Intervention de Barbara Romagnan

Séance en hémicycle du 11 juin 2014 à 15h00
Impact de la réduction progressive du temps de travail — Explications de vote

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBarbara Romagnan :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, monsieur Thierry Benoit, je salue, au nom du groupe socialiste, l’initiative du groupe UDI qui propose de créer une commission d’enquête permettant d’évaluer l’impact social, sociétal, économique et financier des politiques de réduction du temps de travail. Ainsi que nous pouvons le constater, tous les groupes y sont favorables même si, comme vient de le souligner ma collègue Véronique Massonneau, nos attentes ne sont pas tout à fait identiques.

Même si la commission n’a pas encore commencé ses travaux, je trouve extrêmement positif que nous soyons tous d’accord sur le caractère légitime de cette réflexion menée déjà avec grand sérieux par nombre de syndicats en Allemagne et en en Belgique, par exemple. Avant d’en venir au champ d’investigation de la commission d’enquête et aux premiers éléments de bilan, je tenais à rappeler que le travail a déjà été réduit pour certains et parfois tellement réduit qu’ils n’ont pas de travail. En revanche, certains travaillent trop. Vous le rappeliez, en effet, cher collègue, selon l’INSEE, la durée réelle d’un temps plein en France est supérieure à 39 heures.

Au milieu, se trouvent tous ceux qui ont un emploi à temps partiel – je dirai plutôt « toutes celles » puisque 82 % des travailleurs qui travaillent à temps partiel sont des femmes – et qui ne parviennent pas à joindre les deux bouts dans de bonnes conditions. Ce partage induit de la souffrance chez ceux qui ne travaillent pas, pas assez ou trop. Cela a un impact sur les arrêts maladie, l’absentéisme, la qualité, donc la productivité et les comptes sociaux. Or ce partage du travail n’a jamais été débattu devant et avec les citoyens. Le marché et la division sexuelle du travail, qui affectent encore très largement les femmes à la famille et aux tâches ménagères, en ont ainsi décidé.

Cette situation n’est pas propre à la France. Dans tous les pays occidentaux, il y a de fait un partage du travail, car on produit autant ou plus avec moins d’heures de travail. Par exemple, aux États-Unis, même avant la crise des subprimes, la durée moyenne du temps de travail était inférieure à 34 heures, tant les petits boulots sont nombreux. Aux Pays-Bas, 75 % des femmes travaillent à temps partiel et 45 % en Allemagne. Quelles perspectives d’avancement leur sont-elles offertes dans le cadre de leur travail et quels sont leurs revenus si le couple se sépare ? Dans l’article unique de cette proposition de résolution, vous insistez avec raison sur la loi de 1998, dite loi Aubry, car elle est évidemment la loi majeure en la matière.

Nous avons déjà du recul et des informations sur plusieurs points et nous connaissons certaines limites de cette loi. On sait, par exemple, que la réduction du temps de travail dans la fonction publique hospitalière, qui n’a pas été accompagnée de suffisamment d’embauches, a été source de certaines difficultés. Nous savons également, même si cela mérite d’être affiné, que la perception de l’amélioration de la vie quotidienne est largement corrélée au niveau de formation. Ainsi, les cadres perçoivent plus facilement et plus majoritairement l’amélioration que cela a représenté pour leur vie que les employés ou les ouvriers non qualifiés.

On sait, enfin, que les améliorations ressenties dans la vie quotidienne sont aussi largement déterminées par le sexe. Le temps gagné par les femmes a été largement réinvesti dans les tâches familiales et domestiques, ce qui n’a pas été majoritairement le cas pour les hommes. Mais les lois Aubry, ce sont aussi, selon le bilan de la DARES, la création de 350 000 emplois et 4 milliards d’euros de cotisations sociales supplémentaires par an et une baisse du nombre de chômeurs, donc une diminution des prestations chômage à hauteur de 1,8 milliard.

Elles ont également stimulé la consommation des ménages, entraînant une augmentation du montant des recettes fiscales estimé à 3,7 milliards. La compétitivité de l’économie française n’a pas pour autant fléchi. Je sais que nous débattrons de ce sujet. En effet, l’augmentation du salaire horaire lié au passage aux 35 heures a été largement compensée par la modération salariale, une organisation du temps de travail plus flexible et l’aide de l’État sous forme de cotisations sociales.

Enfin, M. Candelier l’a souligné, nous devrons également nous pencher sur un certain nombre de dispositifs qui, s’ils n’ont pas abrogé les dispositifs des 35 heures, les ont largement vidés de leur contenu, ce qui, à notre sens – mais nous sommes prêts à en débattre –, explique pour une grande part la limitation des effets positifs des lois Aubry. Je pense à l’explosion du contingent des heures supplémentaires, passé de 130 à 180 heures en 2003 avec les lois Fillon et à 220 en 2004 par décret, à la baisse du coût des heures supplémentaires ainsi qu’à la défiscalisation des heures supplémentaires en 2007, dispositions qui encouragent le recours aux heures supplémentaires plutôt qu’à la création d’emplois.

Le chômage de masse mine notre société, nous le savons tous, la croissance est atone et risque de le rester, les enfants nés massivement au début des années 2000 vont bientôt arriver sur le marché du travail, mais, dans le même temps, nous sommes capables de produire au moins autant avec moins d’heures de travail grâce aux progrès technologiques et au fait que les salariés sont parmi les plus productifs du monde.

Saisissons-nous de cette chance pour permettre à tous et toutes de travailler dans de meilleures conditions, d’en vivre décemment, d’avoir du temps pour ses proches, des activités bénévoles et citoyennes, et pour améliorer la vie de nos concitoyens et le dynamisme de notre économie.

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