Intervention de Jean-Marc Mickeler

Réunion du 13 mai 2014 à 16h15
Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte :

J'ai travaillé aux États-Unis, en Allemagne, en Asie, et je suis revenu en France, où je suis très heureux. J'y prends des responsabilités, je voyage beaucoup et je suis convaincu que nous n'avons aucune raison de rougir de ce que nous pouvons proposer, même si nous avons beaucoup de choses à améliorer.

Les médias français ont tendance à chercher – y compris dans nos études – des chiffres qui viennent alimenter le sentiment de défiance vis-à-vis de notre pays. De fait, nous avons à progresser sur de nombreux points. Par exemple, nous sommes perçus comme des gens arrogants dans les pays anglo-saxons, en Asie, et de plus en plus souvent en Europe. Voilà pourquoi je pense que tous ceux qui véhiculent la voix de la France, tous ceux qui représentent notre pays – politiques, chefs d'entreprise, artistes – devraient commencer par faire leur introspection. En effet, l'évolution de la perception que les étrangers ont de notre pays relève en partie de la responsabilité de ces personnalités. Pour ma part, l'une des plus grandes souffrances qui m'ait été infligée à l'étranger est venue du procès d'intention que l'on m'a fait d'être arrogant et de vouloir imposer mes vues. Et cela m'a amené à travailler sur moi-même.

Monsieur Le Bris, il ressort en effet de notre étude que 57 % des personnes interrogées se méfient des employeurs. Mais heureusement, ce pourcentage diminue de façon très significative d'une année sur l'autre, s'agissant de ceux qui sont en poste dans l'entreprise. La méfiance vient plutôt de ceux qui n'ont pas encore la chance d'y travailler. Le problème que nous avons aujourd'hui est d'ailleurs bien de faire franchir aux diplômés cette première marche. L'évolution me semble donc aller dans le bon sens. Mais je tiens à vous faire remarquer que toute défiance vis-à-vis du politique a une incidence immédiate sur la défiance des collaborateurs vis-à-vis du management des entreprises.

Ensuite, monsieur Sturni, le France bashing, n'est pas une question de génération. Il concerne aussi bien les jeunes expérimentés qui sont à l'étranger depuis deux ou trois ans que les personnes ayant une longue carrière d'expatriation derrière eux.

Enfin, monsieur Rodet, j'observe que ceux qui tiennent encore les discours que vous avez mentionnés tout à l'heure sont aujourd'hui très peu nombreux.

Chaque pays a ses avantages et ses inconvénients. Il est avéré que la protection sociale coûte éminemment plus cher dans les pays anglo-saxons qu'en France, qu'il est beaucoup plus compliqué d'avoir des enfants lorsque l'on est en expatriation, ou d'être en contrat local que de travailler en France. Mais les jeunes dont je parlais n'ont pas enfants, ils partent seuls et sont au début de leur carrière. Ils se « fichent » bien, s'ils vont aux États-Unis, de savoir combien leur coûtera leur protection sociale. Ils se disent que lorsqu'ils auront monté leur entreprise et qu'ils gagneront très bien leur vie, ils choisiront le niveau de protection dont ils auront besoin. J'entends ce genre d'arguments, mais je pense qu'ils pèsent de peu de poids chez les jeunes générations.

Revenons sur le France bashing. À vrai dire, je ne m'explique pas pourquoi ces expatriés scient, d'une certaine façon, la branche sur laquelle ils sont assis. Je regrette de ne pas avoir de solution immédiate à proposer, si ce n'est de faire du prosélytisme. Ceux qui, en France, ont des responsabilités managériales et côtoient régulièrement ces communautés doivent s'y employer. Cela dit, mon sentiment est que parmi les communautés expatriées au sein des grandes métropoles internationales, la moins ouverte aux impatriés et la plus mal perçue par les locaux est systématiquement la communauté française. Maintenant, moi qui ne suis pas parisien mais alsacien, j'ai remarqué, lorsque je visite mes bureaux en province, le même antagonisme entre la province et Paris que celui qui peut exister entre l'expatrié et celui qui vit en France.

Aujourd'hui, je trouve inquiétant que des cadres ne veuillent pas rester en France parce que cela ferait planer des doutes quant à leurs capacités professionnelles. Ils n'ont pas de projet, mais demandent à être envoyés l'étranger, pour ne pas perdre leur crédibilité vis-à-vis des clients et de leurs collaborateurs. C'est un discours difficile à entendre, quand vous êtes chef d'entreprise et directeur des ressources humaines d'un groupe en France. En ce domaine aussi, nous avons une responsabilité forte, sur laquelle il nous faut travailler.

Est-ce que ceux qui partent ne sont que des entrepreneurs ? Malheureusement non. Ceux qui partent sont aussi, pour partie, attirés par l'étranger parce qu'ils ne trouvent pas de poste en France. Cela me ramène à mon exemple précédent : si vous êtes coiffeur et que vous allez à Londres, vous trouverez du travail en deux jours. Et si vous êtes cuisinier et que vous allez dans n'importe quel pays européen, vous croulerez sous les offres d'emploi.

Peut-on mener des actions à court terme pour lutter contre le France bashing ? Il ne peut s'agir que de réponses individuelles. Comme je l'explique à mes équipes, nous devons les uns et les autres consacrer du temps et de l'énergie, lorsque nous voyageons, à aller à la rencontre de ceux qui adoptent une telle attitude : nous devons leur expliquer en quoi cette attitude est criminelle et leur montrer qu'ils contribuent à un phénomène de dévalorisation qui finira par se retourner contre eux, quand bien même ils décideraient de faire toute leur carrière à l'étranger.

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