Intervention de Alfred Marie-Jeanne

Séance en hémicycle du 6 novembre 2012 à 21h30
Projet de loi de finances pour 2013 — Outre-mer

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlfred Marie-Jeanne, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République pour les départements d'outre-mer :

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, je ne reviens pas sur la présentation des crédits de la mission « Outre-mer ». Je me concentrerai pour l'essentiel sur les questions qui intéressent plus particulièrement la commission des lois.

Je me suis en effet consacré, dans le cadre de la mission qui m'a été confiée, à l'étude de l'accès au droit et à la justice dans les départements d'outre-mer. Dans une société démocratique fondée sur le respect de la loi, l'accès à la justice et, plus largement, au droit, est l'une des conditions de l'effectivité du pacte social. De ce point de vue, que certains n'aient pas de droits ou ne soient pas en mesure de les faire respecter, c'est, dans les deux cas, un échec pour la société tout entière.

J'ai donc traité les conditions dans lesquelles les justiciables de Guadeloupe, de Guyane, de Martinique, de Mayotte et de la Réunion accèdent à la justice et au droit.

Tout d'abord, les crédits consacrés à l'accès au droit et à la justice dans ces territoires devraient progresser de 3,8 % en 2013, puis de 3 % en moyenne annuelle entre 2014 et 2017. Sur la longue période, l'évolution de ces crédits est encore plus significative. En effet, ils ont augmenté de 10 % depuis 2007, et ce en dépit d'un reflux en 2011 et 2012.

Malgré cette évolution positive des crédits, permettez que j'attire votre attention sur plusieurs problèmes, qui laissent à penser que les justiciables de ces régions seraient des justiciables de second rang.

Considérons, en premier lieu, le réseau d'accès au droit.

Ce réseau de maisons de la justice et du droit et de points d'accès au droit repose aujourd'hui principalement sur des associations. Or il ressort de mes investigations que le tissu associatif pour l'accès au droit et à la justice ainsi que pour l'aide aux victimes est insuffisamment structuré pour répondre de manière satisfaisante à l'ensemble des besoins des justiciables. C'est notamment le cas en Guyane, en Martinique et à Mayotte.

En outre, les associations en question font actuellement face à de sérieuses difficultés de financement, qui compromettent gravement leur mission. Il faut saluer comme il se doit leur implication et susciter la création de nouvelles. En tout cas, il importe de sécuriser de manière pérenne leur financement.

Il convient aussi d'améliorer sur place la formation et la professionnalisation de celles qui sont déjà bien implantées.

S'agissant ensuite de l'accès à la justice, j'évoquerai la question de la réforme de la carte judiciaire. Elle s'est traduite en Martinique par le rattachement, à compter du 1er janvier 2010, du tribunal d'instance du Lamentin, ainsi que du greffe détaché de la ville de Trinité, au tribunal d'instance de Fort-de-France. Or cette absorption, exemple que je prends parmi d'autres, a plutôt aggravé la situation. En effet, cette juridiction présentait, avant la réforme de la carte judiciaire, un niveau d'activité important qui a eu pour effet d'affaiblir le taux de couverture des affaires entrantes dans les juridictions concernées et d'allonger d'autant des délais de traitement déjà longs – près de douze mois, contre neuf au maximum en 2009.

Dans le même temps, la Martinique a connu, ces cinq dernières années, une fonte de ses effectifs de magistrats et de greffiers, lesquels ont respectivement diminué de près de 40 % et 30 %.

La situation reste à ce jour très préoccupante, comme en témoigne le courrier adressé, le 20 septembre 2012, il n'y a donc pas bien longtemps, à Mme Christiane Taubira, ministre de la justice, garde des sceaux, par plusieurs organisations syndicales, courrier dans lequel ces organisations expriment leur ras-le-bol quant à la situation de sous-effectif qui caractérise le tribunal d'instance de Fort-de-France. Elles déplorent notamment les dysfonctionnements qui affectent cette juridiction, le manque de moyens, humains principalement, qui dégrade considérablement les conditions de travail des personnels de justice et ne leur permettent pas de remplir leurs missions de service public.

Dans le cadre des ajustements de la carte judiciaire annoncés au début du mois d'octobre par la garde des sceaux, l'urgence de la situation au tribunal d'instance de Fort-de-France devrait faire l'objet d'une attention particulière, pour garantir une implantation judiciaire appropriée, qui faciliterait l'accès au droit et qui aiderait les justiciables dans leurs démarches.

Si les ressorts des autres cours d'appel des départements d'outre-mer ont bénéficié, ces dernières années, d'une augmentation de leurs effectifs de magistrats comme de greffiers, plusieurs d'entre eux n'en souffrent pas moins d'un manque d'attractivité. Restent donc vacants nombre d'emplois de magistrats et de greffiers. C'est notamment le cas en Guyane et à Mayotte.

Pour pallier cette carence, la chancellerie a d'ores et déjà entrepris un important travail en vue de susciter et valoriser des candidatures de magistrats et de fonctionnaires. C'est ainsi que tout magistrat souhaitant occuper un poste dans ces territoires bénéficie désormais d'un entretien individuel d'accompagnement, réalisé par un bureau spécialement créé à cet effet.

Par ailleurs, le ministère de la justice a décidé de renouer avec la pratique consistant à nommer des auditeurs de justice à leur sortie de l'École nationale de la magistrature. Ces initiatives doivent être poursuivies et encouragées.

Évoquons enfin le problème de l'accès à l'avocat, qui reste encore difficile, en raison du trop faible nombre d'avocats ou de leur inégale répartition. C'est notamment le cas à Mayotte, où les avocats, moins nombreux que les magistrats, n'hésitent pas, parfois, à refuser les missions d'aide juridictionnelle.

La situation est également complexe en Guyane, où l'accès au droit s'arrête de facto à Kourou. Les avocats sont en effet très majoritairement présents à Cayenne, réputée plus attractive, alors que Saint-Laurent-du-Maroni n'en compte qu'un seul. Les déplacements d'avocats entre ces deux villes restent de surcroît coûteux compte tenu de l'étendue du territoire guyanais.

S'il convient d'engager dès aujourd'hui, avec la chancellerie et les barreaux concernés, une large réflexion sur les moyens d'inciter les avocats à s'installer dans les régions qui en sont les plus dépourvues, j'appelle également de mes voeux un renforcement des consultations juridiques gratuites, en partenariat avec le réseau associatif.

En conclusion, si, comme prévu, les crédits en faveur de l'accès au droit et à la justice progressent – inégalement, bien sûr – dans les régions d'outre-mer entre 2013 et 2015, cette augmentation doit permettre aux justiciables de mieux connaître leurs droits et obligations et de les faire valoir. Ceux-ci attendent aussi que la justice soit rendue dans des délais raisonnables. (Applaudissements sur les bancs des groupes SRC, GDR et RRDP.)

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion