Monsieur le président, monsieur le ministre, madame et monsieur les rapporteurs, ce débat intervient au lendemain d’une sorte de 21 avril européen, où nous avons vu des partis xénophobes et populistes prospérer dans l’ensemble de l’Europe et se nourrir de cette rhétorique des boucs émissaires. Il est donc utile et encourageant de savoir que deux députés, l’un de la majorité et l’autre de l’opposition, ont été capables de nous présenter un rapport qui ne nous entraîne pas dans la spirale de la démagogie et du populisme et qui reconnaît l’importance du droit d’asile dans notre pays, démocratique et républicain, répondant ainsi à notre vocation inscrite dans la Constitution. Il était utile au lendemain de l’élection européenne que l’on sorte des amalgames et que l’on précise ce que doit être une véritable politique du droit d’asile. Les propositions que vous avez formulées vont évidemment dans le sens d’une politique de l’asile pas simplement généreuse, mais qui réponde à un certain nombre de règles éthiques, morales et humanistes. Par exemple, la proposition n° 14, permettant de saisir directement la cour nationale du droit d’asile avec effet suspensif, est très intéressante, tout comme la proposition n° 16 qui exclut les tribunaux administratifs et permet de revenir vers la cour nationale du droit d’asile.
Toutefois, je suis inquiet de ce que le Gouvernement prépare et qui n’entre pas dans notre champ d’intervention, puisque nous avons à discuter du rapport dans le cadre de l’évaluation des politiques publiques – j’en profite pour saluer cette initiative importante et judicieuse venue de notre assemblée. J’ai en effet entendu M. le ministre de l’intérieur ce matin sur France Inter et j’ai lu ce que nous annonçait Mediapart. Regardons la situation et le contexte tels qu’ils sont aujourd’hui : nous avons beaucoup de difficultés à assumer notre devoir d’asile, parce que les CADA sont complètement débordés, alors qu’ils ont pour mission d’assurer l’hébergement, l’allocation et l’accompagnement, qu’il soit juridique, sanitaire ou social. Face à ce débordement, les préfets et l’État ont été appelés à répondre à cette carence, en instituant des accueils temporaires ou des hébergements d’urgence. Les élus locaux que nous sommes ont constaté, ou sont en train de le faire, que les CADA ne peuvent plus remplir leurs missions et qu’en conséquence on recourt beaucoup plus souvent à des politiques temporaires d’hébergement d’urgence.
Ce qui se prépare dans le projet du ministre de l’intérieur n’est pas simplement annoncé par Mediapart, on le discerne dans ce qui a été organisé. Le rapport remis en 2013, suite à la consultation nationale sur le droit d’asile, ne va pas du tout dans le sens de ce que prônent nos deux co-rapporteurs. Il défend, par exemple, une gestion directive de l’hébergement, sans rapport avec ce que pourraient être des CADA, puisqu’il exclut dans cette gestion directive tout ce qui est de l’ordre de l’accompagnement, qu’il s’agisse de l’accompagnement sanitaire, social ou juridique. Nous sommes donc en droit de nous inquiéter devant cette orientation.
J’espère donc que d’ici le moment où nous serons appelés à examiner le projet de loi, le Gouvernement aura entendu les co-rapporteurs et tous les députés qui essaient de prôner une politique du droit d’asile conforme à nos valeurs, tant il est vrai que la gauche comme la droite républicaine ne sont jamais aussi respectées par les électeurs que quand elles respectent elles-mêmes leurs valeurs et qu’elles ne se laissent pas entraîner dans une spirale qui est en train de miner le pacte républicain en France et dans un certain nombre d’autres pays de l’Union européenne.
Ce matin, j’ai entendu M. le ministre de l’intérieur, interrogé sur une radio, évoquer la situation à Calais. Je ne dis pas que le ministre de l’intérieur actuel est responsable de la situation. Sangatte a été fermée il y a déjà quelques années. Mais sous des gouvernements de droite comme de gauche, se perpétue tout de même une situation qui est absolument intolérable du point de vue des droits humains et de ce que l’on doit à des gens qui fuient le conflit, la barbarie, la menace sur leur vie, la menace d’emprisonnement, la misère, le réchauffement climatique, autant de réfugiés en droit d’attendre de pays comme les nôtres que nous supportions une partie de leur fardeau. Je pense surtout à cet égard aux pays que nous avons colonisés et dont nous avons exploité les richesses et les hommes. S’agissant de Calais, 500 personnes sur les 700 ayant construit des camps de fortune sont atteintes d’une maladie complètement liée à la pauvreté et à la malnutrition, la gale. Le préfet a décidé de jouer sur deux tableaux : oui, on va les soigner, effectuer une mission sanitaire vis-à-vis d’eux, mais, dans le même temps, on va les expulser des campements. C’est exactement ce qui a été décidé le 21 mai et, d’après les informations que je possède, vous vous apprêtez à expulser, dès demain, mercredi 28 mai, 500 personnes. Vous arguez de votre bonne foi et de votre sincérité en expliquant que vous allez les soigner mais que vous ne pouvez faire autrement que de les expulser. Avez-vous proposé une solution alternative ? Non. Avez-vous consulté les associations, qui pourtant font un énorme travail sur le terrain ? Non. Proposez-vous à ces personnes un autre abri – sans même parler d’un hébergement ? Non, encore une fois. Cela ne me paraît pas répondre à la vocation de la France.
Notre assemblée a débattu de la Syrie, et on se souvient d’un président de la République expliquant au pays qu’il fallait intervenir dans ce pays, aux côtés des États-Unis d’Amérique, pour sauver ceux qui sont victimes de la barbarie d’Afez El-Assad, de sa famille et de son clan. Nombre de Syriens demandent refuge dans notre pays mais aussi ailleurs en Europe. De 2011 à 2013, l’Union européenne a accueilli à peine 8,5 % des réfugiés syriens qui viennent du Liban… Est-ce que l’on partage le fardeau ? Savez-vous, mes chers collègues, combien de visas ont été accordés par la France ? Pas plus de 500 alors que l’Allemagne, elle, en a accordé 5 000, avec en plus des conditions d’hébergement, et que d’autres pays, telle la Finlande, font aussi beaucoup plus d’efforts que nous. Entre les propos tenus par le Gouvernement ou par le Président de la République et la politique que nous devons avoir vis-à-vis de ces réfugiés syriens dont nous savons qu’ils fuient la barbarie et qu’ils vivent dans des conditions absolument épouvantables, il y a loin de la coupe aux lèvres.
Dans nos mairies, nous sommes confrontés à des demandes d’asile, par exemple celles de populations qui viennent du Nord-Est du Nigeria, là où ont été enlevées 250 jeunes filles. Certains ont alors découvert, en pleurant des larmes de crocodile, une situation qui n’est tout de même pas nouvelle. On sait que ce pays est touché par la corruption et qu’avant ces 250 malheureuses lycéennes, près de 2 000 personnes avaient été enlevées et assassinées dans la seule année 2013 dans cette région du Nigeria.
Dans la situation où nous sommes, nous devons faire très attention à ne pas confondre la politique du droit d’asile, contrairement à ce que pensent certains, avec la politique d’immigration. Sandrine Mazetier a eu raison d’insister sur le fait qu’il fallait séparer les deux politiques. C’est un acquis de la gauche que je reconnais mais, monsieur le ministre, le texte que vous préparez et que nous examinerons je ne sais quand – en juin, en septembre, en octobre ou plus tard ?… – ne me semble pas correspondre à l’excellent rapport de mes deux collègues et il serait judicieux, bon et moral pour la France, humain et répondant à nos valeurs démocratiques et républicaines de liberté, d’égalité, de fraternité, de tolérance et d’accueil que vous le suiviez. (Applaudissements sur les bancs des groupes écologiste, SRC et RRDP.)