Intervention de Serge Letchimy

Séance en hémicycle du 6 novembre 2012 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2013 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, j'avoue que je ne peux commencer cette intervention sans évoquer ce qui s'est passé en commission des finances ce matin.

Monsieur le ministre, je me réjouis de votre intervention préliminaire, mais je me permets aussi de dire que certains propos blessants obligent à faire un peu de pédagogie collective et à expliquer que la défiscalisation n'est pas de l'évasion fiscale. Il s'agit d'investissements productifs et de soutien à des filières comme celle du BTP.

Monsieur le ministre, conformément aux engagements du candidat François Hollande, le projet de budget pour 2013 traduit une volonté d'agir en direction des outre-mer.

Néanmoins, il serait injuste de dire que le précédent gouvernement n'a absolument rien fait. De nombreux collègues – à l'instar de M. Patrick Ollier, auteur du rapport sur la mission outre-mer et qui a donné un avis favorable sur les crédits – ont porté un intérêt extrêmement sincère à ces régions et à leur développement.

Il n'en demeure pas moins que, durant cette période, l'action de l'État fut atteinte d'une double faiblesse.

La première était de penser que nos régions d'outre-mer bénéficiaient d'un certain nombre de privilèges, tenus pour illégitimes, qu'il convenait dès lors de raboter progressivement. Ce rabotage a duré des années et a porté sur 700 millions d'euros. Quand on parle de contribution de l'outre-mer au rattrapage du déficit public, voilà un exemple qui montre qu'il a contribué avant tout le monde.

La seconde était que, derrière une spectaculaire mobilisation consacrée aux urgences, le précédent gouvernement s'en est trop souvent tenu à une position quelque peu distanciée à l'égard des outre-mer, valorisant la nécessité d'un prétendu développement endogène qui, en fait, ne servait qu'à masquer un désengagement insidieux de l'État.

En 2009, l'histoire s'est précisément rappelée au Gouvernement et au pays tout entier par un vaste mouvement social. À l'époque, les États généraux de l'outre-mer avaient prévu de multiples dispositifs dont certains n'ont pas connu à ce jour de concrétisations.

C'est le cas, singulièrement, de la reconnaissance du fait syndical dans nos régions. Lors des débats relatifs à la LODEOM, j'avais déposé avec plusieurs collègues un amendement pour traduire juridiquement cet engagement. À ce jour, aucune suite n'a été donnée à cette initiative pourtant étroitement liée à la question de la cohésion sociale. Il importe désormais que cette question soit tranchée. Pour ma part, j'entends engager rapidement des initiatives en ce sens.

Il faut dire que le bilan est sombre et qu'on ne peut pas simplement l'imputer à la crise financière internationale, tant il est vrai que nos structures économiques ont, au final, assez peu bénéficié de la période d'embellie et même d'emballement du milieu des années 2000.

J'entends bien le constat d'une croissance moyenne de près de 5 % en Martinique en 2011 – ça fait rêver – mais à quel prix ? Un taux de chômage de 20 % et même de 64 % chez les jeunes de moins de vingt-cinq ans.

Il faut dire et répéter que cette situation est à la fois dramatique et dangereuse. Dramatique au regard du sacrifice humain qu'elle suppose. Dangereuse, car l'histoire récente nous enseigne ce que de tels niveaux de blocage pour la jeunesse sont susceptibles d'engendrer comme hypothèques pour l'avenir. C'est une vraie tragédie qui se dessine.

Les besoins sont immenses : un PIB deux fois inférieur à la moyenne nationale ; des retards massifs de mise aux normes de nos équipements collectifs de base, notamment en matière d'assainissement ou encore de mise aux normes parasismiques des bâtiments individuels et de nombre d'écoles primaires, lycées et collèges.

La crise mondiale nous impose de mettre en place de nouvelles stratégies économiques qui engagent les outre-mer dans une mutation profonde, intégrant une politique de filières et une ouverture beaucoup plus large à l'environnement économique de proximité. Vous avez raison, monsieur le président Ollier : nous ne pouvons continuer à vivre à deux heures de vol d'un pays comme le Brésil, qui compte 190 millions d'habitants et fait quinze fois la France, sans avoir aucune relation économique vraie avec lui. Désormais, nos pays doivent être impliqués dans une nouvelle diplomatie économique – c'est une expression de Laurent Fabius – elle-même inscrite dans une coopération territorialisée. Il s'agit purement et simplement de refonder une économie pourvoyeuse d'emplois et créatrice d'activités, c'est-à-dire aussi d'espoir et de capacité de projection fructueuse dans l'avenir. C'est fondamental, parce qu'il faut sortir de la dépendance budgétaire systématique qui ne fait qu'humilier ces peuples et leurs représentants, notamment ceux que j'ai entendus ce matin.

De ce point de vue, il faut saluer la perspective ouverte par la nouvelle majorité. D'abord, le Gouvernement assume et maintient son choix de ne pas appliquer les mécanismes de rabotage de la défiscalisation et d'en rester à 18 000 euros plus 4 % du revenu imposable. Ensuite, il a présenté un projet de loi contre la vie chère et pour la régulation économique des outre-mer qui a le courage de s'attaquer à un mal récurrent dans nos pays, les mécanismes de profitation. Enfin, la mission « Outre-mer » est en augmentation de cinq points pour une enveloppe globale de 2 milliards, intégrés dans un effort budgétaire total de 13 milliards. L'effort porte sur la jeunesse, l'emploi et la formation professionnelle, mais aussi sur le logement, avec une hausse de 13 millions, et sur le rattrapage en équipements structurants, avec une première dotation pour 2012 sur les 500 millions qui sont prévus au total.

Cependant, votre budget n'échappe pas à un certain nombre d'observations et d'interrogations. La première observation concerne les actions de résorption de l'habitat insalubre, qui touche 150 000 personnes, pour 60 000 logements. Dans votre budget, l'action n° l « Logement » représente 35 % des crédits du programme 123. Force est de constater que d'après les prévisions, les opérations de résorption de l'habitat insalubre ne recevront que 11 % des financements en autorisations d'engagement et 13 % en crédits de paiement.

La seconde observation est relative à la situation financière et humaine de LADOM, l'Agence de l'outre-mer pour la mobilité, qui connaît notamment une contraction inquiétante de son personnel. Je vous demande d'expertiser la qualité de l'accueil dans l'hexagone, qui soulève de nombreuses protestations, ainsi que les moyens réels de la continuité territoriale.

La troisième observation porte sur le sort fait à l'aide au fret et à la rénovation hôtelière. Sur ce point, on constate une baisse extrêmement inquiétante, de 27 millions, des crédits de paiement. C'est pourtant une aide indispensable pour la compétitivité des entreprises, pour les intrants mais aussi pour les exportations. Un effort important s'impose pour soutenir la rénovation hôtelière et la construction de nouveaux hôtels. Pour y parvenir, l'accompagnement du secteur dans l'apurement progressif des dettes fiscales et sociales est indispensable. Lors d'une visite en Martinique, vous avez ouvert la perspective, éventuellement sur le fondement d'un travail sur l'article 349 du traité de Lisbonne, d'un élargissement du dispositif POSEI au secteur du tourisme.

Au-delà, nous sommes confrontés à une série de freins et de blocages, du fait d'un système trop centré sur la dynamique de l'import-consommation. Une nouvelle perspective de développement s'impose désormais. Elle suppose le développement d'une économie innovante, centrée sur la mobilisation de nos atouts à travers une politique de filières.

De nombreux défis sont à relever. Celui de la filière des énergies renouvelables. Celui de la biodiversité terrestre et marine, de même que celui de la pharmacopée traditionnelle – l'amendement qui a été présenté ouvre des perspectives extrêmement intéressantes en matière de pharmacologie ou de cosmétique. Enfin, celui de la politique agricole et de la pêche, où des efforts doivent être poursuivis. Il faut absolument trouver un mécanisme, notamment dans le cadre de la clause de sauvegarde et de l'article 349 du traité de Lisbonne, pour protéger a minima notre production.

Au-delà de ces grands enjeux classiques, je pense qu'il faut aller plus loin. Il faut investir dans l'économie numérique, pour lutter contre la fracture numérique qui a pour effet désastreux de nous couper non seulement du monde, mais aussi de nous-mêmes. Dans ce domaine, le soutien public à l'investissement est essentiel.

Il faut investir dans l'innovation. C'est un levier très important de compétitivité et même d'attractivité pour l'avenir de nos régions. Il faut mettre en oeuvre une politique de la culture du risque et de lutte contre les pollutions – les pesticides par exemple. La question de l'épandage aérien, notre refus très clair de l'utilisation du banol exigent la recherche de solutions alternatives susceptibles d'être mises en application le plus rapidement possible.

Il faut une vraie politique de la jeunesse, pour l'éducation et la formation, pour lutter contre l'échec et le décrochage scolaire, pour l'apprentissage mais surtout pour l'insertion par l'activité, y compris en direction de ceux qui sont partis à l'étranger et font le bonheur de bien d'autres pays. D'ailleurs, une politique du retour de nos talents est indispensable compte tenu de nos besoins en matière de développement.

Enfin, concernant le transport – un des grands enjeux locaux – nous travaillons en Martinique à l'instauration d'une autorité unique organisatrice des transports et d'un périmètre unique de transport. Des initiatives sont en cours pour que le Gouvernement reprenne par décret, conformément à l'article 52 de la seconde loi Grenelle, les propositions que nous ferons au niveau des collectivités locales.

Monsieur le ministre, je reste très attentif à vos réponses. Cependant, je précise d'ores et déjà, compte tenu de ces points positifs, que j'appelle au nom de la commission des affaires économiques les parlementaires à émettre un avis favorable sur la mission « Outre-mer » du projet de loi de finances pour 2013. Un avis favorable que je formule comme une impulsion à poursuivre les transformations structurelles qui s'imposent, et cela avec autant de détermination que d'audace innovante. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC et UDI et sur certains bancs du groupe UMP).

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