Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Séance en hémicycle du 4 juin 2014 à 15h00
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson :

Madame la garde des sceaux, hier, à la tribune, vous avez brossé un tableau historique très détaillé de l’histoire de notre politique pénale depuis plus de deux cents ans. J’ai compris de cette démonstration que vous vouliez tout d’abord manifester le caractère nécessairement évolutif de la politique pénale et ensuite mettre en lumière les points de rupture créés par des événements qui expliquaient les évolutions de cette politique.

Aujourd’hui, si je situe votre projet de loi dans la ligne de votre discours d’hier, je me demande quel est le fait déclencheur que vous considérez grave au point d’instaurer un tel bouleversement et de modifier dans des proportions si importantes la politique pénale ? Car comme le disait justement hier notre collègue Éric Ciotti, c’est un texte qui marquera le quinquennat. À ce stade de l’examen, je trouve comme seule justification la surpopulation carcérale et notre incapacité collective à la maintenir dans des proportions acceptables pour le corps social et pour les détenus eux-mêmes.

Madame la garde des sceaux, chers collègues, comme l’ont dit nos collègues Frédéric Lefebvre, Georges Fenech, Éric Ciotti et d’autres orateurs de notre groupe, personne, du côté de l’Assemblée où je siège, ne se satisfait de cet accroissement anormal de la population carcérale dans notre pays. Personne ne se satisfait des conditions dans lesquelles les détenus sont maintenus dans une position d’enfermement. Je le répète, et le rapporteur le sait bien car nous avons échangé plusieurs fois sur ces sujets, notamment à l’occasion du rapport qu’il avait déposé avec Sébastien Huyghe il y a quelques mois, nous sommes très nombreux à être prêts à examiner tous les moyens pour faire en sorte que ceux qui n’ont rien à faire en prison n’y soient plus.

Je pense, madame la ministre, à une population que nous avons très peu évoquée depuis l’examen de ce texte, dont ce n’est certes pas l’objet : tous ceux qui sont victimes de pathologies à caractère psychiatrique et qui, à l’évidence, ne peuvent pas, dans les conditions actuelles, se trouver enfermés dans les divers centres d’enfermement. Que ces personnes sortent ne pose aucun problème à personne, et qu’ils soient détenus d’une autre manière ne pose aucun problème à personne non plus.

Nous sommes donc un peu circonspects en voyant que vous avez choisi, pour régler cette question, d’actionner plus particulièrement un des leviers ou l’un des facteurs d’accroissement de la population carcérale, celui de la politique pénale. Et vous le faites d’une manière qui, de notre point de vue, désorganise considérablement l’organisation générale de nos sanctions et la confiance que les Français devraient avoir dans le système de sanctions en vigueur dans notre pays.

Comme je l’ai dit lors de l’explication de vote sur la motion de rejet de notre collègue Georges Fenech, l’équilibre est difficile à trouver entre, d’une part, l’objectivité des fautes, la gravité des faits et la condamnation que je qualifierai de systématique, soit ce que le corps social définit lui-même comme le quantum de la peine encourue par celui qui commet un crime ou un délit, et, d’autre part, la nécessité, parce que c’est justice, de prendre en compte la situation personnelle du délinquant ou du criminel.

Vous avez choisi la piste qui conduit à renforcer considérablement – et de notre point de vue de manière exagérée – la prise en compte de la situation personnelle du délinquant et du criminel. C’est de cela que nous sommes en réalité en train de sortir, et la contrainte pénale n’est pas autre chose, de mon point de vue, qu’une exagération du principe d’individualisation des peines.

C’était l’objet de la démonstration de notre collègue Georges Fenech hier : vous faites courir un double risque d’inconstitutionnalité à votre projet de loi. Premièrement, à l’égard du principe de l’égalité des citoyens devant les peines ; deuxièmement, à l’égard du principe de légalité en vertu duquel chacun doit pouvoir savoir, s’il se renseigne et pourvu qu’il puisse le comprendre – ce sont déjà deux conditions – l’exacte peine qu’il encourt s’il commet un délit ou un crime. Monsieur le rapporteur, je ne vous inviterai pas à relire votre réponse d’hier sur le principe d’égalité des peines, mais tout de même !

Pour ces deux raisons, ce texte est déséquilibré et risqué sur le plan du droit et de la Constitution. En définitive, nous le voyons bien à la résonance qu’il a parmi ceux qui s’intéressent à ces questions certes un peu difficiles, ce texte n’est pas en mesure de donner confiance à l’opinion publique. Cette dernière comprend qu’il donnera la possibilité à des juges de décider que des délinquants ou des criminels parfois condamnés pour des faits très graves, passibles de peines allant jusqu’à dix, voire vingt ans de prison avec le jeu de la récidive, resteront dehors et subiront une contrainte pénale en substitution des peines d’enfermement aujourd’hui requises dans la plupart des cas. Je ne dis pas que c’est votre souhait, mais c’est une possibilité donnée aux juges. Comment imaginer que cela rassure les Français ?

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