Intervention de Jacqueline Fraysse

Séance en hémicycle du 10 juin 2014 à 21h30
Mise en accessibilité des établissements recevant du public des transports publics des bâtiments d'habitation et de la voirie — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacqueline Fraysse :

Ce projet de loi d’habilitation a pour objet de retarder la date limite de mise en accessibilité, prévue par la loi du 11 février 2005, des établissements recevant du public, des transports publics, des bâtiments d’habitation et de la voirie pour les personnes handicapées.

La loi de 2005, bien que discutable sur certains points, a été présentée comme une véritable loi d’égalité, comme une reconnaissance par la République des besoins spécifiques des personnes handicapées et, au-delà, de l’ensemble des personnes en situation de handicap permanent ou transitoire.

Elle permettait également de répondre aux besoins des personnes accompagnées d’enfants, des parents avec poussette ou simplement des personnes âgées. L’allongement de la durée de vie rendait cette question d’autant plus aigüe puisque, selon l’INSEE, en 2050, un citoyen sur trois aurait soixante ans ou plus, contre un sur cinq au moment de l’adoption de la loi en 2005.

Celle-ci a donc été, à juste titre, considérée comme une avancée en ce qu’elle prévoyait des règles précises et des obligations de résultat qui ont nourri beaucoup d’espoirs, notamment de la part des personnes handicapées et de leurs associations, tant il s’agit pour elles d’un préalable à la scolarisation, à l’accès au logement, à l’obtention d’un travail, à l’accès à la culture. Bref, à une vie citoyenne pleine et entière, comme l’indiquait d’ailleurs l’intitulé de ce texte : « Pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ».

Nous sommes aujourd’hui en 2014 – soit presque dix ans plus tard – et force est de constater que la loi de 2005 n’est pas appliquée, ou du moins qu’elle l’est très incomplètement, puisque selon l’Association des paralysés de France, seulement 15 % des bâtiments recevant du public seraient en conformité avec elle.

Comment expliquer cette situation ? Il ne suffit pas de proclamer des obligations dans une loi pour qu’elles se concrétisent : encore faut-il en prévoir le suivi et les moyens d’application, deux points essentiels qui manquaient cruellement dans le texte de 2005, comme nous n’avions pas manqué de le souligner lors de son adoption.

Depuis, nous avons plusieurs fois alerté sur l’impossibilité de tenir le délai prévu par la loi sans une politique volontariste de la part des pouvoirs publics. D’ailleurs, en 2011, devant le retard accumulé, nous avions proposé dans cet hémicycle une proposition de résolution invitant le gouvernement français à prendre des décisions pour permettre la mise en oeuvre d’une réelle politique d’accessibilité universelle en conformité avec ses engagements internationaux.

D’autres ont lancé cette alerte. Ainsi, un rapport d’information du Sénat, publié en 2012, révélait les retards considérables pris en la matière. La même année, un rapport conjoint du conseil général de l’environnement et du développement durable, de l’Inspection générale des affaires sociales et du contrôle général économique et financier constatait que l’obligation de mise en conformité des établissements recevant du public ne pouvait être tenue dans les délais. Mais aucune mesure particulière n’a été prise.

Aujourd’hui, avec le texte qui nous est soumis, nous nous trouvons dans une situation pour le moins ambiguë, puisque celui-ci se fixe enfin pour objectif l’application de la loi de 2005 et propose à cet effet de reculer la date de sa mise en oeuvre complète, initialement prévue avant le 1erjanvier 2015 pour les établissements recevant du public et avant le 13 février 2015 pour les transports collectifs.

Sur la base du rapport de notre collègue sénatrice Mme Campion, ce texte propose de repousser l’échéance prévue par la loi de 2005 et d’échapper ainsi aux sanctions pénales, à condition d’avoir élaboré un « agenda d’accessibilité programmée » décrivant les travaux pluriannuels de mise en conformité et leur programmation financière. Le dépôt d’un tel agenda serait obligatoire et soumis au contrôle de l’autorité administrative également chargée du suivi de l’avancement des travaux. Il s’agirait d’exiger que tous les acteurs adhèrent à cette démarche, intention indiscutablement louable.

D’autres aspects de ce texte, telles, par exemple, les dérogations accordées pour disproportion manifeste, vont dans le sens d’une simplification et vers davantage de pragmatisme. Autant de propositions que nous ne saurions contester, même si certains points restent opaques, comme par exemple les critères permettant de déterminer le délai de prorogation.

Mais au bout du compte, une fois de plus, ce projet de loi passe complètement sous silence la question essentielle du financement de la mise aux normes de tous les bâtiments accueillant du public, des transports, des bâtiments d’habitation et des voiries.

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