Intervention de Colette Langlade

Réunion du 7 novembre 2012 à 10h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaColette Langlade, rapporteure pour avis :

L'éducation artistique et culturelle constitue une priorité du budget du ministère de la culture et de la communication, ce qui se traduit par des crédits supplémentaires dès cette année ; elle fait en outre l'objet de nombreuses réflexions, dans le cadre tant de la concertation sur l'avenir de l'école lancée par le ministère de l'éducation nationale que du chantier national en faveur de l'éducation artistique et culturelle ouvert par le ministère de la culture. C'est pourquoi j'ai souhaité dresser aujourd'hui un bilan de la mise en oeuvre de l'enseignement obligatoire d'histoire des arts, de l'école primaire au lycée.

C'est dans la lettre de mission adressée en 2007 par le Président de la République et le Premier ministre à la ministre de la culture et de la communication et au ministre de l'éducation nationale que figure la création d'un enseignement d'histoire de l'art, mis en place à la rentrée 2008.

La réforme a été imposée d'en haut, sans aucune concertation, voire sans aucune réflexion ; il y eut bien un rapport proposant un nouveau plan en faveur de l'éducation artistique et culturelle, mais qui ne fut réalisé que dans un second temps, après l'annonce de la création de l'enseignement obligatoire. Cette méthode contestable a suscité des malentendus, donc des déceptions, et a contribué à donner le sentiment que le nouvel enseignement constituait une cote mal taillée.

L'objectif était triple : l'acquisition d'une culture générale artistique, le développement d'un rapport plus familier des élèves avec les institutions culturelles, l'information sur les débouchés professionnels offerts par le champ artistique et culturel. Un programme extrêmement ambitieux a été élaboré, reposant sur des périodes historiques – de la préhistoire jusqu'à nos jours –, sur des thématiques – comme « art et économie » ou « art et sacré » – et sur des domaines artistiques – couvrant l'ensemble des modes d'expression artistique. Toutefois, on a pris le parti de ne pas créer une nouvelle discipline, afin de ne pas ajouter à des emplois du temps déjà surchargés et de ne pas organiser des concours de recrutement spécifiques.

L'ancien Président de la République avait pourtant annoncé la création d'un enseignement de l'histoire de l'art, discipline à part entière, ce qui pouvait augurer qu'une réponse serait apportée à une revendication ancienne des historiens de l'art : la création d'un CAPES et d'une agrégation spécifiques. Il n'en a rien été : toutes les disciplines existantes doivent faire une place à l'histoire des arts, à charge pour les professeurs de mettre en oeuvre le programme et d'établir des ponts avec leur discipline. C'est pourquoi l'appellation « histoire de l'art » a finalement été délaissée au profit de celle d'« histoire des arts ».

La chose a été mal perçue par les historiens de l'art, qui y ont vu le témoignage d'un manque de considération pour leur discipline, mais aussi par les professeurs des autres disciplines, notamment ceux d'éducation musicale et d'arts plastiques : l'histoire des arts est censée occuper la moitié des programmes d'éducation musicale et d'arts plastiques au collège ! Les professeurs se sont sentis déconsidérés ; ils ont critiqué le fait que ce nouvel enseignement, visant à compléter l'éducation artistique et culturelle existante par des connaissances théoriques, venait tailler des croupières aux seuls enseignements pratiques proposés aux élèves. Les fédérations de parents d'élèves se sont jointes à ces critiques.

Plus généralement, il s'est avéré difficile de mettre en oeuvre un enseignement interdisciplinaire dans un système fortement disciplinaire. À l'école primaire, la contradiction était plus aisée à surmonter, dans la mesure où chaque professeur des écoles assure seul l'enseignement de toutes les disciplines ; d'ailleurs, beaucoup d'initiatives existaient déjà en matière d'éducation artistique et culturelle et, sur le terrain, la réforme de 2008 n'a pas changé grand-chose – Marie-Odile Bouillé l'avait déjà souligné dans son rapport sur le projet de budget pour 2011.

Au lycée également, les effets ont été inexistants – sauf dans certains établissements, notamment des lycées agricoles et des lycées professionnels –, car la préparation du baccalauréat monopolise les efforts des enseignants. Alors qu'au collège, le déploiement de la réforme s'est appuyé en grande partie sur les professeurs d'arts plastiques, seule la moitié des lycées propose des enseignements optionnels d'histoire des arts : il n'y a pas partout de personnel susceptible de piloter cet enseignement.

Au collège, la perspective d'une évaluation au diplôme national du brevet a constitué un aiguillon indiscutable ; pourtant, le principe d'un enseignement « porté par tous les enseignants » fut difficile à mettre en oeuvre. La bonne volonté des uns et des autres a permis des réussites ponctuelles, mais les conseils pédagogiques, instances de consultation des enseignants sur la politique éducative de l'établissement, ne se sont pas toujours saisis d'une question que, faute de temps, il était de toute façon difficile de traiter de manière satisfaisante.

Quant à l'épreuve elle-même, elle a été mise en place, après une expérimentation lors de la session 2009-2010, sans qu'aucun des textes publiés en 2008 ne précise son organisation. Ce n'est qu'en 2011 qu'une nouvelle circulaire est venue indiquer qu'une décision du conseil d'administration devait fixer, au plus tard à la fin de l'année scolaire précédente, les modalités d'organisation de l'enseignement de l'histoire des arts et de l'épreuve orale. Elle prévoit que le jury est constitué de deux professeurs, devant évaluer les élèves, soit individuellement, soit en groupe, sur le fondement d'un exposé, puis d'un entretien portant sur un sujet choisi parmi une liste de cinq objets d'étude, validée par le ou les professeurs encadrant la préparation, et sur lesquels les élèves ont pu préparer des dossiers.

Chaque établissement étant peu ou prou renvoyé à lui-même, les parents d'élèves éprouvent un sentiment de grand arbitraire. Si le principe d'une épreuve orale est jugé positif, car elle permet aux élèves ayant des difficultés avec les modalités classiques d'évaluation de se valoriser, l'inégale implication des équipes pédagogiques dans sa préparation a sans doute contribué à en faire un instrument de reproduction des inégalités. Dans certains cas, la liste d'oeuvres établie par le conseil pédagogique ne fait l'objet d'aucune préparation en cours d'année, et les élèves sont évalués sur le fondement de dossiers préparés à la maison, avec les parents. La nature de l'épreuve est révélatrice de l'échec de la réforme : 90 % des élèves ont été interrogés sur « Guernica » !

L'autre cause d'échec est l'insuffisante formation des enseignants. La réforme fut engagée concomitamment avec celle de la formation des enseignants et de la mastérisation. Or les masters n'intègrent pas d'histoire des arts ; le ministère doit remédier à cette lacune dans la maquette des masters professionnels.

Quant à la formation continue, si des actions nationales ont été mises en oeuvre à partir de 2009, elles ont reposé pour l'essentiel sur les ressources de l'Institut national d'histoire de l'art et de l'Association des professeurs d'archéologie et d'histoire de l'art des universités, ce qui est en contradiction la volonté de ne pas réduire l'enseignement à une seule discipline. En outre, ces formations étant destinées aux « cadres » de l'éducation nationale, on peut se demander si les enseignants ont pu en retirer quelque bénéfice ; à en juger par les réactions des syndicats, cela paraît douteux.

Au niveau académique, tous les enseignants relèvent le manque de formations par rapport aux besoins. Dans la plupart des cas, les enseignants doivent prendre sur leur temps libre pour se former. Les formations sont le plus souvent organisées à l'extérieur des établissements, alors qu'elles devraient être conduites sur site, au bénéfice des équipes pédagogiques. En outre, les enseignants ne disposent pas d'interlocuteurs au sein des corps d'inspection, organisés par discipline – un inspecteur général a bien été nommé, mais sa tâche est immense.

D'autre part, les textes de 2008 encourageaient le développement de partenariats avec les institutions culturelles. Or l'accès des élèves aux ressources culturelles territoriales dépend non seulement de la densité des équipements culturels, mais aussi des moyens disponibles pour financer des déplacements potentiellement coûteux – ce qui n'est pas toujours le cas, notamment dans les zones rurales. En outre, les institutions culturelles risquent de souffrir d'un certain engorgement, puisque 12 millions d'élèves sont concernés par cet enseignement obligatoire et que les enseignants, privés de véritable formation, sont amenés à se tourner vers elles. Les responsables des services éducatifs que j'ai rencontrés m'ont déclaré devoir faire preuve d'une certaine sélectivité dans le traitement des demandes de partenariat.

Dans ce contexte, la qualité des ressources pédagogiques mises à la disposition des enseignants est essentielle ; en particulier, les ressources numériques sont un moyen de compenser les inégalités d'accès aux institutions culturelles. Le ministère de la culture met en exergue le portail de l'histoire des arts sur internet, mais je n'ai pas l'impression qu'il se soit imposé comme une référence auprès des enseignants.

Il reste que les difficultés rencontrées dans la mise en place d'un tel enseignement interdisciplinaire ne doivent pas conduire à une remise en cause globale du projet. Lors des auditions que j'ai menées, tant les syndicats d'enseignants et de personnels de direction que les fédérations de parents d'élèves ont jugé positive la décision de faire de l'histoire des arts un enseignement mobilisant toutes les disciplines.

Pour maintenir cet acquis, tout en facilitant l'appropriation du nouvel enseignement par les enseignants et par les élèves, certains suggèrent de lui consacrer un horaire dédié. Il s'agit d'une base de réflexion intéressante, à condition que cet horaire ne vienne pas s'ajouter à un emploi du temps déjà chargé, et que chaque discipline et chaque enseignant donne un peu de son temps pour l'aménager.

Les réflexions en cours dans le cadre de la concertation sur l'avenir de l'école ne doivent pas éluder ce sujet, et le rapport rendu public au début du mois d'octobre esquisse à cet égard quelques pistes intéressantes.

Je conclus en vous demandant d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits des programmes 131 « Création » et 224 « Transmission des savoirs et démocratisation de la culture ».

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