Intervention de René Dosière

Séance en hémicycle du 6 novembre 2012 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2013 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRené Dosière, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République pour les collectivités d'outre-mer, la Nouvelle-Calédonie et les terres australes et antarctiques françaises :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a souhaité partager en deux son rapport sur l'outre-mer, en distinguant d'une part les départements d'outre-mer, dont Alfred Marie-Jeanne est le rapporteur, et en me confiant d'autre part le soin d'évoquer le sort des territoires d'outre-mer et de la Nouvelle-Calédonie.

On permettra avant tout au député du Chemin des Dames que je suis d'évoquer, à la veille de la célébration du 11 novembre, le bataillon mixte du Pacifique, composé de Canaques et de Polynésiens et qui a participé aux combats de la Grande guerre. Un tiers des tirailleurs canaques, soit 380 d'entre eux, ont disparu. Je ne peux qu'avoir une pensée émue pour eux. (Applaudissements.)

Pour ne pas répéter ce qui figure dans le rapport, je voudrais simplement évoquer rapidement les deux situations les plus particulières parmi les territoires d'outre-mer, au sein d'un budget dont on a dit qu'il était particulièrement favorable.

Tout d'abord, la Nouvelle-Calédonie. Il faut rappeler que le statut constitutionnel de la Nouvelle-Calédonie est tout à fait particulier depuis la signature de l'accord de Nouméa, le 5 mai 1998 – cela date déjà ! Ce territoire dispose notamment d'un congrès qui a un pouvoir législatif, puisque certains des textes qu'il vote sont directement soumis au Conseil constitutionnel, comme les lois que nous adoptons ici. En outre, les compétences qui sont transférées à la Nouvelle-Calédonie le sont de manière définitive. Il existe un gouvernement collégial, constitué à la proportionnelle de l'ensemble des forces politiques. Le droit de vote aux élections provinciales est réservé aux citoyens installés à la date de la signature de l'accord de Nouméa. Il y a aussi des dispositions particulières concernant l'emploi local. Enfin, le statut civil coutumier est maintenu et la culture canaque protégée – il n'est pas inutile de le rappeler quand on vient d'évoquer en métropole, parmi un ensemble d'organismes paraît-il dispendieux et inutiles, l'Agence de développement de la culture canaque, dont on se demandait ce qu'elle pouvait être. Sur le territoire, on sait bien ce que c'est !

Les prochaines élections provinciales de 2014 vont mettre en place un congrès qui décidera de la date de la consultation sur l'autodétermination, qui devrait intervenir au plus tard en 2018. La paix civile qui règne en Nouvelle-Calédonie, et qui est d'ailleurs propice au développement économique – ce territoire connaît une croissance que la métropole pourrait lui envier – ne doit pas malgré tout dissimuler le chemin qui reste à parcourir, comme en témoigne d'ailleurs la récente crise politique suscitée par la difficulté de choisir un drapeau commun. Par conséquent, monsieur le ministre, l'État doit rester vigilant pour préparer l'après-Nouméa. Il doit continuer à jouer un rôle actif, car l'État reste un acteur important des accords de Nouméa. Je souhaiterais que vous nous disiez ce que vous envisagez pour la tenue du prochain comité des signataires, qui doit normalement se tenir avant la fin de l'année.

Quant au Parlement, je considère qu'il doit s'associer pleinement à l'avenir de la Calédonie. Nous avons tous ensemble la responsabilité de ne pas en faire un enjeu de politique nationale. Jusqu'à présent, ce fut le cas. Depuis les accords de Matignon de 1988, tous les gouvernements, quels qu'ils soient, ont réussi à faire émerger au sein des forces politiques métropolitaines un consensus sur le devenir de ce territoire. Il ne faudrait pas que les querelles politiques locales, au demeurant fort légitimes, puissent interférer avec ce nécessaire consensus.

S'agissant de la Polynésie, les préoccupations sont naturellement différentes. La Polynésie vit actuellement une crise économique, sociale et financière d'une exceptionnelle gravité, qui est d'ailleurs une crise structurelle car il est clair que le modèle de développement des années 2000, celui que l'on pourrait appeler le modèle Flosse-Chirac, ne marche plus. La Polynésie connaît une dégradation rapide des conditions de vie de sa population. Il est vrai qu'il n'existe pas d'indemnités de chômage ni de RSA, l'ancien président Flosse se glorifiant d'ailleurs de ne pas en avoir institué. Finalement, j'ai un peu le sentiment que l'on est en train de passer de la pauvreté à la misère, pour reprendre la distinction chère à Charles Péguy dans De Jean Coste.

La collectivité, elle, voit ses recettes fiscales diminuer, puisqu'il s'agit uniquement de recettes indirectes. Je rappelle au passage, pour m'en étonner, que la Polynésie est, avec Saint-Barthélemy, le seul territoire français où n'existe pas d'impôt sur le revenu, ce qui est peut-être un peu délicat d'un point de vue constitutionnel. Depuis cinq ans, du fait de la récession économique, la Polynésie a perdu 20 % de ses recettes fiscales, ce qui est considérable. Quand on sait le rôle que joue le gouvernement polynésien dans le développement économique du territoire, on comprend les difficultés qu'il a à assumer ses tâches d'investisseur.

L'exposé des difficultés et des remèdes à apporter existe. Il figure dans le rapport de la mission d'assistance conduite par l'inspectrice générale Anne Bolliet, qui a été rendu en 2010 et qui pose un diagnostic complet. Il apparaît même que la responsabilité de l'État est engagée puisque l'État, en tout cas ses représentants locaux – je parle bien sûr de vos prédécesseurs, monsieur le ministre – a couvert des pratiques discutables, quand il ne les a pas encouragées.

La mise en oeuvre des recommandations du rapport Bolliet est délicate en raison de l'instabilité politique qui règne sur ce territoire depuis l'année 2004. Les lois votées par la précédente majorité en 2004 puis en 2007 n'ont, à cet égard, strictement rien résolu. Ce sont pourtant trois lois qui ont été votées en cinq ans.

La loi de 2011, elle, a permis de stabiliser le gouvernement et le président, mais pas la majorité de l'assemblée, qui est fluctuante en fonction des textes.

Que donnera le nouveau mode de scrutin, qui sera mis en application lors des prochaines élections, lesquelles doivent avoir lieu – vous nous l'avez dit en commission, monsieur le ministre – les 21 avril et 5 mai prochains ? Naturellement, la question est sans réponse, du moins à l'heure actuelle. Je relève quand même que le découpage électoral a été fait, au cours de la précédente législature, pour que la majorité issue des urnes soit une bonne majorité et pour éviter que le Tavini Huiraatira d'Oscar Temaru puisse remporter ces élections, mais j'espère que les citoyens en décideront autrement.

En tout cas, la période électorale qui s'ouvre n'est sans doute pas propice à des réformes. Or tout le monde sait maintenant qu'il y en a fondamentalement deux qui s'imposent en Polynésie.

La première, c'est l'instauration d'un impôt sur le revenu prélevé à la source, dont une partie du produit pourrait d'ailleurs servir à financer un système local de RSA, autrement dit à mettre en place une solidarité et à réduire les inégalités salariales considérables sur ce territoire.

La seconde, c'est la création d'une autorité de la concurrence, pour s'attaquer aux monopoles, qui participent d'ailleurs à la vie chère. Il s'agit aussi de faire en sorte que l'économie de la Polynésie soit un peu moins collectiviste qu'elle ne l'est actuellement.

Le système institutionnel actuellement en vigueur, c'est-à-dire l'autonomie, revendiquée, permet-il de mener ces deux réformes ? La question mérite du moins d'être posée.

Quoi qu'il en soit, le problème des revendications indépendantistes, qui existent à des degrés divers sur ces territoires, ne peut pas se résoudre avec de l'argent. Ce n'est pas ainsi que l'on y mettra un terme, c'est plutôt en favorisant la construction d'une économie ouverte, la réduction des inégalités sociales, beaucoup trop fortes, la lutte contre la corruption et le gaspillage de l'argent public. Bref, la République doit promouvoir, sur ces territoires aux traditions ancestrales et océaniennes, les valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité, qui ne sont pas réservées au monde européen.

C'est l'une des raisons pour lesquelles la commission des lois a rendu un avis favorable au vote de ce budget. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion