Intervention de Georges Fenech

Séance en hémicycle du 5 juin 2014 à 21h30
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Article 8

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeorges Fenech :

On n’a pas réussi à déconnecter totalement la contrainte pénale de la prison, ce qui aurait été d’une plus grande logique. En effet, en cas de violation de la contrainte pénale, on revient à la prison et on retrouve les problèmes que nous avons déjà longuement énumérés ici de surpopulation et de sous-équipement carcéral.

On voit donc bien qu’il ne s’agit pas d’un simple SME amélioré, où le respect des mesures probatoires est une condition de non-révocation du sursis mais aucunement une peine en soi. Ce qui pose la question fondamentale de la nature juridique exacte de la contrainte pénale : y a-t-il une peine principale de probation tandis que l’emprisonnement serait une peine alternative subsidiaire, ou faut-il considérer l’emprisonnement éventuel comme faisant partie intégrante de la contrainte pénale ? La contrainte pénale est-elle en elle-même punitive ou seulement réparatrice ? Toutes ces questions se posent.

Dans un cas comme dans l’autre, on aboutit à une contradiction insoluble. En effet, soit la contrainte pénale aboutit à instaurer deux peines distinctes – dont la seconde est une éventualité – pour la même infraction, ce qui contrevient au principe non bis in idem, « on ne peut pas être jugé deux fois pour les mêmes faits », soit la contrainte pénale instaure une double peine où la seconde peine est déjà contenue comme éventualité dans la première, attendu que celui qui révoque la première ne rejuge pas de la culpabilité – encore qu’il faudra qu’il se repenche sur le dossier… – et qu’il ne dispose comme sanction que de l’emprisonnement, le quantum de l’emprisonnement dépendant de la première peine. Quelle complexité ! Robert Badinter, ancien président du Conseil constitutionnel, a lui-même émis au Sénat quelques doutes sur la constitutionnalité de ce dispositif.

Au-delà de ce point, la contrainte pénale comporte une indétermination manifeste tout au long de son exécution, en contradiction directe avec un autre principe bafoué ici, celui de la légalité des peines. Les Romains le disaient ainsi : nulla poena sine lege, « il ne peut y avoir de peine qui ne soit prévue par la loi ». Mais il n’est plus possible aujourd’hui de savoir quelle peine est encourue pour un certain type d’infraction. Il y a en effet une incertitude complète sur la durée de la peine de contrainte pénale, qui va de six mois à cinq ans, puisque cette durée ne dépend plus de la gravité de l’infraction, on l’a bien compris, mais de l’appréciation subjective du tribunal quant à la personnalité de l’auteur de l’infraction. Le tribunal ne sait pas ce qu’il va faire car, par définition, il ne connaît pas la personnalité réelle de l’auteur.

Il y a aussi une incertitude sur le contenu de la peine : les obligations et interdictions dépendent entièrement du contexte : personnalité de l’auteur, infraction, victime, etc… Le contenu de la peine est totalement incertain non seulement avant le prononcé, le juge ne la connaît pas, mais aussi pendant l’exécution puisqu’il appartient au JAP de procéder à toute modification qu’il jugerait utile. Il peut même mettre un terme à la contrainte pénale. Il s’érige en juge, il n’est plus simple juge de l’application des peines.

Quelle est d’ailleurs la légitimité juridique du JAP à substituer une peine à une autre ? C’est une autre question que l’on peut se poser. Car, à la différence du SME, il ne s’agit pas de redéfinir les modalités d’exécution d’une peine, mais de modifier la peine elle-même.

En outre, si les mesures de contrainte ne sont pas respectées, on retrouve le même degré d’incertitude au niveau de la peine d’emprisonnement. La loi prévoit deux plafonds : la moitié de la durée de la contrainte pénale et la durée de la peine encourue pour l’infraction. Rien de plus. Comment comprendre que la durée de probation puisse servir de plafond à la peine d’emprisonnement au mépris de la peine encourue par l’infraction elle-même ? Il y a là une grande difficulté et une cause de rupture d’égalité des citoyens devant la loi : on n’encourt une peine qu’en fonction de sa propre personnalité, laquelle peut d’ailleurs évoluer.

Le texte n’est pas plus disert sur un point d’importance : combien de peines de contrainte pénale un condamné peut-il cumuler ? Vous suggérez, madame la garde des sceaux, un code de l’exécution des peines, et il va bien en effet falloir se pencher sur les solutions que pourront retenir les magistrats chargés de l’exécution de peines, dans la situation de complexité que créera la contrainte pénale : les durées successives de contrainte pourront-elles être supérieures à cinq ans ? Si plusieurs contraintes pénales sont prononcées, se cumuleront-elles ou se confondront-elles ? Dans le cas où plusieurs contraintes sont prononcées et font l’objet d’une demande de révocation simultanée, comment fixera-t-on la peine d’emprisonnement maximale ? Toutes questions qui n’ont pas de réponses dans la rédaction actuelle du texte.

Enfin, dernier point majeur, le projet de loi n’établit aucun critère objectif a priori pour justifier que certains individus se verront appliquer soit la contrainte pénale, soit un sursis avec mise à l’épreuve, soit encore de la prison ferme, et ce pour la même infraction. Il y a là un risque véritable d’arbitraire du juge.

Notre dispositif pénal comportera deux peines de nature probatoire et éducative : le sursis avec mise à l’épreuve et la contrainte pénale, dont les régimes pratiques sont proches mais qui sont très éloignés en droit, et dont les durées maximales – elle est de trois ans pour le SME – ne se confondent pas. La loi ne donnant aucune indication objective au juge, le citoyen sera abandonné à l’arbitraire, ce qui conduira à une rupture manifeste d’égalité des citoyens devant la loi, et à une absence de proportionnalité des peines.

Au final, peu importe l’intention de la contrainte pénale, il n’est pas envisageable qu’elle puisse conduire à renoncer aux principes fondamentaux de notre droit.

Je n’ai pas eu l’occasion, comme Mme Capdevielle, de me rendre à l’étranger, mais j’ai pu lire l’analyse d’un criminologue bien connu, Xavier Raufer, sur le Royaume-Uni.

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