Intervention de Bernard Gérard

Réunion du 4 juin 2014 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBernard Gérard, rapporteur :

Pour la deuxième fois durant la présente législature, notre Commission est saisie de la question de la formation des futurs conducteurs aux premiers secours dans le cadre de la préparation du permis de conduire. J'en suis très heureux, travaillant sur ce dossier depuis plusieurs années.

Nous nous souvenons tous que, le 11 octobre 2012, l'Assemblée nationale avait, à mon grand regret, rejeté ma proposition de loi visant à former aux cinq gestes qui sauvent face à un accident de la route dans le cadre de la préparation des permis de conduire. Ce rejet par la majorité de notre assemblée avait été justifié par des motifs juridiques et pratiques, alors même qu'un consensus avait pu se dessiner sur la nécessité de mieux former nos concitoyens à ces gestes élémentaires. Savoir baliser les lieux et protéger les victimes, sauvegarder la vie des blessés, voire ventiler et comprimer les hémorragies sont non seulement des gestes indispensables pour sauver des vies mais répondent aussi à une demande de nombre de nos concitoyens, qui se retrouvent souvent impuissants face à une scène d'accident.

En effet, selon un sondage réalisé à l'initiative de la Croix-Rouge française, seuls 46 % des Français déclarent avoir bénéficié d'une formation aux premiers secours. Alors que le législateur a prévu plusieurs obligations de formation, leur mise en oeuvre est à chaque fois insuffisante, pour des raisons pratiques et – il faut bien le reconnaître –, jusqu'à une période récente, du fait de l'absence d'une volonté politique.

Sur proposition du groupe UMP du Sénat, les 19 novembre 2013 et 30 avril 2014, et à l'initiative de MM. Jean-Pierre Leleux et Jean-René Lecerf et plusieurs de leurs collègues, les sénateurs ont été saisis d'un dispositif similaire à celui que j'avais défendu. Sur proposition de sa rapporteure, Mme Catherine Troendlé, la commission des Lois du Sénat a retenu un dispositif simplifié, prévoyant la formation et le contrôle des futurs conducteurs aux notions élémentaires de premiers secours dans le cadre des épreuves existantes. Cette solution permet au législateur de ne pas avoir à entrer dans le détail des mesures d'application relevant du pouvoir réglementaire. C'est de cette rédaction, adoptée sans modification par le Sénat, que notre Commission est saisie aujourd'hui.

Certains pourraient juger qu'elle empiète encore sur le domaine du règlement : cependant, dans sa décision « Blocage des prix et des revenus » de 1982, le Conseil constitutionnel a admis que le législateur pouvait empiéter sur le domaine du règlement, sans que cette loi soit contraire à la Constitution. Il est d'ailleurs de plus en plus fréquent que le législateur intervienne dans le domaine réglementaire en toute connaissance de cause, en raison du caractère très politique ou symbolique de la disposition ou pour fixer une règle relative à la sécurité des personnes, que ce soit en matière de détecteurs de fumée ou de sécurité des piscines.

Seuls un volontarisme politique et les moyens dégagés pour le mettre en oeuvre ont permis d'obtenir des résultats en termes d'amélioration de la sécurité routière. Entre 2002, où le président Chirac fait de la sécurité routière une de ses priorités, et 2013, le nombre de morts sur la route a été diminué de plus de la moitié : 3 250 morts ont été recensés l'année dernière du fait d'un accident de la route contre 7 242 en 2002.

Afin de poursuivre cet effort et d'améliorer la survie des victimes d'accidents ayant lieu en dehors de la circulation routière, notre pays doit élargir la palette de ses outils, en combinant l'approche répressive à une démarche éducative.

L'obligation de formation aux premiers secours des futurs conducteurs, pratiquée dans de très nombreux pays européens, apparaît aujourd'hui comme un moyen prouvé de réduire la mortalité sur la route, en permettant aux personnes présentes sur place d'être acteurs de la préservation de la vie humaine en pareilles circonstances, en accélérant l'arrivée des secours et en favorisant, durant leur attente, la survie des blessés grâce à quelques réflexes simples.

Plus de 50 % des victimes de la route succombent en effet dans les premières minutes suivant l'accident. Des lésions cérébrales irréversibles peuvent survenir quatre à six minutes après l'arrêt respiratoire d'un blessé. Les services de secours interviennent en France en moyenne en moins de dix minutes pour les accidents de la circulation. Dans 90 % des cas, les secours arrivent en moins de quatorze minutes. Pourtant, chacun s'accorde aujourd'hui sur l'importance de la rapidité, voire de l'immédiateté de l'intervention des secours après un accident : on sait combien les premières minutes sont cruciales pour les victimes.

Ainsi, sans prise en charge immédiate, plus de 90 % des arrêts cardiaques sont fatals. Chaque minute qui passe avant l'arrivée des secours correspond à 10 % de chances de survie en moins pour la victime ; à l'inverse, quatre personnes sur cinq qui survivent à un arrêt cardiaque ont bénéficié de gestes de premiers secours pratiqués par un témoin. Selon certaines estimations, entre 250 et 350 vies pourraient être sauvées chaque année si un dispositif généralisé de formation aux gestes de premiers secours était institué.

Il n'existe aujourd'hui qu'un seul dispositif obligatoire de formation aux gestes de premiers secours à destination d'un public assez large. Cependant l'obligation prévue par le législateur de former les élèves à l'attestation de prévention et secours civique de niveau 1 (PSC1), attestation délivrée après une formation de sept heures, est mal respectée : 20 % seulement des élèves de troisième sont formés chaque année, ce qui est regrettable et justifie qu'on propose d'accorder d'autres moyens à une formation de masse aux gestes de premiers secours.

Aussi les propositions en faveur de l'intégration à l'examen du permis de conduire d'une formation aux premiers secours ont-elles été nombreuses depuis plusieurs années, émanant de personnalités diverses. La présente proposition de loi entend répondre à l'ensemble des préoccupations qui, bien qu'ayant été souvent exprimées, ont été traduites par des dispositifs disparates.

Ainsi l'article 16 de la loi du 12 juin 2003 renforçant la lutte contre la violence routière prévoit que « les candidats au permis de conduire sont sensibilisés [...] aux notions élémentaires de premiers secours » dans le cadre de leur formation. Cependant, le décret pour mettre en oeuvre cette disposition pourrait être pris cet été, soit onze ans après l'édiction de cette obligation par le législateur. Oui, mes chers collègues, cela fait onze ans que le principe est acquis et qu'il n'est pas mis en oeuvre. Il est temps d'avancer.

L'entrée en vigueur le 1er juillet prochain du référentiel pour l'éducation à une mobilité citoyenne devrait permettre de faire de la connaissance des premiers secours un élément essentiel des compétences nécessaires aux candidats aux différents permis de conduire.

Dans de nombreux pays européens, une formation en matière de secourisme est un préalable obligatoire à l'obtention du permis de conduire. Si les modalités selon lesquelles ces formations sont dispensées peuvent être différentes, ces formations ne sont jamais sanctionnées par un contrôle de connaissance intervenant à l'occasion du passage du permis de conduire. Il est simplement imposé aux candidats au permis de conduire de suivre une formation aux premiers secours, d'une durée variable – généralement de six à huit heures en Allemagne ou en Autriche, par exemple –, à l'issue de laquelle les candidats se voient délivrer une attestation de formation, nécessaire pour s'inscrire à l'examen.

La solution proposée aujourd'hui présente l'avantage de favoriser la généralisation d'une formation au profit de l'ensemble des candidats au permis de conduire chaque année.

Le dispositif initial, présenté par les sénateurs Jean-Pierre Leleux et Jean-René Lecerf, prévoyait l'institution d'une troisième épreuve sanctionnant la connaissance des cinq gestes qui sauvent, précisément énumérés.

Cependant, il convient de rappeler que la terminologie retenue – la notion d'« épreuve » fondée sur la terminologie préexistante s'agissant des apprentissages théorique et pratique – ne doit pas laisser penser à l'organisation d'un examen spécifique, sur le modèle de ceux prévus pour le code ou la conduite. En pratique, la participation à la formation et sa validation seraient prises en charge par les associations de secourisme, qui remettront aux intéressés une attestation valant sanction de la connaissance des notions élémentaires de premiers secours. La formation proposée pourrait être d'une durée de quatre heures, de sorte que le temps global des formations à l'examen ne soit pas trop allongé.

Cependant, la commission des Lois du Sénat a considéré que la création de ce dispositif entraînerait un surcoût, même modeste – de quelque 25 euros –, qui pèserait in fine sur les candidats au permis de conduire. Elle a également considéré que fixer par la loi le contenu de la formation aux premiers secours poserait des difficultés.

Aussi a-t-elle préféré récrire la présente proposition de loi dans une rédaction simplifiée. Elle prévoit que les futurs conducteurs devront être « formés aux notions élémentaires de premiers secours en cas d'accident de la circulation » : dans l'esprit de la rapporteure du Sénat, cela signifie que « pourrait être imposé aux auto-écoles d'apprendre aux candidats des comportements simples, à observer en cas d'accident de la circulation ».

Cependant, je souhaite que le contenu de cette formation, définie par arrêté du ministre en charge de la sécurité routière, puisse être le plus ambitieux possible et développe une approche pratique allant au-delà de l'alerte et de la protection des blessés : elle pourrait comprendre les gestes de secourisme recommandés par les autorités compétences en matière de science médicale et d'accidentologie, telles que l'académie de médecine.

Enfin, la présente proposition de loi prévoit que le contrôle de la formation à ces gestes de premiers secours est effectué dans le cadre de l'examen du permis de conduire. Dans les faits, cela devrait se traduire par l'inclusion de questions relatives aux premiers secours au sein de l'épreuve théorique du permis de conduire.

Plus de 1,5 million de candidats se présentent chaque année à l'examen du permis de conduire. Il est évident que les connaissances acquises pourraient être réutilisées dans de nombreuses circonstances de la vie quotidienne, en cas d'urgence.

En outre, le fait d'avoir suivi une telle formation peut avoir, comme l'ont montré les auditions, un effet indirect positif en matière de sécurité routière à travers un changement de comportement au regard de la prise de risque dans la conduite automobile – l'importance de cet élément ne saurait, évidemment, être sous-estimée. La présente proposition de loi permettra en effet de favoriser un comportement que l'on peut dire de « conduite apaisée ».

C'est pourquoi je souhaite que le débat en séance publique soit l'occasion pour le Gouvernement de prendre des engagements sur le contenu de cette formation, faute de quoi le législateur devra prendre les dispositions nécessaires pour garantir que cette compétence ne soit pas uniquement théorique.

De nombreuses initiatives ont été prises, sur tous les bancs de nos assemblées, pour mettre en oeuvre une formation de nos concitoyens aux gestes qui sauvent : tous pourront ainsi considérer le bien-fondé de la démarche proposée. Il importe aujourd'hui, dans un esprit de consensus, de la faire aboutir dans les faits.

Mes chers collègues, vous l'aurez compris, ce texte n'est pas celui que, dans l'idéal, j'aurai souhaité défendre devant vous. Il constitue toutefois une avancée très importante. Je souhaite cependant qu'il soit accompagné de l'engagement formel du Gouvernement de mettre en place une formation pratique aux gestes de premiers secours.

Aussi attendrai-je la séance publique pour éventuellement déposer des amendements de précision en l'absence de garanties du Gouvernement devant la représentation nationale, car il reste essentiel que cette formation ne se limite pas à une approche théorique mais que ces notions élémentaires de premiers secours comportent, outre l'alerte et la protection des blessés, ces gestes de survie, à faire valider par les spécialistes en matière d'accidentologie et de médecine d'urgence, que sont la ventilation, la compression des hémorragies et la sauvegarde de la vie des blessés. Ces cinq gestes qui sauvent devraient être maîtrisés par tous nos concitoyens.

En outre, j'ai noté que le 30 avril dernier, par la voix de M. André Vallini, le Gouvernement a pris deux engagements devant le Sénat : celui d'apporter un avis très favorable à ce texte et celui de prendre les mesures réglementaires d'application au plus tard cet été, c'est-à-dire avant le 23 septembre.

Or le Gouvernement a curieusement déposé trois amendements, présentés comme des améliorations rédactionnelles marginales, qui, loin d'être essentielles, sont, pour certaines, sources de confusion. Elles conduisent surtout à reporter à une seconde lecture au Sénat l'entrée en application de ce texte, qui ne pourra pas avoir lieu avant octobre prochain, bien après l'expiration de l'engagement pris par le Gouvernement. Cette situation me paraît aujourd'hui incompréhensible, alors qu'un consensus semble s'être dégagé sur la rédaction du Sénat.

C'est pourquoi, afin de ne pas prolonger les débats inutilement, alors qu'une adoption conforme me semble possible, je proposerai de laisser au Gouvernement, qui n'est pas présent pour défendre ses amendements, la possibilité d'expliquer le bien-fondé de ceux-ci lors de la séance publique et donc de ne pas les adopter en commission. Ces améliorations restent en effet superfétatoires face à l'objectif qui est atteint : mettre nos concitoyens en capacité de sauver des vies en cas d'accident de la route. Je le répète, ce texte a fait consensus et a reçu l'avis très favorable du ministre.

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