Intervention de Malek Boutih

Réunion du 6 novembre 2012 à 16h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMalek Boutih, rapporteur pour avis :

Comme l'a rappelé notre président, la discussion proprement budgétaire sur les crédits de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » pour 2013 a déjà largement eu lieu en commission élargie. Bien évidemment, j'inviterai notre Commission à donner un avis favorable à leur adoption. Je le ferai d'autant plus facilement que les crédits consacrés à la jeunesse et à la vie associative – ce dernier sujet étant au coeur de mon avis budgétaire – sont, à périmètre comparable, en hausse de 7 % en 2013. Si cette augmentation couvre notamment la montée en charge du service civique, il n'en demeure pas moins qu'elle permet de conforter l'éducation populaire et la vie associative, dont le financement est maintenu au même niveau qu'en 2012. Je rappelle que les crédits qui leur étaient destinés avaient subi une baisse drastique : 30 % depuis 2008, et 16 % depuis 2010. En quelques années, près de la moitié desdits crédits ont donc disparu.

Je concentrerai mon propos sur la vie associative et son financement. Ce sujet, moins connu qu'on ne le croit, correspond en effet à mon expérience personnelle : j'ai longtemps travaillé, à différents niveaux, pour le secteur associatif, qu'il s'agisse d'associations nationales ou de petites associations locales. Quand l'on s'engage dans ce secteur, on pense donner du temps à une action, aux autres, à la société, mais on se rend vite compte qu'une grande partie de ce temps est dévoré par les problèmes administratifs et financiers et les efforts consacrés à la survie de l'association. Je pense donc pouvoir donner un éclairage particulier sur cette question.

D'autant qu'il existe en France très peu de spécialistes du monde associatif. Celui-ci recouvre des secteurs et des situations extrêmement diverses : quoi de commun entre la petite amicale de philatélistes et une association qui, par sa taille, son budget ou le nombre de ses salariés, peut se comparer à une entreprise ? Une chercheuse, en particulier, tente avec ses faibles moyens de récolter des données utiles sur le secteur.

On sait ainsi qu'en France, le nombre d'associations en activité se situe entre 1,1 et 1,3 million, que 60 % d'entre elles ont un budget annuel de moins de 10 000 euros, et 16 % de moins de 1 000 euros. Cela ne les empêche pas de vivre, toutefois, car l'essentiel de leur fonctionnement continue à reposer sur le bénévolat – si peu considéré soit-il. Le volume global de leur financement atteint 70 milliards d'euros, soit 3,5 % du PIB – l'équivalent du secteur de l'hôtellerie-restauration. Elles emploient, à titre principal ou occasionnel, près de 1,8 million de personnes, et comptent 16 millions de bénévoles actifs.

Leurs ressources proviennent à 50 % du secteur public : État, collectivités locales, Union européenne. Le reste résulte des cotisations et des recettes liées à la vente de produits ou de prestations. Depuis plusieurs années, les collectivités locales, notamment les communes, contribuent pour une grande part à leur financement. Si les relations entre les associations et les pouvoirs publics en général sont plutôt difficiles, les maires font plutôt figure d'exception : en raison de leur proximité, ils sont sans doute les plus conscients du rôle extrêmement important que les associations jouent en matière de cohésion sociale, ou dans la vie culturelle ou sportive. On dénonce souvent le caractère dispendieux de ces dernières, leur supposée mauvaise gestion. Mais en réalité, compte tenu de l'impact social considérable qu'il a sur le pays, il n'y a pas plus rentable que le secteur associatif.

Les auditions auxquelles j'ai procédé montrent que la vie associative, dans notre pays, connaît un tournant, même si l'évolution est lente. Le sentiment général des acteurs du secteur est que leur rapport à la collectivité publique s'est technicisé, « comptabilisé » : il se réduit à des chiffres et à des dossiers, perdant toute densité politique. Bien souvent, l'association qui demande une subvention est mise dans une case dès la première réunion avec la collectivité publique concernée, et la gestion administrative du dossier se résume à une reconduction des montants accordés l'année précédente. Quand un changement se produit, il consiste la plupart du temps à réduire la subvention ou à poser un obstacle supplémentaire.

Nombre de responsables décrivent d'ailleurs la recherche d'une subvention publique comme un parcours kafkaïen. S'agissant des subventions d'État, le processus d'instruction et de contrôle des demandes se décompose ainsi en pas moins de quatre stades. Je me souviens des dossiers qu'il fallait remplir pour obtenir le financement d'un chantier d'été : le niveau de compétence technique et comptable qu'ils exigeaient dépassait la capacité de tous les cadres et bénévoles qui m'entouraient. C'est la raison pour laquelle une grande partie des associations renoncent à formuler des demandes, n'en font qu'un petit nombre ou se limitent au niveau communal. Dans ce dernier cas, la procédure est souvent plus simple mais les moyens également plus limités.

Et quand l'association obtient la subvention, elle est entraînée dans une logique implacable. Les exigences administratives et le poids des normes comptables sont tellement élevés qu'une grande partie du budget alloué sert à justifier l'allocation elle-même ! Ainsi, au fil du temps, la part consacrée aux actions se réduit au profit du fonctionnement et de la gestion.

Ces difficultés, les pouvoirs publics ont tenté de les surmonter en prenant plusieurs mesures, dont les plus importantes sont les conventions pluriannuelles d'objectifs et les dégrèvements fiscaux.

Les premières sont généralement signées pour trois ans et concernent les associations reconnues d'utilité publique. Or peu d'associations bénéficient de ce statut, et rares sont celles qui maîtrisent les démarches nécessaires pour l'obtenir. Rappelons que 90 % des associations ne disposent pas d'emplois salariés : elles ne peuvent donc assumer un tel travail administratif. En outre, les contrats pluriannuels d'objectifs se fondent sur un nombre de plus en plus important de critères, et la visibilité financière qu'ils offrent est de plus en plus faible.

Quant aux politiques de défiscalisation, leur principe est bon, mais elles bénéficient surtout aux plus grandes associations, celles qui font preuve du plus grand professionnalisme dans la recherche de subventions – ce qui ne saurait d'ailleurs leur être reproché. Les plus petites associations n'y ont pas accès. Par ailleurs, dans ce domaine comme dans bien d'autres, on observe des effets d'aubaine. Compte tenu du nombre de fondations qui ont été créées, en particulier dans le secteur bancaire, on a parfois le sentiment que ces politiques de défiscalisation représentent pour les entreprises privées un outil servant à financer la communication et la recherche de nouveaux clients.

Je ne veux pas noircir le tableau, mais les difficultés sont réelles. La vie des associations repose aujourd'hui en grande partie sur les retraités, parce qu'ils ont plus de temps à consacrer, bien sûr, mais peut-être aussi en raison de leur sentiment républicain plus fort, ou parce qu'ils ont une plus grande conscience de leur rôle social. Mais même eux éprouvent une certaine fatigue. Lorsque l'on entend, au détour d'une audition, un retraité bénévole auprès d'une banque alimentaire évoquer le nombre de tonnes de marchandises qu'il doit manipuler au cours de l'année, on se dit que la tâche devient trop lourde.

Je déplore l'affaiblissement du sentiment républicain et le manque de dialogue entre l'administration et le milieu associatif. Bien sûr, il faut saluer les efforts de la ministre des sports, de la jeunesse, de l'éducation populaire et de la vie associative pour maintenir le niveau des crédits destinés au secteur associatif, en dépit des contraintes que fait peser la nécessité de redresser les comptes publics. Et, à la limite, même s'il convient de trouver des sources de financement nouvelles, l'essentiel n'est pas là. Il faut effectuer des réformes en profondeur afin que les associations soient destinataires des dons, que leur vie soit facilitée, qu'elles retrouvent leur dignité et que leur rôle auprès des pouvoirs publics soit réhabilité. J'en suis convaincu, les militants associatifs sont aujourd'hui, à l'instar des enseignants, les hussards de la République, ceux qui font tenir notre modèle républicain.

Pour illustrer les conséquences que peut entraîner la réduction des financements destinés aux associations, je citerai l'exemple du FAS, le Fonds d'action sociale. Cet établissement public finançait de nombreuses actions dans le domaine de l'immigration et subventionnait des associations de quartier. Il était un véritable incubateur de vie associative. Mon propre parcours a d'ailleurs commencé dans une petite association locale, qui avait reçu, sans devoir constituer des dossiers trop complexes et en se donnant des objectifs relativement simples, une petite dotation.

Or la technicité croissante des procédures, la réduction des budgets, l'absence de reconnaissance de l'engagement associatif ont eu pour conséquence de vider les quartiers de leurs associations. N'ont survécu que celles qui répondaient à des commandes publiques ou qui reposaient sur des personnalités très fortes. Quant aux autres, le vide qu'elles ont laissé a été rempli par d'autres forces, lesquelles organisent les populations de ces quartiers autour de valeurs qui sont loin d'être en phase avec celles de la République. Leur départ a laissé de l'espace au désoeuvrement et à la montée de la délinquance. Même si l'on peut bien sûr leur trouver d'autres causes – économiques et sociales notamment –, une grande part des difficultés vécues par ces quartiers provient donc de l'effondrement du maillage associatif.

Le même phénomène se reproduit dans d'autres parties du territoire, et en particulier dans les zones rurales, trop souvent oubliées. Là aussi, le tissu associatif se délite : il ne reste que les organisations les plus anciennes et les plus structurées, ou les petites associations vivant de la solidarité locale. La jeunesse se sent totalement abandonnée. Elle est confrontée à l'oisiveté, aux problèmes de drogue ou d'alcoolisme, à la destruction sociale. Cette situation doit nous inciter à effectuer des réformes majeures.

C'est pourquoi je conclus mon rapport par vingt-sept propositions, dont la plupart ne passent pas par une augmentation des crédits budgétaires. Certaines sont très simples, comme le fait de moduler le taux des réductions d'impôts liées aux dons aux associations par les particuliers, en le maintenant à 66 % pour les dons aux plus petites organisations et en le réduisant à 33 % pour les dons aux plus grandes.

Certaines propositions concernent les banques, grandes bénéficiaires des flux financiers engendrés par le versement de subventions publiques aux associations. Pour les établissements financiers, le secteur associatif représente en effet le meilleur rapport bénéficesrisques. Pour autant, et en dépit de ce que voudraient faire croire certaines opérations de communication, il n'existe pas de véritable service bancaire répondant aux besoins des associations. C'est donc indûment que les subventions viennent alimenter l'encours d'épargne des établissements financiers. Je propose donc que les financements publics aux associations soient versés exclusivement sur des comptes ouverts dans la banque publique au maillage territorial le plus important, la Banque postale. En contrepartie, celle-ci aurait l'obligation de proposer certains services spécifiques.

Nous sommes tous mobilisés pour lutter contre la crise économique et sociale que connaît notre pays. Mais la nécessaire reprise économique et la croissance de l'emploi doivent s'accompagner d'une plus grande égalité sociale et d'une reprise de l'esprit citoyen, de l'esprit d'engagement. Il existe une spécificité française ; la France n'est pas un pays comme les autres. Or le monde associatif y est pour beaucoup.

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