Garantir les droits des demandeurs, c’est également savoir assurer un système différencié. Nous devons mieux traiter les plus fragiles, les plus vulnérables : notamment les mineurs, les femmes et les petites filles victimes de violences, les personnes persécutées en raison de leur orientation sexuelle, les victimes de la torture. Nous devons aussi accepter de mobiliser moins d’énergie, de passer moins de temps, lorsque la demande est manifestement infondée, étrangère à l’asile ou stéréotypée.
La réforme de l’asile en France – c’est le deuxième principe – doit obéir à un cadre concerté entre l’ensemble des acteurs. Je pense plus particulièrement à la richesse de notre secteur associatif. Je souhaite qu’il soit pleinement associé à la réforme qui se dessine. Nous devons ainsi nous appuyer sur les associations pour assurer un hébergement de qualité aux demandeurs d’asile. Oui, monsieur Richard, oui, madame Dubié, comme vous je pense que le modèle du CADA – le centre d’accueil des demandeurs d’asile –, que ces associations ont développé en partenariat avec les pouvoirs publics, est un bon modèle et qu’il faut chercher à l’étendre.
Oui, je pense, comme vous, que la place des associations dans l’accompagnement des demandeurs d’asile est essentielle. Mais nous devons également associer à la réforme d’autres acteurs, je pense notamment aux collectivités territoriales. Nous devons veiller à éviter les concentrations de demandeurs d’asile, souvent de même origine, dans certains points du territoire. Ce n’est pas à la Corrèze ni à la Seine-Saint-Denis ni à la Manche que l’on demande asile, mais à la République française. Cela passe nécessairement par un hébergement mieux organisé et parfois plus directif.
Enfin, troisième principe, nous devons absolument améliorer l’efficacité de ce système. Ce faisant, nous mettrons un terme à la dérive inacceptable de ses coûts. Mais ce n’est pas le plus important. Trop, souvent, quand on oublie de compter, c’est la souffrance des hommes que l’on ne compte plus.
Il faut donc d’abord raccourcir les délais de traitement de la demande d’asile. Notre objectif est que le délai moyen d’examen complet d’une demande d’asile soit ramené de vingt-quatre à neuf mois, entre la première présentation du demandeur à l’administration et la fin de la procédure.
Pour cela, à chaque étape nous devrons consentir des efforts. Des guichets uniques devront être créés partout sur le territoire, ainsi que vous le proposez très justement dans votre rapport. L’OFPRA devra poursuivre sa réforme : il a déjà accru le nombre de décisions rendues de 25 %, si l’on compare le premier trimestre 2014 au premier trimestre 2013. Des moyens lui seront consentis pour qu’il améliore encore son efficacité. La professionnalisation de la CNDA doit être un vecteur supplémentaire d’accélération de traitement des dossiers. La Cour devra aussi veiller à remédier aux dysfonctionnements que votre rapport met très justement en évidence.
Un système efficace, c’est aussi un système qui assure l’intégration rapide des réfugiés politiques ; un système qui leur propose des outils pour parvenir à un niveau de maîtrise suffisant de la langue française, pour leur permettre d’avoir accès à un emploi, à la santé, à l’éducation et à la culture.
Enfin, ne nous le cachons pas, un système efficace, c’est un système qui assure le retour, dans des conditions dignes et dans le respect des droits, de ceux qui ne peuvent bénéficier de la protection de la France, parce qu’ils n’en relèvent pas. Cela passe par une plus grande célérité des procédures contentieuses devant le tribunal administratif. Cela passe par une refonte des aides de l’OFII – l’office français de l’immigration et de l’intégration – pour le retour et la réinsertion. Cela passe sans doute aussi par une réforme de nos procédures en matière d’éloignement contraint. Je pense notamment au développement de l’assignation à résidence, actuellement sous-utilisée.
Cette réforme, je veux la conduire pour restaurer le droit d’asile. Parce que je suis ministre de l’asile, je dois être garant de l’intégrité de ce droit. Parce que je suis ministre de l’asile, je ne puis me satisfaire de voir aujourd’hui l’exercice de ce droit dévoyé, instrumentalisé par des filières pour faire prospérer leur commerce funeste. Parce que je suis ministre de l’asile, je veux que les réfugiés, les réfugiés véritables soient accueillis dans des conditions de dignité et conformément à la tradition d’accueil qui est l’honneur de la France,
Cette question, j’y insiste, doit être traitée avec la plus grande lucidité. Il n’y a de droit d’asile que parce que nous sommes en mesure de faire la part entre celui qui a besoin de la protection de la France et celui qui n’en a pas besoin. Il n’y a pas de droit d’asile sans reconduite effective de celui qui n’a pas droit au séjour. C’est parce que nous tiendrons l’ensemble de cette chaîne, parce que nous répondrons à ces défis que le droit d’asile en France retrouvera la place qui doit être la sienne.
Le droit d’asile, cela a été dit, appartient au patrimoine de la République. Nous sommes l’un des rares, peut-être le seul État au monde, à faire figurer ce droit dans sa Constitution. Parce que la France porte, depuis la Révolution, un message universel de liberté, d’égalité, de fraternité, nous nous devons d’accueillir ceux qui, dans le monde, sont persécutés en raison du combat qu’ils livrent au nom de ces valeurs, nos valeurs. Parce que nous ne tolérons pas les atteintes aux droits de l’homme, parce que nous refusons les violations des libertés fondamentales, nous devons asile, c’est-à-dire à la fois accueil et protection, à ceux qui sont aux prises avec l’arbitraire, avec la violence, avec la barbarie. Cette conception, mesdames et messieurs les députés, est strictement républicaine. Elle ne doit susciter entre nous aucune ligne de fracture, aucun clivage artificiel, aucune posture, aucune instrumentalisation ; du moins est-ce ce à quoi j’aspire.
Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je veux vous remercier à nouveau pour vos travaux et pour votre contribution à une réforme qui touche à l’un des sujets les plus intimement liés aux valeurs de la République. Je veux rappeler ici les faits de l’histoire, car l’actualité, comme les tragédies de l’histoire, nous enseignent que celle-ci peut reproduire des événements funestes dès lors qu’elle perd la mémoire de ces mêmes événements. Le règne de Vichy a conduit autrefois notre pays au déshonneur en acceptant de livrer à l’occupant les réfugiés qui, fuyant la barbarie nazie, avaient cherché asile sur notre sol.
Dans ce contexte, le diagnostic que vous formulez dans votre rapport, monsieur le député Arnaud Richard, madame la députée Jeanine Dubié, fait consensus, et je m’en réjouis. Il fait consensus parce qu’il est juste. L’asile en France doit être réformé. Il est usé, parce qu’on l’a laissé dériver depuis 2007, parce qu’on n’a pas osé entreprendre, pour lui, les réformes qui s’imposaient.
À l’inverse, le France peut s’enorgueillir d’avoir, au cours de son histoire, accueilli généreusement les combattants de la liberté et les victimes des grandes persécutions modernes : patriotes italiens et polonais, juifs et arméniens persécutés, républicains espagnols, dissidents de l’est et opposants aux dictatures sud-américaines, boat people…
Les constats établis depuis 2013 sont, à cet égard, aussi alarmants que convergents. Ils se retrouvent de rapport en rapport : qu’il s’agisse des rapports associatifs, comme celui de la coordination française du droit d’asile ; qu’il s’agisse du rapport que mon prédécesseur avait commandé à vos collègues, la sénatrice Valérie Létard et le député Jean-Louis Touraine, que je salue pour son travail et son intervention. Votre rapport, dont je veux souligner ici la grande qualité, s’inscrit lui-même dans le prolongement de ces constats.
Nous devons malheureusement nous attendre que les désastres de la guerre et la folie des tyrans continuent, demain, à alimenter, en certains points du monde la chaîne des persécutions. La France doit se montrer digne de son histoire en continuant à accueillir de façon digne et généreuse ceux qui en seront les victimes. Ce sera là l’esprit et le but du texte que le Gouvernement présentera dans quelques semaines à la délibération de votre assemblée. Je sais pouvoir compter sur chacune et chacun des parlementaires de la majorité et de l’opposition pour que ce texte soit l’occasion, pour la représentation nationale, de descendre au seul arrêt qui vaille : l’arrêt République.