Intervention de Éric Ciotti

Séance en hémicycle du 5 juin 2014 à 21h30
Prévention de la récidive et individualisation des peines — Article 8

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaÉric Ciotti :

Nous sommes tous, je crois, animés par le souci sincère d’améliorer le fonctionnement de notre système judiciaire. Aujourd’hui, celui-ci fonctionne de plus en plus mal. Il est l’objet d’une défiance de plus en plus forte de la part de nos concitoyens. Il ne parvient plus à enrayer la progression inexorable de la délinquance et de la violence. Il n’assure plus de façon efficace la prévention de la récidive et la réinsertion des personnes condamnées. Ce constat, nous devons lucidement le partager sur tous les bancs, comme nous pouvons chacun reconnaître une part de responsabilité sans nous jeter d’anathèmes, pour essayer d’améliorer notre système judiciaire. Refuser de le faire, c’est porter atteinte à un pilier porteur de notre démocratie.

Vous proposez, madame la ministre, une solution qui, même si j’en comprends la logique, me paraît aller à l’inverse des dispositions qui seraient indispensables, nécessaires, utiles, pour améliorer notre système. Cette peine de probation, que vous avez pompeusement baptisée « contrainte pénale », oscille entre inutilité et dangerosité.

Sa dangerosité était avérée dans les premières moutures de votre texte, qui prévoyaient que la peine de probation, comme elle s’appelait encore, se substitue de manière obligatoire à la prison. Dans le panel de solutions offert à chaque magistrat, vous proposiez cette substitution pour les délits passibles de cinq ans de prison ferme. Le juge se voyait ainsi contraint, limité dans sa capacité d’appréciation.

Les différents arbitrages ont conduit à modifier cette version. Désormais, la contrainte pénale constitue l’une des peines alternatives à la prison, avec l’amende et le sursis avec mise à l’épreuve. Mais quelle différence, et c’est l’élément le plus optimiste de la réflexion, établissez-vous, madame la ministre, entre un sursis avec mise à l’épreuve et la contrainte pénale ? J’aimerais que vous nous l’expliquiez, car vous n’êtes jamais réellement parvenue à l’établir clairement. Il y a quelques instants, je débattais à la radio avec Christophe Regnard, président de l’Union syndicale des magistrats, qui soulignait qu’il n’avait jamais bien compris votre définition de la contrainte pénale, tant elle est floue et imprécise. Et pour reprendre une expression chère à certain, quand c’est flou, c’est qu’il y a un loup…

Quel est donc le contenu concret de la contrainte pénale, madame la ministre ? Quelle plus-value, quelle amélioration apporte-t-elle ? Quelles sont les interdictions, les obligations qu’elle emporte – obligation de soins, bien sûr, obligation de formation ? Je ne mets pas en doute la sincérité de votre volonté d’apporter une solution innovante, mais en quoi consiste cette nouveauté ? En fait, tout ce que vous avez fait est de vider le SME de sa substance pour le remplacer par votre nouvelle mesure. Vous pourrez ainsi afficher dans quelques mois un bilan positif basé sur le nombre de contraintes pénales qui auront été retenues…

En réalité, la contrainte pénale cache d’autres objectifs. Vous voulez faire reculer la capacité des magistrats à prononcer des peines de prison ferme. Je crois que c’est une erreur, non par principe, non par idéologie, non parce nous serions partisans du tout-carcéral comme certains ont voulu le faire croire de manière caricaturale : c’est une erreur par rapport à la situation de la délinquance de notre pays. Affaiblir la peine de placement en milieu fermé constitue une erreur tragique.

Depuis la création du sursis avec mise à l’épreuve en 1958, la proportion des personnes placées sous main de justice est trois fois supérieure à celle des personnes condamnées emprisonnées : il y a 51 000 condamnés placés en détention contre 175 000 en milieu ouvert. Autrement dit, il y a déjà un large recours aux solutions en milieu ouvert. Nous n’allons pas revenir sur ce qui a été dit lors de la discussion générale sur le taux de détention dans notre pays. Je maintiens, et les chiffres de l’enquête SPACE I du Conseil de l’Europe le démontrent, que nous sommes parmi les pays d’Europe, voire du monde, qui recourent le moins à l’incarcération. Dans ces conditions, je ne suis pas contre améliorer le placement en milieu ouvert, mais alors il faut beaucoup plus de moyens pour que cette probation soit une réussite. Même si vous créez les 1 000 postes que vous annoncez, le taux d’encadrement sera cinq fois inférieur à celui du Canada !

Vous auriez pu tenter d’améliorer l’existant, le placement en milieu ouvert, dont les difficultés viennent du grave déficit des moyens qui y sont consacrés. Vous auriez pu aussi vous attaquer aux problématiques du milieu fermé : on sait que les prisons ne sont plus adaptées aux personnalités des détenus, qu’elles sont trop vastes et construites sur le même moule, qu’elles mélangent des personnes aux profils très différents, voire les criminels et les prévenus dans certains établissements, ce qui est source de récidive, on sait qu’il y règne une promiscuité dangereuse du fait du manque cruel de places, ce que vous refusez de reconnaître – vous avez même ralenti considérablement le programme de construction.

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