Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause ce principe. Cependant, depuis 2007, nous pouvons constater que les demandes d’asile se multiplient en France : 66 200 demandes ont été déposées dans notre pays en 2013, soit 8 % de plus qu’en 2012, faisant désormais de la France le deuxième pays d’accueil des demandeurs d’asile de l’Union européenne, avec 15 % des demandes.
Ainsi, de nombreux rapports et études sur la politique publique de l’asile en France ont abouti ces derniers mois à des conclusions similaires, avec un constat hélas sans appel : notre politique d’accueil des demandeurs d’asile souffre de défaillances et doit donc, chacun devrait en convenir, faire l’objet d’une réforme profonde et rapide. Il est en effet indispensable de « réformer un système qui craque de partout » : telle était la conclusion du rapport sur la réforme du droit d’asile remis le 28 novembre 2013 par la sénatrice Valérie Létard et notre collègue député Jean-Louis Touraine. Ce rapport a notamment permis de mettre en évidence des dysfonctionnements au niveau de la procédure d’examen des demandes d’asile, qui ne permet plus, je cite, de « distinguer les demandeurs d’asile dans un afflux de demandeurs qui dévoient nos règles d’accueil ».
La hausse des demandes ainsi que le maintien sur notre territoire de déboutés conduit à une saturation de l’offre d’hébergement. Le nombre de places en centre d’accueil des demandeurs d’asile est passé de 10 000 en 2002 à 20 000 aujourd’hui. Cependant, malgré les efforts, tous les demandeurs d’asile ne peuvent être hébergés en CADA. En effet, faute d’exécution des obligations de quitter le territoire français – les fameuses OQTF – ou de solutions d’hébergement alternatives, des personnes déboutées se maintiennent dans les centres et occupent donc indûment ces places. Certes, les étrangers dont la demande a été rejetée doivent en théorie quitter le territoire, soit spontanément soit par la contrainte ; mais en réalité, nous le savons, une grande majorité de déboutés restent en France. Seuls 5 à 10 % des déboutés sont reconduits à la frontière, et, dans certains départements, on compte 34 % de déboutés, toujours présents dans les CADA de façon indue. Cette situation n’est plus tenable et compromet de fait l’effectivité du droit d’asile pour celles et ceux qui en ont le plus besoin.
Par ailleurs, je souhaite également tirer la sonnette d’alarme face au risque que représente la pression des migrations sur les rives européennes de la Méditerranée. Le 13 mai dernier, une nouvelle embarcation transportant des migrants clandestins a fait naufrage au sud de Lampedusa. À cette occasion, le ministre de l’intérieur italien a menacé de « laisser partir » d’Italie tous les demandeurs d’asile si l’Union européenne ne venait pas en aide à son pays. S’il met à exécution ses déclarations, à l’évidence le nombre des demandeurs d’asile en France risque de connaître une nouvelle recrudescence.
Depuis six mois, je préside au Conseil de l’Europe la commission chargée des migrations, de l’asile politique et des apatrides. Je suis halluciné devant les chiffres cités par les uns et les autres, notamment les ONG, concernant le nombre de personnes qui, sur les rives sud de la Méditerranée, attendent le moment de passer. Nous sommes au début d’un processus et le pire est devant nous, et ce quels que soit les gouvernements, de gauche ou de droite : ce n’est pas du tout un problème politicien mais un vrai problème structurel. La réaction de nos amis italiens et grecs, sans parler des Turcs, qui reconnaissent ne strictement rien contrôler, et dont le seul souci est que les réfugiés arrivés sur leur territoire aillent dans d’autres pays, laisse présager des lendemains plus inquiétants encore que le présent que nous vivons.
Le constat dressé, il est désormais indispensable et urgent d’agir et de prendre les mesures nécessaires. En effet, la situation est très préoccupante, notre système d’accueil des demandeurs d’asile est au bord de l’asphyxie. Les propositions formulées par le rapport du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques présenté par Jeanine Dubié et Arnaud Richard participent à la préparation de cette réforme, annoncée par le Gouvernement et qui, je l’espère, sera prochainement inscrite à l’ordre du jour de notre assemblée.
Permettez-moi un instant de revenir sur les dysfonctionnements et les pistes de réflexion proposées. Tout d’abord, il s’agit de réduire les délais de procédure et les disparités géographiques des demandes. En effet, la première difficulté tient à leur traitement. Face à la hausse de leur nombre, l’Office français de protections des réfugiés et apatrides et la Cour nationale du droit d’asile sont dans l’incapacité de répondre dans des délais raisonnables. Actuellement, il faut en moyenne entre seize et dix-huit mois pour traiter une demande. La disparité géographique des demandes d’asile allonge également les délais de traitement.
Les années et les majorités se suivent, mais le constat est toujours le même. Je me souviens d’une loi sur l’asile présentée par Dominique de Villepin, alors ministre de l’intérieur ; le constat était déjà dressé, il est toujours valable.
Aujourd’hui, les demandes se concentrent en Île-de-France, avec 36 % de la demande, et dans la région Rhône-Alpes. Les délais d’attente pour obtenir un rendez-vous en préfecture, avant de déposer une demande d’asile à l’OFPRA, peuvent par conséquent considérablement varier en fonction des départements. La proposition n° 10 du rapport du CEC va ainsi dans le bon sens en préconisant une orientation directive des demandeurs d’asile.
Le rapport du CEC préconise également d’accélérer et de moderniser le traitement des dossiers par les préfectures et de mieux utiliser les procédures accélérées. Ce point fait également consensus. La réduction des délais de procédure est une absolue nécessité. Plus le temps passe, plus il devient compliqué par la suite d’assurer le retour dans leur pays des déboutés du droit d’asile qui ont tissé des liens en France et scolarisé leurs enfants. L’affaire Leonarda l’a clairement démontré et a mis en lumière les limites de notre système d’accueil des demandeurs d’asile.
Pour éviter de telles situations, nous devons améliorer les délais de traitement des demandes, mais surtout mettre un terme aux incohérences et à la confusion de notre système. En effet, l’état actuel de notre système d’accueil présente de nombreuses failles. Un grand nombre d’étrangers demandent, par exemple, un titre de séjour pour des raisons de santé. Dès qu’ils sont déboutés de leur demande ou, lorsqu’ils sont encore dans l’attente d’une décision, ils entament de nouvelles procédures et bénéficient d’une autorisation provisoire de séjour qui prolonge leur maintien légal sur le territoire. Laisser espérer une régularisation à un autre titre que l’asile, malgré le rejet d’une demande, contribue à écarter toute perspective de retour dans l’esprit de ceux qui sollicitent l’asile en France.
Par ailleurs, votre gouvernement envisage-t-il une solution pour remédier à cette autre incohérence qu’est la possibilité d’appel et de réexamen devant les juridictions administratives en parallèle du recours devant la CNDA ? Enfin, je tiens à profiter de ce débat pour soulever un point très important concernant les demandes d’asile frauduleuses. Pour continuer à accueillir dignement les demandeurs d’asile, nous devons nous prémunir contre celles-ci. Avec mes collègues de la Droite populaire, nous avons déposé une proposition de loi visant à interdire le droit au séjour et le droit d’entrée sur le territoire français aux étrangers ayant procédé à de fausses déclarations ou dissimulé des faits essentiels. Quand un demandeur d’asile triche, quand il ment à la France, cela ne peut pas rester sans conséquence. Aussi doit-il perdre le droit de pouvoir séjourner en France. L’objectif est clair : renforcer la lutte contre l’immigration illégale qui nuit à l’intégration des étrangers entrés légalement sur le territoire ainsi qu’à l’exercice effectif du droit d’asile.
L’ensemble de ces défaillances implique une explosion des coûts de la politique publique d’asile. Tout d’abord, en termes d’hébergement. Durant l’instruction des dossiers, le demandeur d’asile peut bénéficier d’un hébergement en CADA, s’il remplit les conditions d’accès à ce dispositif. Dans ces centres, il reçoit une allocation mensuelle de subsistance. Cependant, par manque de place en CADA, les demandeurs d’asile peuvent être admis dans une structure d’hébergement d’urgence et bénéficier de l’allocation temporaire d’attente. Ces nuitées hôtelières représentent, vous le savez, monsieur le ministre, plus de 50 % des places financées. Toutes ces observations nous conduisent à nous interroger sur les mesures à prendre pour lutter contre ces dérives. Le rapport du CEC évalue ainsi le budget total de la politique d’asile pour 2014 à 666 millions d’euros, sans compter les coûts indirects liés à la présence des demandeurs d’asile et déboutés sur le territoire, comme les aides des collectivités territoriales. Là encore, l’incohérence du Gouvernement est flagrante. D’un côté, on demande à nos concitoyens de faire des efforts draconiens pour assainir les finances publiques et de l’autre, on ne parvient pas à maîtriser le budget de la politique d’asile, qui est désormais totalement hors contrôle.
En conclusion, je considère que les propositions du rapport du CEC présentent des pistes de réformes tout à fait pertinentes. Cependant, pour sauver durablement notre politique d’accueil des demandeurs d’asile, il faut aller plus loin dans la réforme. Nous sommes d’accord sur la réduction des délais de procédure, qui est une nécessité. Les préconisations relatives à la révision des règles de domiciliation, à la mise en place de documents de séjour, des récépissés adaptés à la durée de la procédure, ou à celle d’un dispositif d’orientation des demandeurs d’asile vers leur lieu d’hébergement sont des points sur lesquels nous pourrions avancer ensemble. Si le Gouvernement va dans cette direction, je suis tout à fait prêt à le soutenir.
Néanmoins, je regrette que la proposition du CEC d’instaurer une véritable politique d’accompagnement au retour des personnes déboutées du droit d’asile ne figure qu’en vingtième position. En effet, il s’agit là, je pense, d’une priorité. En contrepartie d’une décision rapide, des obligations fermes de retour des déboutés du droit d’asile sont nécessaires pour contrôler les flux. Chaque décision de déboutement doit valoir obligation de quitter le territoire et aboutir sans délai à une expulsion. Par ailleurs, j’appelle le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires afin de lutter contre les demandes frauduleuses. La réforme annoncée par le Gouvernement doit être l’occasion d’aborder toutes ces questions pour assurer la pérennité de cette tradition républicaine qu’est le droit d’asile sur notre territoire. Monsieur le ministre, nous en sommes, je crois, tous conscients : cette réforme est urgente et nécessaire. Même si beaucoup de choses nous séparent, je suis convaincu que nous devons maintenir la tradition de l’asile politique ; mais pour que nous puissions le faire sans qu’elle soit caricaturée par certains, il faut qu’elle ne soit pas dévoyée. Si vous nous faites des propositions concrètes permettant de sanctionner ceux qui mentent et ceux qui trichent et d’accorder l’asile à ceux qui le méritent, je serai à vos côtés.