La réunion commence à seize heures trente-cinq.
Nous recevons aujourd'hui M. Michel Miraillet, directeur chargé de la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) du ministère de la défense, et à ce titre, responsable du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense », qui comprend notamment les crédits du renseignement et de la recherche. Les questions dont il a la charge occupent une bonne place dans les discussions en cours au sein de la commission chargée de l'élaboration du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale.
C'est pour moi la sixième occasion de rendre compte de la situation du programme 144, qui supporte l'essentiel de la fonction stratégique « connaissance et anticipation », mise en avant par le Livre blanc sur la défense de 2008. Il s'agit d'un programme à part au sein du ministère : non seulement c'est le plus petit, mais, bien qu'il recouvre les crédits des études amont de la Direction générale de l'armement (DGA) et ceux de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE), son responsable n'a pas d'autorité organique sur ces institutions.
En fait, je joue un rôle de tiers facilitateur entre les différents responsables de budgets opérationnels de programme (BOP). Cette fonction n'exclut toutefois, pas une participation pleine et entière aux processus de réforme ministérielle. C'est ainsi que les dernières années ont vu la réforme de la diplomatie de défense et que nous poursuivons, en liaison avec la DGA, l'effort pour diminuer le report de charge sur les études amont, maintenu cette année en deçà même de ce que nous avions programmé. Nous accompagnons en outre la montée en puissance de la DGSE, en facilitant ses opérations d'investissement grâce à la souplesse de gestion de l'ensemble du programme. Par exemple, si son directeur a besoin d'une avance de 30 millions d'euros, je peux la lui fournir en prélevant la somme sur une autre masse financière. Cette souplesse, autorisée par la loi organique sur les lois de finances, permet à chaque responsable de budget opérationnel d'atteindre ses objectifs particuliers.
Enfin, dans le même esprit, l'année 2012 a été marquée par la participation active du programme à l'effort de rationalisation de la tutelle sur nos cinq opérateurs, effort que le dernier rapport de l'Inspection générale des finances sur le sujet nous incite à poursuivre.
Le programme 144 recouvre un effectif de près de 8 800 personnes, réparties dans l'ensemble du ministère, entre l'état-major des armées (EMA), la DGA, le réseau des postes permanents à l'étranger et les services de renseignement – du moins la DGSE et la Direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) –, la Direction du renseignement militaire (DRM) demeurant, elle, au sein du programme 178, ce dont on peut d'ailleurs s'étonner.
Le programme 144 représente environ 1 910 millions d'euros, soit environ 5 % des crédits de paiement de la loi de finances initiale pour 2013 au titre de la mission « Défense », et une part notable des efforts consentis au profit de la recherche en matière de défense.
J'évoquerai d'abord la gestion du budget pour 2012. S'agissant des effectifs, les cibles de gestion fixées à l'ensemble du programme sont respectées en volume, de même que leur déclinaison au niveau de chacun des quatre budgets opérationnels de programme. Ainsi, pour une cible en effectif moyen réalisé prévisionnel (EMRP) de 8 697 équivalents temps plein travaillé (ETPT), le niveau d'occupation des emplois s'élevait à la fin de juillet à 8 680 ETPT. Certains employeurs du programme dépassent néanmoins les limites assignées, mais dans de faibles proportions et surtout en matière d'emploi de cadres civils. L'augmentation du nombre d'agents civils de catégorie A, techniques et administratifs, reste en effet, en 2012, la marque du programme. Cette priorité se concrétisera par une croissance de 5,6 % des emplois destinés aux personnels de ce niveau.
Ce renforcement des moyens concerne plus particulièrement les deux services de renseignements, la DPSD et la DGSE, qui accompagnent ainsi la modernisation de la conduite de leurs missions et leurs ambitions en termes d'amélioration de la productivité. De façon plus crue, il s'agit notamment de remplacer, au sein de la DPSD, des sous-officiers par des officiers brevetés, au moment où la réforme du contrôle de l'exportation d'armements va conduire à exiger plus de réactivité de la part de l'ancienne Sécurité militaire.
S'agissant des deux autres budgets opérationnels de programme, ceux de l'EMA et de la DGA, le maintien, voire le léger développement prévisionnel de l'encadrement supérieur civil atteste de l'effort général réalisé en faveur des secteurs à fort enjeu pour l'avenir – les études amont pour le BOP « DGA » et la pérennisation de la diplomatie militaire bilatérale.
Sur le plan budgétaire, et après les efforts de contrôle des coûts de personnel conduits par les quatre employeurs du programme, la dépense en masse salariale tend à être contenue. Toutefois, certains éléments empêchent d'acquérir une visibilité complète de la consommation, sur l'année, des crédits de rémunération. On peut citer la réalisation effective des économies catégorielles décidées par le ministère à l'été dernier ; le rétablissement complet au profit du BOP « DGA » du programme des crédits correspondant aux avances faites à ses écoles ; l'apurement sur l'actuel exercice 2012 des erreurs d'imputation de dépenses faites au détriment du programme.
Le déficit d'environ 2 % de la ressource initiale, sur lequel le programme établit ses prévisions pour l'année 2012, peut cependant être considéré comme une hypothèse probable. Nous mettons en oeuvre les mesures nécessaires pour en limiter le niveau.
S'agissant des autres titres, le programme devrait engager cette année environ 1 331 millions d'euros et payer 1 266 millions d'euros, hors consommation de la réserve qui représente à ce jour 69,66 millions d'euros d'autorisations d'engagement et 62,82 millions d'euros de crédits de paiement.
Comme les années précédentes, s'agissant des paiements, l'enjeu de la fin de gestion 2012 réside dans la levée de la réserve organique et dans l'autorisation donnée ou non de consommer les reports de crédits 2011 afin de limiter le report de charges à la fin de l'année. Une levée de la réserve complète associée à une autorisation de consommer les reports donnerait une capacité de paiement de quelque 1 401 millions d'euros.
Le programme 144 va par ailleurs disposer des ressources du compte d'affectation spéciale « Fréquences », pour un montant de 50 millions d'euros. Elles sont, comme vous le savez, affectées aux études amont.
Il convient de souligner que la non-levée de la réserve de précaution aurait des incidences sur la soutenabilité de ces études, dont les paiements s'échelonnent tout au long de l'année, affectant ainsi l'objectif de stabilisation de leur périmètre budgétaire à hauteur de 700 millions d'euros par an.
Quoi qu'il en soit, le programme prend à son niveau les mesures nécessaires et mobilise tous les acteurs concernés afin de consommer la totalité de la ressource, se fixant pour objectif de contenir le montant des reports de crédits pour 2013 dans les limites autorisées par la loi organique.
J'en viens maintenant au projet de loi de finances pour 2013. Le détail des demandes de crédits exprimées par le programme 144 figure dans le programme annuel de performance (PAP) qui vient d'être déposé sur le bureau des assemblées. Je vous présenterai la synthèse des points les plus marquants du prochain exercice.
Pour le titre 2, le programme 144 a pour perspective, en 2013 comme cette année, une croissance en effectifs comme en ressource budgétaire, et reste à cet égard une originalité au sein du ministère de la défense.
Pour les effectifs, le schéma d'emplois du plafond ministériel d'emplois autorisés (PMEA) présente en 2013 une variation à la hausse de 60 ETPT, après avoir bénéficié d'une augmentation de 88 ETPT en 2012.
Cette croissance est la conséquence du solde positif des créations et des économies d'emplois dans la composante « renseignement », mais aussi de la stabilisation des périmètres des BOP « EMA » et « DGA », les mesures de déflation étant compensées par les transferts d'emplois entrants dont bénéficient ces deux entités.
Par ailleurs, la politique de ressources humaines mise en oeuvre l'année prochaine au niveau du programme ne subit pas d'inflexion majeure sur le plan qualitatif. Elle reste prioritairement axée, d'une part, sur l'ouverture des emplois d'encadrement et de haute technicité – pour les militaires comme pour les civils – requis par les besoins fonctionnels des quatre BOP et, d'autre part, sur la préservation d'un rapport de deux tiers à un tiers entre civils et militaires.
En conséquence de ce développement des effectifs, qualitatif et quantitatif, la dotation en masse salariale croît de manière substantielle. Le socle financier passe d'une dotation de 597 millions d'euros à 633 millions d'euros, soit une augmentation de 6,07 %. Cette variation à la hausse de 36 millions d'euros recouvre en particulier les crédits correspondant aux 600 créations de postes en faveur des services de renseignement prévues par le Livre blanc de 2008 – un effort non négligeable dans le contexte actuel.
Examinées au niveau de chacun des budgets opérationnels de programme, les enveloppes de rémunération évoluent différemment. Elles s'inscrivent cependant en cohérence avec le reformatage physique, à la hausse ou à la baisse, qui les concernera en 2013.
Pour les autres titres, la nomenclature du programme 144 est simplifiée sans que son périmètre varie pour autant. Il se compose dorénavant de trois actions : l'action 3, « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France », dont le périmètre est inchangé ; l'action 7, « Prospective de défense » ; et l'action 8, « Diplomatie de défense ».
L'action 7 regroupe trois anciennes actions : « Analyse stratégique, Prospective des systèmes de force » et « Maintien des capacités technologiques et industrielles », elle-même divisée en deux sous-actions, la sous-action 73, « Études amont », et la sous-action 74, « Soutien et subvention ».
Hors titre 2, les crédits du programme connaissent une augmentation, à périmètre identique, de 2,72 % en autorisations d'engagement (AE) et de 6,17 % en crédits de paiement (CP). Cette tendance est la conséquence du maintien à un niveau élevé des études amont menées sous l'égide de la DGA. Les crédits consacrés à ces dernières augmentent de 11,65 % en CP pour atteindre un montant de 706,8 millions d'euros.
Les crédits de l'action 3 ne connaissent quant à eux qu'une augmentation de 1,2 % en CP. Le titre 2 de la DGSE augmente donc sans entraîner de hausse proportionnelle des crédits hors titre 2. C'est dire les efforts accomplis pour rechercher des économies de structure.
Enfin, l'action 8, « Diplomatie de défense », voit augmenter le soutien aux exportations de 5,17 % en CP, notamment à cause de l'organisation en 2013 du salon du Bourget. Le budget de la diplomatie de défense poursuit sa décroissance, due à la réorganisation des postes permanents à l'étranger. Il s'élève à 36,78 millions d'euros en CP, soit 3,18 % de moins qu'en 2012, l'accroissement optique apparaissant dans le PAP résultant d'opérations de gestion.
Je vais maintenant vous présenter l'évolution de chacune des actions du programme.
L'action 3, « Recherche et exploitation du renseignement intéressant la sécurité de la France », voit donc son budget augmenter de 1,2 % en CP pour atteindre 226 millions d'euros de crédits de paiement, qui se répartissent en 214 millions d'euros pour la DGSE et 12 millions d'euros pour la DPSD.
Pour ce qui concerne la sous-action 31 intéressant la DGSE, les 84 millions d'euros de crédits de paiement du titre 5 serviront, d'une part, à l'acquisition de matériels opérationnels dédiés au traitement et à l'exploitation du renseignement obtenu, ainsi qu'au soutien, au support et à la logistique des opérations et, d'autre part, à la construction, à la modernisation et à l'adaptation des locaux abritant les matériels techniques de recueil et de traitement de l'information.
Conformément aux décisions gouvernementales, la DGSE a poursuivi la rationalisation de ses dépenses de fonctionnement, ce qui se traduit par la baisse des dotations concernées. Cette diminution est toutefois atténuée par l'augmentation des effectifs qui, mécaniquement, entraîne celle des dépenses de fonctionnement – surfaces d'accueil, entretien, formation, recrutement. Le recentrage des fonds spéciaux sur leur usage spécifique se poursuit.
Les moyens alloués à la DPSD, retracés dans la sous-action 32, restent stables, l'augmentation étant limitée à 0,42 %. Cette stabilité traduit également la volonté de procéder à des économies de fonctionnement.
Les crédits d'investissement de la DPSD s'élèveront en 2013 à 2,25 millions d'euros afin de maintenir la performance du système d'information et de sécurité à un haut niveau et de former spécifiquement le personnel aux métiers de cette direction.
L'action 7, « Prospective de défense », la plus importante en volume du programme 144, comprend quatre sous-actions. La sous-action 71 rassemble les crédits consacrés par le ministère de la Défense à l'analyse stratégique : 5,11 millions d'euros en crédits de paiement et 8,11 millions en autorisations d'engagement. Les augmentations seront donc, respectivement, de 4 % et de plus de 50 %, cette dernière s'expliquant par le souci de nouer des partenariats de long terme avec les acteurs de la recherche stratégique, sous la forme par exemple de contrats pluriannuels.
Les subventions aux publications stratégiques sont destinées à renforcer la visibilité de la pensée stratégique française. La délégation aux affaires stratégiques (DAS) assure la diffusion des études prospectives et stratégiques, à travers des conventions de publication avec des éditeurs européens pour des publications anglophones ou francophones, ou à travers des actions venant au soutien des positions françaises – organisation d'événements informels et d'échanges de vues ou participation à des rencontres où la présence de représentants français apparaît souhaitable, etc.
Le programme 144 assure également le financement des programmes « Personnalités d'avenir défense » et « Post-doctorats », pour un montant total de 150 000 euros.
Le premier a pour objectif de sensibiliser de futures élites étrangères aux positions françaises en matière de sécurité et de défense et de créer des contacts entre ces jeunes cadres et les correspondants français partageant les mêmes centres d'intérêt. Ces personnalités sont accueillies en petites délégations ou individuellement pour un séjour d'étude d'une durée d'une semaine. Le programme prend en charge toutes les dépenses afférentes à ce séjour.
Quant au programme « Financement des post-doctorats », il vise à favoriser l'émergence, au sein de la communauté universitaire, de pôles d'excellence en identifiant et en soutenant chaque année une dizaine de jeunes chercheurs dont la qualité et les thèmes de recherche présentent un intérêt manifeste pour notre sécurité et pour notre défense.
La sous-action 72, « Prospective des systèmes de force », regroupe les crédits consacrés aux études opérationnelles et technico-opérationnelles (EOTO) qu'il est prévu d'engager en 2013, conformément aux orientations qui ressortent du plan prospectif à trente ans. Ces études, pilotées par l'état-major des armées, visent à consolider les concepts, l'expression des besoins militaires, la préparation des opérations d'armement et les doctrines d'emploi liées à la mise en oeuvre des équipements ; elles évaluent le potentiel opérationnel, actuel et futur, de nouvelles technologies.
Le budget 2013 des EOTO, d'un montant de 24,6 millions d'euros, est stable par rapport à celui voté en loi de finances pour 2012. Le recentrage sur les études de plus grande ampleur et la recherche corrélative d'une réduction des « micro-études » restent au rang des objectifs d'efficience visés par le programme.
La sous-action 73 regroupe les crédits consacrés aux études amont qui sont conduites par la Direction générale de l'armement (DGA), en coopération étroite avec l'état-major des armées. Ces études représenteront en 2013 54,4 % des autorisations d'engagement du programme 144, hors titre 2, et 55,4 % des crédits de paiement, soit respectivement 736 millions d'euros en AE et 706 millions d'euros en CP. C'est dire leur importance dans le programme dont j'ai la responsabilité.
Rappelons que ces études sont des recherches et des études appliquées, de nature technique, rattachées à un besoin opérationnel prévisible ; elles sont définies comme un ensemble de travaux qui contribuent à maîtriser la base industrielle et technologique de défense et de sécurité et la base étatique nécessaire à la réalisation des opérations d'acquisition ou de maintien à niveau d'équipements, notamment par la levée de risques préalablement à leur lancement.
En 2013, les crédits prévus pour les études amont sont stables en ce qui concerne les autorisations d'engagement et en nette augmentation pour ce qui est des crédits de paiement puisque ceux-ci progressent de près de 12 %. Cela situe l'importance accordée à ces études dans une période de forte contrainte budgétaire.
Dans le projet annuel de performances, ces crédits sont divisés en deux opérations stratégiques : d'une part, la prospective et la préparation de l'avenir, pour un montant de 491 millions d'euros d'AE et de 515 millions d'euros de CP, et, d'autre part, la dissuasion, pour un montant de 245 millions d'euros d'AE et de 191 millions d'euros de CP.
Au total, l'enveloppe disponible se stabilise autour de 700 millions d'euros, ce qui traduit une remontée de ces crédits depuis le début des années 2000, date à laquelle les crédits d'études amont avaient atteint leur plus bas niveau – environ 400 millions d'euros de crédits de paiement. L'objectif fixé par la loi de programmation militaire était d'éviter un décrochage technologique vis-à-vis de nos principaux partenaires.
À partir de 2004-2005, la forte croissance de l'engagement des autorisations d'engagement a entraîné de lourds reports de charges, les crédits de paiement n'ayant pas suivi au même rythme. Durant ces dernières années, le responsable du programme, en liaison avec la DGA et la Direction des affaires financières, s'est efforcé de limiter ce report d'un exercice sur l'autre pour améliorer l'exécution des paiements et renforcer l'effet multiplicateur des crédits dévolus aux études amont. Pour l'année 2012, un plafond de 90 millions d'euros de reports avait été fixé. Les reports devraient finalement être limités à quelque 85 millions d'euros. Ce résultat a été obtenu par un « refroidissement » progressif des engagements, qui permet un meilleur pilotage de ce budget.
Dans le domaine des ressources, il faut noter que les recettes issues du compte d'affectation spéciale « Fréquences » – soit, en 2013, environ 45 millions d'euros – sont affectées aux études amont.
Je rappellerai pour finir sur ce point que les études amont sont incluses dans un agrégat plus large appelé « Recherche et développement », comprenant notamment la recherche duale portée par le programme 191 « Recherche duale » de la mission « Recherche » ainsi que la recherche menée par le CEA au titre du programme 146 « Équipement des forces ».
La sous-action 74 est complémentaire de la précédente car elle rassemble les crédits consacrés aux subventions à des opérateurs qui participent eux aussi à l'effort de recherche de défense : il s'agit des écoles de la DGA, de l'École polytechnique, de l'École nationale supérieure de techniques avancées (ENSTA), de l'École nationale supérieure des ingénieurs des études et techniques d'armement (ENSIETA), de l'Institut supérieur de l'aéronautique et de l'espace (ISAE), ainsi que de la part « défense » de la subvention de l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (ONERA) et de la subvention à l'Institut Saint Louis.
Les sous-actions 73 et 74 forment d'ailleurs l'agrégat « Recherche et technologie », qui représente environ 2 % du budget de la défense français. À titre de comparaison, les Britanniques y consacrent environ 1,5 % de leur budget, les Allemands un peu plus d'1 %. Quant aux États-Unis, en 2010, ils dépensaient pour cet agrégat 10,1 milliards d'euros, contre 0,82 milliard d'euros en France.
Pour les subventions versées aux opérateurs de l'État relevant du programme, les crédits sont stables par rapport à 2012, soit un montant d'environ 270 millions d'euros. Comme je le rappelais en préambule, nous accentuons notre effort pour rationaliser la tutelle de ces opérateurs, en liaison avec les autres programmes de la mission « Défense ». Nous sommes conscients des efforts à consentir pour que ces opérateurs participent pleinement aux efforts de maîtrise financière accomplis par l'État – y compris l'École polytechnique, qui a parfois du mal à l'accepter, au point de faire intervenir ses anciens élèves pour tenter de faire revenir le chef du programme sur ses décisions…
L'action 8, « Relations internationales », regroupe les crédits consacrés au soutien aux exportations d'armements et à la diplomatie de défense. En crédits de paiement, cette action est en recul de près de 2 %. Elle représente 43,7 millions d'euros.
La sous-action 81, relative au soutien aux exportations, enregistre une augmentation de plus de 5 %, hors titre 2, pour s'établir à 6,9 millions d'euros environ. Cette augmentation est essentiellement provoquée, comme je l'ai dit, par la tenue en 2013 du salon de l'aéronautique et de l'espace du Bourget – de beaucoup plus onéreux que les salons Eurosatory et Euronaval. Cependant, par rapport à 2011, dernière année où s'est tenu ce salon, l'économie est de 200 000 euros.
La sous-action 82 « Diplomatie de défense » est, pour sa part, en repli de près de 3 % grâce à la poursuite de la réorganisation du réseau. Ses dépenses s'établiront en 2013 à 36,8 millions d'euros.
Les 30,29 millions d'euros de crédits d'intervention relevant de la diplomatie de défense comprennent les versements au titre du Partenariat mondial contre la prolifération des armes de destruction massive et des matières connexes, dit PMG 8 et la contribution à la République de Djibouti. Par convention signée le 16 mars 2009, l'État a en effet délégué au Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA) la mission de gérer les actions de coopération bilatérales et multilatérales entreprises dans le cadre du PMG8, adopté lors du sommet de Kananaskis de juin 2002, ainsi que les fonds versés à cette fin. En mai 2011, le sommet du G8 de Deauville a décidé de prolonger ce partenariat au-delà de 2012. La part des crédits relevant du ministère de la défense et des anciens combattants s'élève à 5 742 000 euros.
La France est par ailleurs redevable d'une contribution annuelle forfaitaire de 30 millions d'euros au gouvernement de la République de Djibouti, en compensation de l'implantation des forces françaises sur son territoire. Cette contribution relève de la convention bilatérale du 3 août 2003, dont les dispositions financières ont été confirmées dans le nouveau traité de coopération en matière de défense, signé le 21 décembre 2011 entre la France et Djibouti, et qui entrera en vigueur à l'issue de sa double ratification. Sur ces 30 millions d'euros, 24,55 millions d'euros relèvent en 2013 du programme 144.
Pour conclure cette intervention, je me permettrai de signaler trois aspects, que je considère comme positifs, du pilotage du programme 144 par la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) et son équipe de six personnes – à comparer aux 32 personnes qui gèrent les quelque 3 milliards d'euros du programme 212 « Soutien de la politique de défense ».
Tout d'abord, la coordination a été renforcée entre tous les acteurs de la fonction « prospective », comme le demandait le Livre blanc de 2008.
Ensuite, ce programme, concentré autour d'une seule priorité, permet de sanctuariser des crédits – comme ceux de la DGSE ou des études amont –, alors que dans un programme regroupant plusieurs priorités, le risque est d'être conduit à prélever des crédits sur une action au détriment d'une autre.
Enfin, le programme permet d'articuler entre elles les différentes études menées au sein du ministère de la Défense. C'est parce que nous connaissons notre environnement international et que nous bénéficions des informations transmises par les utilisateurs de nos capacités militaires que nous sommes à même de programmer au mieux les études amont, qui débouchent elles-mêmes sur les programmes d'armement.
Serait-il possible d'obtenir la liste des études que vous financez en partie ou en totalité ?
Elle est d'ores et déjà disponible sur le site Internet de la DAS, à l'exception des études classées « confidentiel défense » ou « secret défense ».
Les autres études sont publiques. Depuis six ans, je me suis attaché au principe de suppression des subventions au profit du recours généralisé aux appels d'offres ou – pour les études d'un montant inférieur à 4 000 euros – des marchés de gré à gré. Les bénéficiaires principaux sont un nombre limité d'institutions, ce qui correspond au paysage de la recherche stratégique française : il s'agit pour l'essentiel de la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), de l'Institut des relations internationales et stratégiques (IRIS), du Centre d'études et de recherches internationales (CERI) et, dans une moindre mesure, de l'Institut français des relations internationales (IFRI).
Le « cyber » relève-t-il de vos compétences ? Si tel est le cas, quelles dispositions sont prises pour circonscrire le danger ?
Les éventuelles dépenses liées aux accords de défense conclus avec d'autres pays que Djibouti relèvent-elles également du budget de la Délégation aux affaires stratégiques (DAS) ?
Non, l'accord avec Djibouti est le seul dans ce cas, pour des raisons historiques.
Pas seulement. La contribution est liée à la présence de nos trois armées et, en particulier, à l'utilisation de l'aéroport et du port de Djibouti. Deux facilités où la présence de nos partenaires américains ou européens dans le cadre de la lutte contre la piraterie ont vu s'accroître une certaine concurrence.
Quant au « cyber », il se retrouve partout : il est le thème de certaines études commandées à des instituts, mais est aussi au coeur des activités de la DGA ou de nos services, notamment pour ce qui concerne la sécurisation des systèmes informatiques du ministère de la Défense. Le domaine reste surtout de la compétence de l'Agence nationale de sécurité des systèmes d'information (ANSSI), rattachée au secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) et dirigée par Patrick Pailloux. En termes budgétaires, je n'ai donc affaire à la cyberdéfense que de manière indirecte.
Avant tout, je souhaiterais que vous fassiez savoir aux hommes et femmes de l'ombre qui travaillent dans les services de sécurité extérieure que la représentation nationale est consciente du caractère éminemment stratégique de leur action, ainsi que de la difficulté de leurs missions. Nous avons une pensée particulière pour notre agent retenu en Somalie.
Comment a évolué, selon vous, la qualité du recrutement au sein de la DGSE ? Vous pouvez espérer recruter les meilleurs des meilleurs, mais y parvenez-vous toujours ?
Combien de personnes sont accueillies chaque année au titre du programme « personnalités d'avenir » ? Nous savons que les pays anglo-saxons, en particulier les États-Unis, sont passés maîtres dans ce type de relations. Il me paraît important d'encourager les liens entre notre pays et les personnalités francophiles – à défaut d'être francophones.
Je suis reconnaissant des propos que vous avez tenus au sujet des personnels des services et je ne manquerai pas de les rapporter à leur directeur général.
À ma connaissance, celui-ci, je crois, se félicite de la qualité de son personnel, dont le recrutement obéit en effet à de fortes exigences, qu'il s'agisse des qualifications ou des garanties de sécurité.
Je le répète, créer 150 emplois à temps plein chaque année pendant quatre ans témoigne, dans les conditions budgétaires actuelles, d'une volonté très forte, et le service en est tout à fait reconnaissant. C'est notamment l'une des raisons pour laquelle la DGSE est aujourd'hui l'un des principaux soutiens de l'intégrité du programme 144. Mais il revient à son responsable de gérer comme il l'entend ses effectifs et sa masse salariale. Ainsi, s'il souhaite recruter un spécialiste de la cyberdéfense, à qui on ne peut proposer un traitement de fonctionnaire ordinaire, il devra sans doute procéder à la fusion de plusieurs ETPT. Mais une telle décision relève de sa seule responsabilité ; pour ma part, je ne fais que mettre des moyens à sa disposition.
À propos de la sous-action 71, consacrée aux analyses stratégiques, vous avez évoqué une augmentation de 50 % en autorisations d'engagement, contre 4 % seulement en crédits de paiement. À quoi doit-elle servir ?
S'agissant des études amont, vous avez insisté fortement sur la seule recherche appliquée. Votre programme comporte-t-il également une part de recherche fondamentale ? Avec qui avez-vous noué des partenariats ?
La DGSE a bénéficié d'une augmentation importante de ses effectifs – 600 équivalents temps plein supplémentaires. D'un point de vue quantitatif, ses besoins sont donc satisfaits. Qu'en est-il de ses besoins qualitatifs ? Je me rappelle par exemple qu'il y a quatre ans, d'importants manques avaient été identifiés en termes de maîtrise des langues étrangères. Ces problèmes sont-ils derrière nous ? D'autres sont-ils apparus ?
Le directeur général ne m'a rapporté aucune difficulté tenant à la qualité de ses ressources humaines même s'il est sans doute toujours possible de faire mieux en la matière, par exemple en nous assurant la collaboration d'un plus grand nombre de spécialistes de langues rares. Et si le service - mais c'est à lui qu'il vous faut vous adresser - a pu par le passé rencontrer d'éventuels problèmes de recrutement sur telle ou telle qualification, ceux-ci n'ont jamais été insurmontables comme le prouve notamment la qualité du travail effectué par les services en Afghanistan, en Somalie ou en Libye. Ils oeuvrent certes dans l'ombre, comme le rappelait M. Folliot, mais ils oeuvrent efficacement.
Notre programme d'invitations est un peu à l'image de celui qui est mis en place au sein du ministère des Affaires étrangères. Doté de 150 000 euros, il ne nous permet de faire venir en France une quinzaine de personnes chaque année de toutes origines, de collaborateurs de membres éminents du Congrès des États-Unis, des personnalités de pays membres de l'OTAN, des leaders d'opinion, tous intéressés par les affaires de défense. Nous sommes à même de les accueillir pendant trois ou quatre jours dans de très bonnes conditions et sur la base d'un programme sur mesure. La force de ce programme réside en effet en ce que tout le monde joue le jeu, des cabinets ministériels à la Présidence de la République. Les conseillers de la Présidence, quelle qu'elle ait été, ont d'ailleurs toujours tenu à le perpétuer. Au bout de trois ou quatre ans, nous disposons d'un petit portefeuille d'une soixantaine de personnes dont certaines se sont révélées rapidement, des paris réussis à la faveur d'une formation ultérieure sur des postes de première importance. Bien entendu, cela suppose de maintenir les contacts et requiert à toutes les phases le soutien de nos postes diplomatiques – mais, pour le moment en tout cas, celui-ci nous semble plutôt acquis.
L'augmentation de la dotation de l'action 71 va en grande partie au système Osiris, base de données dédiée à l'étude des relations Sud-Sud, que nous avons mise en place avec la Compagnie européenne d'intelligence stratégique (CEIS). Son accès n'est évidemment pas public mais, si vous êtes intéressés, je serai heureux de vous accueillir pour une démonstration. En partenariat avec la CEIS, la DAS utilise ainsi depuis trois ans un certain nombre de capteurs pour le traitement automatisé de 250 à 300 médias des pays du Sud, ce qui nous permet de disposer de données, d'histogrammes et de référentiels facilitant l'analyse des relations internationales – par exemple entre l'Argentine et l'Inde ou la Chine. Nous parvenons ainsi à définir un certain nombre de tendances lourdes et ces résultats, qui peuvent être très étonnants, constituent autant d'aides à la décision. Les services de renseignements sont évidemment les plus gros consommateurs mais il est tout à fait symptomatique que le ministère des Affaires étrangères s'intéresse désormais de près à cet outil. Le développement de cette base de données coûte assez cher mais l'investissement vaut la peine : nous n'avons pas encore pris toute la mesure de ce que nous pouvons en attendre !
La recherche amont n'a rien à voir avec la recherche fondamentale : elle relève tout entière de la recherche appliquée. Dans le domaine nucléaire, elle porte par exemple sur la pénétration des têtes, sur les matériaux ou sur des améliorations techniques. Le maintien d'une enveloppe de 700 millions exigeant déjà un effort de tous les instants, il est difficile de sortir de ce cadre.
Le ministre de la défense tient beaucoup à la relance d'un processus de défense européenne et le projet « Weimar Plus » pourrait constituer une contribution cruciale à cet égard. Où en est-il ? Une déclaration franco-allemande était annoncée pour cet automne…
Nous ne sommes qu'au début de l'automne : les arbres sont encore verts !
Le ministre de la défense, conformément aux choix faits par le Président de la République, a souhaité que l'Europe de la défense soit relancée alors que l'idée tendait à disparaître des priorités gouvernementales depuis la présidence française de l'Union européenne. Les leçons tirées du conflit libyen, la réforme des structures de commandement de l'OTAN et les bénéfices que nous avons pu en retirer nous conduisent à réaffirmer notre plein engagement dans l'Alliance mais, en même temps, nous avons la conviction qu'aucune initiative en faveur de cette Europe de la défense n'est à attendre de nos principaux partenaires et qu'il nous appartient donc de prendre de nouvelles initiatives. Dans cet esprit et s'agissant de Weimar plus, la France devrait réunir le 15 novembre prochain à Paris les ministres des affaires étrangères et de la défense des 5 pays. Il est probable qu'un texte dont la nature reste encore à définir sera publié à cette occasion afin de relancer notre ambition commune.
Pourquoi « Weimar plus » ? Le format a connu une actualité particulière dans le contexte d'une opposition entre d'une part, le ministre des Affaires étrangères britannique et, d'autre part les ministres français, allemand et polonais sur le dossier du quartier général opérationnel (OHQ). Cette structure, qui était un moyen d'appuyer la présidence polonaise de l'Union, nous avons pensé que lui adjoindre les Espagnols et les Italiens était un bon moyen d'afficher une masse critique susceptible de rallier sur la question de la relance de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC) d'autres nations européennes, comme la Suède ou la Finlande. Ces deux derniers pays, comme l'Italie étant aujourd'hui des promoteurs fervents de la relance européenne même s'il ne faut pas se faire d'illusion sur les moyens que tous ces partenaires peuvent aujourd'hui consacrer à un tel projet. Quant aux Britanniques, dont les réticences vous sont bien connues, c'est une politique de transparence qui est suivie à leur égard.
Le schéma « Weimar plus » tiendra le temps qu'il tiendra, mais il pourrait permettre d'agréger d'autres nations comme la Finlande et la Suède qui est fondamentalement intéressée au développement des opérations européennes. L'objectif est de créer une « masse centrale ». Même si, je le répète, nous ne nourrissons pas de faux espoirs sur la volonté de certains de vos partenaires.
Les initiatives trouvent également une illustration dans le domaine des capacités. J'en veux pour exemple le lancement avec les Allemands et les Néerlandais d'une initiative portant sur l'acquisition et l'emploi de ravitailleurs
Pourriez-vous faire le point sur la situation au Mali et sur le rôle d'Al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) ?
La situation au Mali se dégrade depuis plusieurs années. Nous savons depuis trois ans combien le système Amadou Toumani Touré, dit ATT, était fragile, marqué par une incapacité de fait ou une volonté de ne pas prendre en compte la question Touareg au Nord. Cette fragilité s'est trouvée accentuée dans le même temps par la progression du narcotrafic dans cette région où la Guinée-Bissau, par exemple, n'est rien d'autre aujourd'hui qu'un porte-avions du cartel de la drogue sud-américain. Plus généralement, ces trafics traversent l'Afrique de part en part, à tel point que la consommation de stupéfiants est en train de changer la physionomie de certaines sociétés : selon un haut responsable de la lutte contre la drogue des Nations unies, plus de 2,5 millions de personnes en seraient aujourd'hui totalement dépendantes dans la seule Afrique de l'ouest ! Le Sahel et le Mali n'ont pas échappé à cette situation. Cette économie de la drogue a pourri le système ATT, les systèmes politiques finançant in fine la nébuleuse islamiste.
À cela s'ajoute le problème pluriséculaire de l'irrédentisme touareg, auquel Lyautey s'était déjà heurté. Le nord du Mali est touareg, le sud est noir, les deux n'ont jamais fait que coexister. Alors que se sont durablement installés les mouvements islamistes comme AQMI et le MUJAO (Mouvement pour l'unicité du jihad en Afrique de l'ouest) ainsi qu'Ansar Eddine, le MLNA Touareg (Mouvement de libération national de l'Azawad), apparu suite à la chute de Kadhafi, l'État malien est en situation de désagrégation potentielle. La situation humanitaire également s'est considérablement dégradée dans le nord du Sahel. Le président du Commissariat international de la Croix-Rouge (CICR), M. Peter Maurer, a fait part de son inquiétude face à l'afflux de plus de 100 000 réfugiés en Mauritanie et de 60 000 autres au Niger : la pression que font peser sur ces deux pays des mouvements de populations d'une telle ampleur devient insupportable. L'urgence est donc de le stabiliser. Le régime de transition, hérité du coup mené par le capitaine Sanogo, manque certes de légitimité démocratique.
AQMI, Ansar Eddine et le MUJAO ne regroupent qu'entre 600 et 800 personnes ; l'ensemble de ces mouvements ne dépasse peut-être guère les 2 000 individus mais la situation en matière de droits de l'homme est inquiétante dans les villes qu'ils contrôlent.
La question du rétablissement de l'État malien se pose. Une conférence a été organisée ce week-end à Bamako, à laquelle participaient la plupart des donateurs des grandes organisations internationales. La Communauté économique des États de l'Afrique de l'ouest (CEDEAO), les Nations unies, l'Union européenne, la France, les États-Unis ont exprimé leur soutien aux efforts en cours. Sans doute le soutien à l'État malien passe-t-il par l'envoi d'une mission militaire de la CEDEAO, même si l'on peut légitimement se demander si elle est à même de déployer cinq ou six régiments – tels qu'ils sont composés en Afrique. Quoi qu'il en soit, un certain nombre d'engagements ont été pris.
La situation est donc complexe mais il faut agir très vite pour que le déploiement de cette force intervienne dans les meilleurs délais. La conférence de génération de force se tiendra au début du mois de novembre, après quoi il appartiendra à l'Union européenne, à la France et aux États-Unis d'examiner les moyens d'aider la CEDEAO et ses contingents à se rendre sur place afin de stabiliser la ligne de front. Nous verrons alors si les efforts que nous conduisons et ceux que nous souhaitons voir réaliser par l'Union européenne, notamment à travers l'initiative Weimar Plus, permettent de mener des actions de soutien de type EUTM (European Union Training Mission, mission d'entraînement de l'Union européenne) afin que les forces engagées puissent dans un second temps remonter vers le nord. Certes, nous savons fort bien que les tribus du fleuve ne prendront pas facilement cette direction et que l'idée de combattre les Touaregs suscite chez elles quelque angoisse, mais il est au moins une chose dont nous pouvons être sûrs, c'est que le temps ne joue pas en notre faveur. Je le répète donc : nous devons agir vite.
Il faut également faire très attention aux critiques que l'on entend ici ou là à propos du recours à la CEDEAO, dont les troupes n'auraient pas le niveau requis. Il est beaucoup trop tôt pour formuler le moindre jugement. Nous évaluons aujourd'hui la qualité des unités qui pourraient être envoyées au Mali et il appartiendra à la CEDEAO de présenter un concept d'opération crédible susceptible d'emporter l'aval du Conseil de sécurité.
J'ai essayé de vous brosser très rapidement le tableau d'une réalité protéiforme, mais qui exige une réaction de la communauté internationale, particulièrement de l'Union européenne et de l'Union africaine. Il est de ce point de vue intéressant de noter l'évolution de l'Afrique du Sud ou de l'Algérie, cette dernière en venant, à force d'être isolée, à considérer qu'une opération militaire est inévitable.
S'agissant des opérations à mener, des personnalités françaises de haut niveau ont clairement spécifié qu'il s'agissait pour nous d'accompagner la formation des forces de la CEDEAO car c'est notre engagement qui entraînera nos partenaires européens à agir avec nous. Avant-hier, Mme Merkel a fait passer dans la Frankfurter Allgemeine Zeitung un message très positif quant à l'engagement de l'Allemagne à participer à une mission d'entraînement. Je peux vous assurer qu'il y a quinze jours, nous n'en étions pas là.
Vous soutenez des forums de dialogue stratégique avec un certain nombre de pays étrangers. Lesquels ? Quel est le coût de ces opérations et de quels programmes sont-elles issues ?
Nous entretenons 42 dialogues dits stratégiques de toutes matières dont les niveaux et les interlocuteurs diffèrent grandement : on peut distinguer les dialogues officiels, avec des institutions étatiques – c'est le Track I – et ceux qui sont menés, dans le cadre du Track II, avec des instituts de recherche tels que, chez nous, la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) ou l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et, aux États-Unis, le Center for Strategic and International Studies (CSIS). D'anciens fonctionnaires ou des fonctionnaires en activité ainsi que des chercheurs qualifiés participent à ces forums. Au niveau officiel, des dialogues stratégiques existent également avec des directeurs politiques « Défense » et « Affaires étrangères », par exemple, avec les États-Unis ou le Brésil.
S'agissant, des "Track II", et pour vous donner quelques exemples, nous entretenons des relations suivies avec le CSIS américain dans le cadre d'un remarquable exercice sur les politiques nucléaires de défense et les proliférations. Avec Israël, Singapour, le Brésil ou l'Inde, nos dialogues sont intenses mais là encore reflètent, s'agissant des enceintes, les particularités des organisations. Notre dialogue stratégique avec Israël juxtapose ainsi les directeurs stratégiques des ministères de la défense, mais aussi un exercice annuel avec l'Institute for National Security Studies (INSS), l'ancien Jaffee Center, largement composé de hauts représentants du renseignement militaire israélien ainsi que de chercheurs renommés. Ces contacts sont précieux pour évaluer les positions de nos partenaires.
Récemment, nos rapports se sont intensifiés avec les pays d'Asie du sud-est, ainsi qu'avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande. Comparativement à ce qu'elles étaient vers 1995, nos discussions avec ces deux derniers pays sont d'une proximité et d'une qualité que peu soupçonnent, s'agissant par exemple de l'analyse du dossier afghan, de la place de l'Inde, dans les futures architectures de sécurité, de l'évolution du « vortex » pakistanais, de l'OTAN et de l'évolution du partenaire américain.
Ces dialogues font partie intégrante du travail de ma délégation. Nous subventionnons naturellement certains Track II pour des montants limités (entre 20 000 et 30 000 euros).
J'ajoute que, dans certains de ces exercices, participent des représentants de la cellule diplomatique de la Présidence de la République, du Quai d'Orsay et du ministère de la défense au sens large – en y comprenant donc la DAS, l'état-major des armées et la DGSE. Ces rendez-vous, réguliers sans être pour autant institutionnalisés, constituent ainsi un outil politico-militaire tout à fait bénéfique à l'ensemble de nos institutions respectives.
Quelle est aujourd'hui la situation politique et économique en Côte d'Ivoire et en Libye, pays dans lesquels nous sommes récemment intervenus ? Quel niveau de démocratie ont-ils atteint ?
La Libye en est encore à la phase révolutionnaire. Ce processus durera des années avant que la situation ne se stabilise, d'une manière ou d'une autre. Nous soutenons à Tripoli un gouvernement qui fait de son mieux, mais qui demeure encore sous la surveillance de milices, les rapports de pouvoir demeurant souvent délicats à percevoir. Nous ne sommes peut-être pas au bout de certaines violences.
Du point de vue économique, la Libye commence à retrouver le niveau de ses exportations de pétrole d'avant la révolution. Elle constitue indéniablement un marché difficile mais prometteur à condition que nous maintenions d'autres investissements sur ce pays, malgré la frustration que peut générer l'ampleur de processus de stabilisation du pays.
D'autre part, ce pays constituant une voie de passage de l'Afrique centrale et subsaharienne vers l'Italie et la Grèce, il est une voie de migrations d'autant plus importante, d'autant que ses frontières ne sont pas aujourd'hui surveillées. Les autorités libyennes ont aujourd'hui à coeur de faire face à leurs responsabilités et réfléchissent à des programmes de surveillance, qui pourraient être mis en place avec l'assistance de la plupart des pays européens, dont la France.
La situation est insatisfaisante, c'est indéniable, pour nos yeux européens. Il est donc plus que jamais nécessaire de nous investir fortement auprès des autorités de Tripoli, au sens large, en nous gardant de vouloir imposer des solutions, compte tenu de la sensibilité nationale locale. La France a sur ce point un capital initial qu'il nous faut exploiter.
En Côte d'Ivoire, nous avons, à la demande des Nations unies, aidé à rétablir l'ordre et l'autorité du président élu. Il serait aujourd'hui prématuré de parler de stabilisation définitive, mais il nous appartient d'oeuvrer à la reconstruction de la République de Côte d'Ivoire (RCI), dans toute la mesure du possible. La fragilité de la situation et de la réconciliation nationale ne peut être niée, mais il appartient désormais aux Ivoiriens de faire leur choix. Nous verrons si la Côte d'Ivoire sera en mesure de participer à la force de la CEDEAO au Mali, je n'en suis pas sûr. L'urgence est aujourd'hui dans ce pays à la reprise de l'activité économique et à la réconciliation.
La séance est levée à dix-huit heures.