Intervention de Bernard Gérard

Séance en hémicycle du 3 juin 2014 à 21h30
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Gérard :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, annoncé à plusieurs reprises, débattu au sein même du Gouvernement, repoussé à dessein après les élections municipales, puis européennes, le texte qui nous est soumis aujourd’hui aura traversé un parcours pour le moins chaotique et aura survécu aux critiques légitimes dont il fait l’objet depuis presque un an maintenant. Ces critiques justifiées s’appuient sur un constat empreint de réalisme : la terrible montée de la délinquance sur l’ensemble du territoire. Cette situation a été mise en avant par les forces de l’ordre et par les préfets, et nous-mêmes, en tant qu’élus de terrain, notons les préoccupations de nos concitoyens à cet égard.

Quoi qu’en dise donc la majorité, c’est bien un texte qui fait polémique et qui ne répond nullement aux attentes des Français puisque, selon les sondages, ils sont 75 % à y être opposés. Polémique au sein de la population, mais également au sein du Gouvernement, comme en attestent les nombreuses réserves exprimées l’été dernier par le Premier ministre, qui dénonçait un texte reposant sur un socle de légitimité fragile, à savoir les conclusions de la conférence de consensus, qui ont fait l’objet de réserves au sein même de la magistrature.

Rien n’aura donc entamé votre détermination à faire aboutir ce mauvais texte, ni les mises en garde du général Soubelet devant notre assemblée, ni le message envoyé par les préfets faisant part du découragement des forces de l’ordre face à l’insuffisance de la réponse judiciaire à la délinquance. Aussi, comment comprendre la volonté de mettre en place une réforme qui s’inscrit à contre-courant de ces préoccupations et des attentes des Français ?

Vous dites vous baser sur une analyse du réel, mais aujourd’hui les remontées du terrain corroborent les craintes suscitées par votre texte : alors que les acteurs locaux – police, élus et services sociaux – se mobilisent pour agir de concert en prévention de la délinquance, notamment au sein des ZSP que vous venez de créer, alors que les élus et les forces de l’ordre se mobilisent pour élucider les faits de délinquance via la vidéoprotection notamment, les forces de l’ordre sont découragées face au manque de réponse pénale. Quant à nos concitoyens, ils sont dans une incompréhension totale.

Or, de nombreuses dispositions du texte vont venir affaiblir la force dissuasive de la sanction, avec pour effet prévisible une recrudescence de la délinquance. Par votre texte, la sanction devient en effet relative, comme en atteste son article 6, qui met fin au principe de révocation automatique du sursis. En conditionnant la révocation du sursis à une décision de la juridiction prononçant la nouvelle peine, le présent projet de loi met en péril le principe même de cette sanction et son efficacité, en lui conférant un caractère relatif. Le sursis tire justement sa force du principe de sa révocation en cas de commission d’une nouvelle infraction. Si la révocation doit être prononcée par la juridiction ayant à connaître de la nouvelle sanction, elle perdra tout son sens et la nouvelle sanction absorbera l’ancienne. Une forme d’impunité sera donc consacrée.

La deuxième disposition qui vient fragiliser la notion de sanction pénale est la contrainte pénale. Ce dispositif, outre le fait qu’il est complexe, qu’il va venir alourdir le travail des juridictions et entraîner un allongement des délais d’exécutions des peines, vient simplement habiller l’existant. En effet, il n’apporte aucune amélioration par rapport au sursis avec mise à l’épreuve. Les obligations susceptibles d’être fixées au condamné ainsi que les mesures de suivi sont identiques. L’argument essentiel du Gouvernement pour justifier la nécessité de la création de cette nouvelle peine serait la mise en oeuvre d’un suivi renforcé pour ces mesures. Cependant, compte tenu du manque d’effectifs patent dans les services d’insertion et de probation, et surtout du manque de juges d’application des peines, on peut craindre que la contrainte pénale ne soit pas, faute de moyens, plus contraignante qu’un sursis avec mise à l’épreuve. Il faut aussi souligner le périmètre très large de cette nouvelle peine : elle concernera aussi bien les atteintes aux biens qu’aux personnes ; les primodélinquants que les récidivistes. Notre commission des lois l’a même étendue aux délits allant jusqu’à dix ans – où va-t-on ?

Vous souhaitez aller dans le sens d’une impunité généralisée dans notre pays. À plusieurs reprises, madame la ministre, je vous ai demandé le retrait de ce projet de loi, qui ne me paraît pas de nature à lutter efficacement contre la délinquance et la récidive, mais plutôt, au contraire, à renforcer l’insécurité au détriment des Français, notamment des victimes. Je n’ai pas changé d’avis, et regrette que, contrairement à ce que vous avancez, ce texte ne traite que très partiellement des victimes, dont il rappelle simplement les droits existants. Afin que les droits des victimes soient mieux pris en considération, j’ai déposé plusieurs amendements les concernant. Comme l’ont dit mes collègues, la majorité n’a pas le monopole de la justice et de l’humanisme – cet équilibre exigeant entre le sort des délinquants emprisonnés et celui, ô combien oublié, des victimes. En tout état de cause, je ne pourrai en aucune manière voter pour un texte qui oublie complètement les victimes du quotidien.

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