La situation au Mali se dégrade depuis plusieurs années. Nous savons depuis trois ans combien le système Amadou Toumani Touré, dit ATT, était fragile, marqué par une incapacité de fait ou une volonté de ne pas prendre en compte la question Touareg au Nord. Cette fragilité s'est trouvée accentuée dans le même temps par la progression du narcotrafic dans cette région où la Guinée-Bissau, par exemple, n'est rien d'autre aujourd'hui qu'un porte-avions du cartel de la drogue sud-américain. Plus généralement, ces trafics traversent l'Afrique de part en part, à tel point que la consommation de stupéfiants est en train de changer la physionomie de certaines sociétés : selon un haut responsable de la lutte contre la drogue des Nations unies, plus de 2,5 millions de personnes en seraient aujourd'hui totalement dépendantes dans la seule Afrique de l'ouest ! Le Sahel et le Mali n'ont pas échappé à cette situation. Cette économie de la drogue a pourri le système ATT, les systèmes politiques finançant in fine la nébuleuse islamiste.
À cela s'ajoute le problème pluriséculaire de l'irrédentisme touareg, auquel Lyautey s'était déjà heurté. Le nord du Mali est touareg, le sud est noir, les deux n'ont jamais fait que coexister. Alors que se sont durablement installés les mouvements islamistes comme AQMI et le MUJAO (Mouvement pour l'unicité du jihad en Afrique de l'ouest) ainsi qu'Ansar Eddine, le MLNA Touareg (Mouvement de libération national de l'Azawad), apparu suite à la chute de Kadhafi, l'État malien est en situation de désagrégation potentielle. La situation humanitaire également s'est considérablement dégradée dans le nord du Sahel. Le président du Commissariat international de la Croix-Rouge (CICR), M. Peter Maurer, a fait part de son inquiétude face à l'afflux de plus de 100 000 réfugiés en Mauritanie et de 60 000 autres au Niger : la pression que font peser sur ces deux pays des mouvements de populations d'une telle ampleur devient insupportable. L'urgence est donc de le stabiliser. Le régime de transition, hérité du coup mené par le capitaine Sanogo, manque certes de légitimité démocratique.
AQMI, Ansar Eddine et le MUJAO ne regroupent qu'entre 600 et 800 personnes ; l'ensemble de ces mouvements ne dépasse peut-être guère les 2 000 individus mais la situation en matière de droits de l'homme est inquiétante dans les villes qu'ils contrôlent.
La question du rétablissement de l'État malien se pose. Une conférence a été organisée ce week-end à Bamako, à laquelle participaient la plupart des donateurs des grandes organisations internationales. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO), les Nations unies, l'Union européenne, la France, les États-Unis ont exprimé leur soutien aux efforts en cours. Sans doute le soutien à l'État malien passe-t-il par l'envoi d'une mission militaire de la CEDEAO, même si l'on peut légitimement se demander si elle est à même de déployer cinq ou six régiments – tels qu'ils sont composés en Afrique. Quoi qu'il en soit, un certain nombre d'engagements ont été pris.
La situation est donc complexe mais il faut agir très vite pour que le déploiement de cette force intervienne dans les meilleurs délais. La conférence de génération de force se tiendra au début du mois de novembre, après quoi il appartiendra à l'Union européenne, à la France et aux États-Unis d'examiner les moyens d'aider la CEDEAO et ses contingents à se rendre sur place afin de stabiliser la ligne de front. Nous verrons alors si les efforts que nous conduisons et ceux que nous souhaitons voir réaliser par l'Union européenne, notamment à travers l'initiative Weimar Plus, permettent de mener des actions de soutien de type EUTM (European Union Training Mission, mission d'entraînement de l'Union européenne) afin que les forces engagées puissent dans un second temps remonter vers le nord. Certes, nous savons fort bien que les tribus du fleuve ne prendront pas facilement cette direction et que l'idée de combattre les Touaregs suscite chez elles quelque angoisse, mais il est au moins une chose dont nous pouvons être sûrs, c'est que le temps ne joue pas en notre faveur. Je le répète donc : nous devons agir vite.
Il faut également faire très attention aux critiques que l'on entend ici ou là à propos du recours à la CEDEAO, dont les troupes n'auraient pas le niveau requis. Il est beaucoup trop tôt pour formuler le moindre jugement. Nous évaluons aujourd'hui la qualité des unités qui pourraient être envoyées au Mali et il appartiendra à la CEDEAO de présenter un concept d'opération crédible susceptible d'emporter l'aval du Conseil de sécurité.
J'ai essayé de vous brosser très rapidement le tableau d'une réalité protéiforme, mais qui exige une réaction de la communauté internationale, particulièrement de l'Union européenne et de l'Union africaine. Il est de ce point de vue intéressant de noter l'évolution de l'Afrique du Sud ou de l'Algérie, cette dernière en venant, à force d'être isolée, à considérer qu'une opération militaire est inévitable.
S'agissant des opérations à mener, des personnalités françaises de haut niveau ont clairement spécifié qu'il s'agissait pour nous d'accompagner la formation des forces de la CEDEAO car c'est notre engagement qui entraînera nos partenaires européens à agir avec nous. Avant-hier, Mme Merkel a fait passer dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung un message très positif quant à l'engagement de l'Allemagne à participer à une mission d'entraînement. Je peux vous assurer qu'il y a quinze jours, nous n'en étions pas là.