Je ne m'attarderai pas sur la première partie du rapport, qui a déjà été longuement débattue en commission élargie, me contentant de rappeler que les crédits du programme « Patrimoines » diminuent de 10 % cette année. Je passerai tout de suite à la deuxième partie, consacrée à la gratuité d'accès et à la déconcentration des collections nationales, dans le but de démocratiser l'accès à la culture.
Tout d'abord, il serait plus exact de parler des « gratuités », au pluriel, plutôt que de la gratuité, au singulier. En effet, outre la gratuité pour les jeunes de 18 à 25 ans instaurée par le Président de la République Nicolas Sarkozy en 2008, on recense diverses politiques de gratuité en fonction des horaires, des établissements et des expositions.
Or, hormis quelques études du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (CREDOC) et une étude du département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la culture, citées dans mon rapport, il existe peu d'évaluations de ces dispositifs, ni même d'outils statistiques permettant de juger des effets de la gratuité sur l'accès des classes populaires et moyennes aux collections nationales.
Pour ce que l'on en sait, l'élargissement de la gratuité aux jeunes de 18 à 25 ans a eu un effet favorable. Le dimanche gratuit au Louvre est également le seul jour où le nombre de visiteurs nationaux est supérieur à celui des visiteurs étrangers : les Franciliens sont trois fois plus nombreux que les autres dimanches, les provinciaux 1,4 fois ; le nombre de jeunes issus des classes populaires et moyennes est également plus important.
Toutefois, il convient de souligner un défaut de communication de la part des musées à destination des publics éloignés de la culture. Celui-ci tient par exemple à la difficulté de nouer des partenariats avec les réseaux de transport en commun ; par exemple, certains établissements parisiens nous ont fait savoir que la RATP ne souhaitait pas communiquer fortement sur la présence ou la gratuité des musées en Ile-de-France. Surtout, tous les musées ne suivent pas la même politique en matière de démocratisation de leur accès ; certains grands musées ne veulent pas donner un trop grand retentissement aux mesures de gratuité, afin d'éviter les effets d'aubaine, car ils estiment que la compensation versée par l'État ne leur permet pas de rentrer dans leurs frais. Le Louvre dénonce en outre l'utilisation par certains tours opérateurs étrangers des jours de gratuité pour faire un profit facile, au détriment de leurs clients, à qui ils font payer les entrées.
Dans l'attente d'études plus abouties, mon rapport ne recommande ni l'abandon, ni la généralisation du dispositif. Je propose que le ministère de la culture fixe aux musées des objectifs à la fois de démocratisation des collections nationales et de construction d'outils statistiques fiables, de manière à pouvoir évaluer l'efficacité des mesures de gratuité, qu'elles soient destinées aux jeunes, aux publics du « champ social » ou à ceux éloignés de la culture.
J'en viens aux expériences de déconcentration – et non de décentralisation, puisqu'il s'agit de la circulation en région d'une partie des collections nationales.
Partant du constat que beaucoup de Français ne peuvent pas, pour des raisons financières, sociales ou psychologiques, accéder aux musées, le Centre Pompidou a décidé de rendre mobile une partie de ses collections. Ce « Centre Pompidou mobile » prend la forme d'une présentation itinérante, sous une structure circassienne, de quinze oeuvres, avec une médiation culturelle gratuite, dans le but de provoquer un « choc culturel » – pour paraphraser Malraux.
Néanmoins, comme quinze oeuvres seulement sont exposées, on peut craindre que les visiteurs n'en ressortent déçus. En outre, le coût restant à la charge de la collectivité d'accueil est élevé : 200 000 euros – sachant que le budget annuel du musée de Cambrai, par exemple, est de 715 000 euros, et de 80 000 euros pour les expositions temporaires.
Cette expérience, toujours en cours, est cependant intéressante ; j'ignore si elle aura une suite et si d'autres musées s'en inspireront. Ses promoteurs assurent qu'elle a provoqué une augmentation de la fréquentation des musées et des expositions locaux – que ses détracteurs estiment insuffisante. Il faudra dresser un bilan complet dans un an.
Il existe d'autre part des musées déconcentrés « en dur » : le Centre Pompidou-Metz et le Louvre-Lens – dont la région Nord-Pas-de-Calais attend avec impatience l'ouverture. Il ne s'agit pas à proprement parler de nouveaux musées, mais de la présentation dans de nouvelles structures d'une partie des collections nationales. Toutefois, un pourcentage important, de l'ordre de 10 %, de la population du bassin minier déclare ne pas souhaiter aller au Louvre-Lens, tout en pensant que c'est une bonne chose pour leurs enfants. Il y a donc un travail énorme de pédagogie, de médiation culturelle et de communication à mener pour abattre cette barrière psychologique.
Le rapport de la Cour des comptes de 2011 sur les musées nationaux soulignait que 26 des 37 musées nationaux se trouvaient en Ile-de-France. Toutefois, étant donné leur coût, ces expériences de démocratisation culturelle ne pourront pas être étendues à toute la France : le budget total de l'opération du Centre Pompidou-Metz s'élève ainsi à près de 70 millions d'euros. Il faudra là aussi dresser un bilan dans les années à venir.
J'en termine en vous demandant d'émettre un avis défavorable à l'adoption des crédits du programme 175.