Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de france

Réunion du 13 mai 2014 à 16h15

Résumé de la réunion

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La réunion

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L'audition débute à seize heures vingt-cinq.

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Nous accueillons aujourd'hui M. Jean-Marc Mickeler, associé et directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte.

Monsieur Mickeler, le cabinet Deloitte a publié pour la troisième année consécutive un « Baromètre de l'humeur des jeunes diplômés » qui soulève un certain nombre de questions sur l'expatriation, ses motivations et l'attractivité qu'exercent certains pays sur les jeunes. Il nous a donc semblé important de vous entendre dans le cadre de notre commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France.

Certes, l'expatriation est nécessaire à l'époque de la mondialisation, et il est important que les jeunes Français partent à la conquête du monde. Mais il y a aussi une expatriation sans doute subie de contribuables, de jeunes, voire de centres de décision, et le phénomène nous paraît préoccupant pour l'économie française. Cette commission d'enquête a pour objet d'approfondir la question, d'en tirer un certain nombre de conclusions et de faire des propositions.

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vous demande de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(M. Jean-Marc Mickeler prête serment.)

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Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, merci de me donner l'opportunité d'échanger avec vous en tant que chef d'entreprise, en tant que recruteur, en tant que formateur et, d'une certaine façon, en tant qu'« essaimeur » de talents au sein de l'économie française. Notre entreprise, qui compte 8 000 salariés en France, y recrute tous les ans entre 800 et 1 000 nouveaux collaborateurs. Nous employons aujourd'hui en France plus de 52 nationalités. C'est une société détenue à 100 % par des capitaux français, une société française, bien qu'appartenant à un réseau international.

Nous recrutons sur un marché mondial, extrêmement compétitif, ce qui nécessite de mesurer tant qualitativement que quantitativement l'attractivité de notre métier et de notre marque, mais aussi celle de notre pays.

Depuis plusieurs années, nous avons élaboré un dispositif de mesures complet, dont le baromètre auquel vous faites référence constitue l'une des briques les plus importantes. Il nous permet en effet de donner « une note d'ambiance » sur la perception des jeunes diplômés et des jeunes expérimentés vis-à-vis des opportunités qui leur sont offertes sur le marché français.

Dans le cadre du sujet qui intéresse votre commission, je souhaiterais partager avec vous quelques constats, vous donner notre sentiment d'entrepreneurs sur les raisons principales qui ont amené à la situation que nous connaissons, et échanger sur les réformes qui nous semblent devoir être engagées de façon prioritaire.

Ces constats résultent aussi bien de l'exploitation du baromètre qui vous a été communiqué que des nombreux échanges que nous avons avec les candidats que nous rencontrons. De fait, pour recruter les 800 à 1 000 collaborateurs dont je parlais, nous recevons 60 000 à 70 000 CV par an. Nous faisons passer entre 3 000 et 4 000 entretiens pour, in fine, retenir 800 à 1 000 collaborateurs que nous recrutons en contrat à durée indéterminée (CDI). En sus de ces 800 à 1 000 collaborateurs, nous offrons tous les ans à 400 à 500 stagiaires l'opportunité de nous rejoindre. Ces derniers constituent une part importante de nos recrutements de demain. Très souvent, en effet, les contrats que nous proposons le sont à des collaborateurs qui ont eu l'occasion de tester, au cours d'un stage, nos métiers, notre entreprise et ses valeurs.

Un premier élément nous semble extrêmement important à noter, par rapport à la tonalité des articles que nous pouvons lire dans la presse et à la tonalité d'un certain nombre de débats : 8 jeunes diplômés sur 10 sont convaincus que la France présente des arguments pour leur avenir professionnel. Cela peut sembler positif, si ce n'est que certains des arguments que mettent en avant ces 80 % de jeunes sont la qualité de vie qu'offre notre pays et la sécurité juridique des contrats de travail.

Parmi les 20 % de jeunes qui ne sont pas convaincus, les principaux inconvénients qu'il y a à travailler en France sont : l'état du marché de l'emploi, l'environnement politique et social et l'état général de l'économie – telle qu'ils la perçoivent. 27 % d'entre eux considèrent que leur avenir professionnel se trouve ailleurs qu'en France. Parmi ces derniers, 45 % envisagent une expatriation supérieure à six ans et 30 % déclarent ne plus vouloir y revenir.

À ces éléments bruts, quantitatifs, je souhaiterais rajouter quelques éléments tirés de notre expérience de recruteurs, au cours des deux dernières années.

Près d'un postulant sur deux disposait d'une offre concurrente à l'étranger (dans un autre bureau de Deloitte ou chez un concurrent). 80 % de ceux disposant d'une telle offre ont décidé d'y répondre favorablement, au détriment des opportunités que nous leur offrions en France. Les trois principales raisons évoquées par ces candidats lorsque nous les avons interrogés sur leur choix final étaient : premièrement, la perception que la réussite au mérite fonctionne mieux ailleurs qu'en France ; deuxièmement, la perception que la valorisation de leur capacité d'innovation et d'entrepreneuriat sera mieux valorisée par leur premier employeur à l'étranger, par rapport à la façon dont nous pourrions la valoriser en France ; troisièmement, les perspectives en matière de rémunération. C'est un élément important, mais pas discriminant. Les deux premiers points sont, quant à eux, essentiels.

À l'inverse, et cela nous semble encore plus inquiétant, nous recevons de plus en plus de candidats dont le coeur des préoccupations tourne autour de notre capacité, en tant qu'entreprise, à satisfaire leur équilibre entre vie professionnelle et vie personnelle, dès le début de leur carrière.

Face à ces constats, notre conclusion, que j'ai eu l'occasion et que je partage encore régulièrement avec de nombreux autres recruteurs, représentatifs d'un panel d'entreprises qui vont de la PME à l'entreprise de taille intermédiaire ou aux sociétés du CAC 40, est la suivante : nous disposons aujourd'hui en France d'un vivier toujours important de talents qui ont l'ambition d'innover et de créer. Simplement, leur terrain de jeu est devenu mondial. Le fait qu'ils soient de plus en plus nombreux à envisager l'expatriation est une bonne chose pour l'économie française ; c'est un point de vue que nous partageons avec la chambre de commerce et d'industrie de Paris Île-de-France, que vous avez auditionnée dernièrement. Mais le fait qu'ils soient nombreux à ne prendre qu'un billet « aller » est une préoccupation. Même si nous ne disposons que de très peu d'éléments statistiques dans la durée, qui nous permettraient d'avoir des certitudes, les éléments déclaratifs qui figurent dans notre baromètre ont de quoi inquiéter les recruteurs et formateurs que nous sommes : plus de 40 % de ceux qui partent nous disent en effet qu'ils n'envisagent pas de revenir. De la même façon, le fait que ceux qui restent privilégient la sécurité et le confort nous inquiète. Aujourd'hui, dans notre pays, l'aversion au risque tue toute capacité à innover. Or, on n'innove pas si on ne sort pas de sa zone de confort. Cela me ramène au constat que je faisais tout à l'heure : nous rencontrons de plus en plus de candidats, jeunes et moins jeunes, qui nous posent des questions sur notre capacité à garantir tout au long de leur carrière un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Ce ne sont pas des comportements qui favorisent l'innovation, la créativité et la croissance.

Quelles raisons peuvent expliquer cet état de fait ? J'en ai relevé trois.

Premièrement, l'ascenseur social est bloqué dans notre pays. La France, où les impôts et les transferts sont parmi les plus élevés au monde, a la particularité d'avoir une mobilité sociale et professionnelle parmi les plus faibles de tous les pays de l'OCDE. Aujourd'hui, plus de 50 % des élèves des grandes écoles sont des enfants de cadres supérieurs ou des enfants de parents exerçant des professions libérales. Le fait d'intégrer telle ou telle grande école en France détermine quasiment une fois pour toutes l'avenir professionnel d'un individu. La France est un pays qui n'offre pas de seconde chance, contrairement aux pays anglo-saxons où avoir vécu un échec est la condition sine qua non pour accéder à un poste de management. Chez nous, l'échec condamne quasiment un individu à subir sa carrière et à ne plus maîtriser sa destinée professionnelle. Lorsque l'on veut être une entreprise innovante, c'est un frein essentiel.

Deuxièmement, nous n'avons pas encore appris – pouvoirs publics, chefs d'entreprise – à penser dans le cadre d'une économie ouverte, tournée vers l'innovation, dans laquelle détruire des emplois est la condition sine qua non pour en créer d'autres, qui seront les moteurs de la croissance. Pour innover, il faut pouvoir partir d'une page blanche. Cela suppose de la flexibilité sur le marché du travail, aussi bien pour embaucher que pour licencier. Le défi majeur auquel nous sommes alors confrontés – pouvoirs publics, partenaires sociaux – consiste à réconcilier la flexibilité et la sécurisation des parcours professionnels. Pour sécuriser un parcours professionnel, il faut assurer le rebond d'un emploi à un autre lorsque l'on détruit un poste, et donc disposer d'un dispositif de formation professionnelle susceptible de permettre en permanence à un collaborateur de se projeter vers un nouveau métier, un nouveau secteur, une nouvelle géographie.

Troisièmement, et c'est ce qui me semble le plus important, il faut réhabiliter la valeur travail et la prise de risque, qui ont été considérablement dévaluées au cours des quinze dernières années. En tant que recruteurs, nous le constatons chaque année. La réussite professionnelle est insuffisamment valorisée aux yeux de ceux qui souhaitent quitter notre pays – et c'est une des raisons principales qui les conduit à partir – alors qu'elle est suspecte et critiquable aux yeux de ceux qui restent, parce qu'ils privilégient leur sécurité et leur confort.

Que doit-on changer ? En premier lieu, il faut « changer de logiciel » en mesurant toutes les réformes à l'aune de la mobilité des individus, entendue au sens large : la mobilité sociale, par la réforme de l'école, de l'université, et une plus grande fluidité entre formation générale et formation professionnelle, ce qui passe par la revalorisation de certains métiers, notamment les métiers artisanaux.

Comme je l'ai lu récemment, être coiffeur à Londres, c'est bien. Être coiffeur français aux États-Unis, c'est génial. Être coiffeur en France, ça l'est beaucoup moins. D'ailleurs qui, parmi vous, rêve que son fils ou sa fille décide de faire carrière dans la coiffure ? Cela devrait nous faire réfléchir.

Les métiers manuels restent extrêmement dévalorisés dans notre pays, alors qu'ils sont au coeur du Mittelstand allemand. On loue les PME innovantes de l'Allemagne, mais il ne faut pas oublier la solidité de son tissu artisanal. Par expérience personnelle, je connais l'Allemagne, et je suis toujours frappé par l'ouverture d'esprit des parents allemands vis-à-vis de leurs enfants, quand ils leur annoncent qu'ils ont envie de se lancer dans une carrière manuelle. En France, nous en sommes encore loin.

Ensuite, il faut adapter en permanence l'offre académique et le besoin des recruteurs. Nous en discutons avec les responsables d'universités et de grandes écoles. Ce discours bilatéral, instauré par certaines entreprises, devrait être encouragé. Il y a encore trop souvent en France des formations académiques de qualité, probablement stimulantes sur le plan intellectuel, mais totalement inutiles sur le marché du travail.

Enfin, il faut abolir toute barrière à l'entrée et favoriser tout ce qui permettra aux jeunes de franchir la première marche de l'escalier qui mène à l'ascenseur social. Il faut favoriser toute forme d'apprentissage, y compris les stages et les études menées conjointement avec des emplois rémunérés. Ce concept, qui a été développé depuis des dizaines d'années dans les pays anglo-saxons, n'est pas du tout structuré en France.

En deuxième lieu, comme je l'ai dit tout à l'heure, pour créer de l'emploi, il faut savoir en détruire. Il faut donc favoriser la mobilité d'un emploi à un autre. Cela implique de procéder à une refonte et à une simplification du droit du travail. Je vous rappelle trois chiffres que vous connaissez sans doute : le code du travail posé sur mon bureau fait 3 299 pages, le code du travail allemand 800 pages et le code du travail suisse 70 !

En troisième lieu, la mobilité internationale ne doit pas être subie : elle doit être encouragée, mais également maîtrisée à travers l'organisation d'une véritable diaspora de l'expatriation française.

Depuis une dizaine d'années, je passe un tiers de mon temps à l'étranger. Je suis surpris, parfois choqué, quand je discute avec les communautés d'expatriés français qui contribuent trop souvent au France bashing. Pour eux, le fait de rester en France vous rend suspect quant à vos capacités professionnelles ! J'observe d'ailleurs que la diaspora française ne raisonne pas du tout comme les diasporas d'autres pays.

En conclusion, de mon point de vue, il n'y a aucune fatalité dans l'expatriation d'un certain nombre de forces vives de notre pays, dès lors que cette expatriation est positive dans leur esprit, qu'elle est datée, et que l'on se donne les moyens de récupérer toute la valeur que vont acquérir les intéressés. Une fois rapatriés, ils pourront faire bénéficier les entreprises françaises de leur capacité à sortir de leur zone de confort et à innover, et de leur envie de contribuer à la croissance de notre pays.

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Monsieur Mickeler, je vous remercie. Avant de passer la parole au rapporteur et à nos collègues, je voudrais vous poser une question. Vous avez dit que vous receviez 70 000 CV et que vous faisiez passer 3 000 entretiens. Comment sélectionnez-vous les personnes que vous convoquez en entretien ?

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Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte

Nous sommes un gros recruteur. Aujourd'hui, dès lors qu'il a quatre ou cinq ans d'études post bac et quel que soit son profil, un jeune diplômé candidate chez nous. Il tente sa chance, qu'il ait ou non des compétences pour nos métiers. Le nombre de candidatures d'opportunisme est ainsi très important. Une première étape consiste donc à étudier le profil de ces candidats, leur CV et leur lettre de motivation, pour identifier ceux qui pourraient répondent aux attentes que nous avons exprimées pour les postes que nous cherchons à pourvoir et qui, en outre, font montre d'une motivation pour nos métiers. Cette première sélection faite, nous recevons les candidats, nous leur faisons passer plusieurs entretiens, sachant que, dans notre organisation, c'est l'opérationnel qui va travailler avec la personne qui décide in fine.

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Si je vous pose cette question, c'est pour attirer votre attention sur la prégnance du diplôme. En tant que parlementaires, nous recevons des gens très importants, qui nous expliquent qu'en France on fait trop attention aux diplômes, on ne valorise pas assez les métiers manuels, on ne donne pas leur chance à de jeunes talents, tout en demandant à un jeune qu'il ait « bac + 12 » pour commencer comme simple commercial dans un grand groupe. Comment repartir dans la bonne direction ?

Ensuite, vous avez dit que, pour être attractif, notre pays devait avoir une économie ouverte à l'innovation. Mais quels sont les critères qui font qu'aujourd'hui un jeune, diplômé ou non, considère que la France est un pays innovant ? N'oublions pas tout de même que la France a le taux de crédit d'impôt recherche le meilleur des pays de l'OCDE.

Enfin, vous avez parlé de recrutement et de l'éventuelle expatriation des jeunes Français. Ma question s'adresse au directeur des ressources humaines d'un groupe international organisé en réseau : aujourd'hui, est-ce que le bureau de Paris est attirant pour vos collaborateurs du bureau de New York, de Londres ou de Berlin ? Attirez-vous facilement des cadres internationaux à Paris quand vous en avez besoin ?

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Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte

Monsieur le président, je répondrai à votre première question que l'école, en tant que telle, n'a pour nous aucune importance dès lors que le contenu académique dispensé au candidat correspond au contenu académique minimum nécessaire à l'exercice de nos métiers. Nous sommes des commissaires aux comptes, des consultants. Il faut donc que les candidats aient une formation financière minimale, et peu importe qui l'a dispensée.

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En Grande-Bretagne, les étudiants des grandes universités candidatent dans les grands cabinets d'audit ou de conseil, sans jamais avoir touché à la finance…

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Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte

Je suis tout à fait d'accord et je vais compléter ma réponse : nous souhaitons d'abord des candidats qui, par l'expression de leur motivation dans leur lettre de motivation, par la réalisation de stages préalables ou soit par leur implication dans des activités périscolaires, montrent leur intérêt pour notre projet d'entreprise et nos valeurs.

Nous recrutons dans plus de 80 écoles et universités différentes, dans plus de 60 filières différentes, y compris dans des filières littéraires. Nous recrutons depuis peu des bacs +2 et +3 que nous accompagnons, sous forme de contrats de professionnalisation, en alternance, pour les amener à bac +5 et leur ouvrir les portes du diplôme professionnel d'expertise comptable. C'est un effort que nous avons engagé en partenariat avec certaines écoles.

Aujourd'hui, nous jouons pleinement notre rôle de recruteurs responsables, en essayant de sortir de ce dogme du diplôme et de l'adéquation parfaite entre le CV et les postes. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés ne réside pas tant dans la capacité des candidats à pouvoir apprendre et participer à notre entreprise, que dans notre capacité à distinguer ceux qui ont vraiment envie de le faire de ceux qui candidatent « industriellement » dans des organisations comme la nôtre. J'observe qu'il y a encore cinq ans, le nombre des candidatures n'était que de 40 000 à 45 000 par an : ce sont là les effets de la crise, même si, historiquement, les cabinets d'audit et de conseil sont de gros recruteurs.

J'en viens à votre deuxième question. Pour un jeune diplômé ou un jeune professionnel, qui a entre zéro et sept ou huit ans d'expérience professionnelle, l'innovation et l'entrepreneuriat sont deux concepts indissociables. Quand ils nous disent qu'ils ne se sentent pas capables d'innover dans notre organisation, cela revient à dire qu'ils ne pensent pas pouvoir entreprendre au sein d'une entreprise française qui, aujourd'hui, ne reconnaît pas suffisamment ce qu'ils sont capables de faire, étant donné leur parcours académique. Ils ont le sentiment d'être marqués par leur parcours d'origine, mais que cela ne sera plus le cas dès qu'ils sortiront du pays et qu'ils seront confrontés à un marché du travail où leurs diplômes, quels qu'ils soient, sont très peu connus en dehors de la France.

En outre – et ils peuvent se référer à l'expérience de leurs congénères embauchés dans les années précédentes – ils ont l'impression que nos organisations sont confrontées à une absence de flexibilité qui risque de les freiner dans certains de leurs investissements. Je vais prendre un exemple très parlant.

Notre entreprise est présente dans plus de 160 pays. Pour assister nos clients, nous avons développé une offre pour nous adapter au monde digital. Cette offre nous a permis de recruter plus de 10 000 personnes dans le monde. Elle fonctionne très bien dans tous les pays anglo-saxons. Mais répliquer cette offre en France implique d'aller chercher de la compétence à l'étranger, parce que celle-ci n'existe pas de façon aussi prégnante dans notre pays. En effet, beaucoup d'entrepreneurs de ce secteur ont commencé leur carrière à l'étranger ou sont allés développer leurs solutions à l'étranger. Par ailleurs, investir aujourd'hui à 100 % sur des compétences et des formations françaises pour construire cette offre en France nécessiterait de faire des arbitrages ailleurs dans notre organisation. Ces arbitrages auraient un coût relativement important en termes de réorganisation de notre entreprise, et le cadre légal et social actuel ne nous permet pas d'avoir cette flexibilité-là. Les candidats le savent.

Cela me ramène au constat que je faisais dans mon propos liminaire : pour investir, pour innover, il faut savoir prendre le risque de détruire ce qui nous semble ne plus avoir d'avenir. On ne peut pas courir tous les lièvres à la fois. Innover, c'est prendre un risque. Ce risque, il faut savoir le financer. Or, dans une organisation comme la nôtre, nous ne sommes pas capables de gérer tous nos portefeuilles, y compris nos portefeuilles historiques, et d'innover autant que nous souhaiterions le faire.

À votre troisième question, je répondrai de façon nuancée. D'abord, et c'est une spécificité française, il est très compliqué, pour un cadre étranger, de venir travailler en France s'il ne maîtrise pas le français – c'est un élément que l'on minore trop souvent. Même dans les groupes internationaux, il y a encore trop de collaborateurs travaillant en France qui ne sont pas à l'aise pour travailler avec un étranger qui ne maîtrise pas notre langue – soit ils n'ont pas envie de faire l'effort, soit ils ne sont pas capables de le faire. À Deloitte France, nous envoyons dans le réseau entre 150 et 200 collaborateurs, mais nous n'arrivons pas à équilibrer cette « balance commerciale ». Pourtant, nous sommes prêts à faire venir des collaborateurs qui ne maîtrisent pas la langue française et à les aider à en acquérir les bases. L'autre problème est que nous sommes une firme de prestations intellectuelles et que nous avons également besoin de l'adhésion de nos clients. Or il est difficile de proposer à nos clients français une équipe dans laquelle certains collaborateurs ne sont pas parfaitement bilingues. Ce n'est pas du tout un problème dans de nombreux pays, y compris européens. Vous pouvez parfaitement aller travailler en Italie, en Espagne ou en Allemagne sans savoir parler italien, allemand ou espagnol. L'anglais suffira. C'est moins le cas en France.

Ensuite, un certain nombre de mesures prises au cours des dernières années ont été interprétées à l'étranger – la diaspora française n'a pas toujours joué un rôle positif en la matière – et perçues par un certain nombre de cadres étrangers comme étant absolument incompatibles avec leurs valeurs et leur développement professionnel. Et donc, ils n'imaginent pas venir dans notre pays.

Je passe sur les effets de la taxe à 75 %, mais je ne peux pas m'empêcher de rappeler le mal provoqué par la circulaire Guéant, en donnant le sentiment que la France faisait preuve d'ostracisme vis-à-vis d'un certain nombre de cultures. Des cadres internationaux considèrent par ailleurs que notre pays refuse la mondialisation des échanges et ne s'inscrit pas dans une dynamique d'ouverture économique. Cela ne reflète pas ma pensée, mais les discussions que j'ai pu avoir à l'étranger. Quelle que soit la valeur des arguments utilisés, nous devons retenir que la façon dont notre pays est perçu nous cause beaucoup de tort et limite notre capacité à attirer ces talents.

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Merci, monsieur, pour votre intervention. Vous avez relevé le fait que nos jeunes, qu'ils soient diplômés ou non, cherchaient prioritairement la sécurité. Mais il y a quelques années déjà, à la question : « quel est votre souhait pour votre avenir professionnel ? » un jeune Français sur deux avait répondu : « être fonctionnaire » ! Je comprends tout à fait votre logique, mais les jeunes n'ont pas obligatoirement envie d'être au service de l'entreprise comme c'est le cas dans d'autres pays. Bien sûr, il faut gagner sa vie, mais celle-ci passe aussi par la famille, les enfants ou les sorties. Le phénomène est-il culturel ?

J'observe par ailleurs que notre pays n'arrive pas à donner leur chance à de nombreux jeunes des quartiers ou des zones rurales défavorisées. L'ascenseur social est bien en panne. Celui qui n'a pas fait une grande école, ou dont les parents n'ont pas le réseau qui leur permettra de le présenter au responsable venant de la même école qu'eux, ne trouvera ni emploi, ni même de stage. Je peux illustrer mon propos. Je suis avocat, et dans ma commune de Bourges, j'ai monté, avec des entrepreneurs locaux, une petite structure d'alerte. Nous nous étions en effet rendu compte qu'il y avait toujours trois ou quatre élèves qui restaient « sur le carreau » quand il leur fallait faire le stage de cinq jours, en entreprise ou dans un cabinet d'avocats, qui est maintenant obligatoire en classe de troisième. Il s'agissait souvent de jeunes issus de la diversité. Nombre d'entre eux ont d'ailleurs l'impression de subir une forme d'incompréhension culturelle, de racisme. Quel est votre sentiment ?

Ensuite, vous nous avez dit que 52 nationalités travaillaient au sein de votre structure. Mais est-ce qu'en France, nous proposons des rémunérations équivalentes à celles d'autres pays ? Et qu'en est-il du temps de travail ?

Vous avez dit aussi que 20 % des jeunes diplômés souhaitaient partir, et que 30 % d'entre eux souhaiteraient partir et ne pas revenir.

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Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte

27 % veulent débuter leur carrière à l'étranger, et parmi ces 27 %, 30 % d'entre eux n'envisagent pas de revenir.

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Soit 10 % de l'ensemble de ceux qui souhaitent partir, ce qui paraît très important. Mais la CCI de Paris nous a dit la semaine dernière qu'aujourd'hui, 10 % des Anglais se trouvaient en permanence à l'extérieur de leur pays. Faut-il vraiment s'alarmer du nombre des jeunes diplômés français qui n'envisagent pas de revenir, ou se dire que ce pourcentage de 10 % correspond à l'émergence d'une nouvelle génération mondialisée qui décide de tenter l'aventure ? Aujourd'hui, toutes les grandes écoles, comme Sciences Po ou HEC, prévoient, dans leur cursus, qu'une année se passera obligatoirement à l'étranger. D'autres écoles, moins prestigieuses, s'y sont mises elles aussi.

Je terminerai par quelques observations et quelques interrogations. La taxe de 75 % était peut-être dissuasive. Mais s'appliquait-elle aux personnes qui auraient pu venir travailler chez vous ? Servez-vous d'aussi hauts niveaux de rémunération ? La circulaire Guéant a peut-être également joué.

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Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte

Je suis marié, père de deux petites filles et je tiens beaucoup à garder un équilibre entre ma vie professionnelle et ma vie personnelle. Et donc, loin de moi l'idée de condamner ceux qui poursuivent cet objectif sur la durée de leur carrière ou qui mesurent leur propre réussite à l'accession à cette forme d'équilibre. Je dis seulement que la progression d'une carrière professionnelle se joue lors des premières années. Lorsque nous recrutons de jeunes diplômés, nous leur donnons la possibilité d'apprendre beaucoup, de prendre de nouvelles responsabilités et de s'ouvrir des possibilités. Ce sera ensuite à eux de décider de l'orientation qu'ils voudront donner à leur carrière professionnelle. Mais au départ, nous cherchons des collaborateurs qui ont envie de faire leurs preuves et qui, dans les premières années, considèrent que leur engagement professionnel est une priorité. Et Deloitte n'est pas la seule entreprise à fonctionner de cette façon. Je pense même que c'est la raison d'être de beaucoup d'entreprises qui ont un rôle de formation.

N'oublions pas que le turn over naturel est chez nous de 20 % par an. Cela illustre notre capacité à essaimer des talents formés, des personnes qui ont passé trois, quatre ou cinq ans dans notre organisation. Nous investissons tous les ans 7 % de notre masse salariale dans des actions de formation – ce qui est bien au-delà des obligations légales : formations théoriques, auxquelles s'ajoutent les formations pratiques dans le cadre de missions effectuées sous la direction de personnes plus expérimentées. Nous sommes un « accélérateur de carrière ». Voilà pourquoi nous privilégions les profils qui attendent de nous que nous leur donnions, lors des premières années, un maximum d'opportunités. C'est ce que font aujourd'hui de nombreuses entreprises dites « innovantes » à l'étranger. Et c'est ce qui attire de nombreux jeunes très diplômés, peu diplômés ou pas diplômés. Peu importent les diplômes. C'est une caractéristique générationnelle.

Aujourd'hui, monsieur le rapporteur, je peux admettre que les jeunes diplômés ou les jeunes expérimentés que nous recevons aient pour objectif de parvenir à une forme d'épanouissement, passant par un équilibre entre la vie professionnelle et la vie personnelle. Mais j'ai du mal à accepter que certains, à peine sortis de l'école, se préoccupent de savoir comment nos métiers s'accommodent des 35 heures, dans quelle mesure nous pouvons contribuer à leurs frais de bouche – je n'exagère pas – et si nous accompagnons un certain nombre d'actions visant à favoriser leur épanouissement au sein de l'entreprise. Je ne cherche pas à généraliser, mais je remarque qu'il y a quinze ans, ce dernier type de profils était extrêmement peu courant. Si vous interrogez d'autres recruteurs, vous obtiendrez la même réponse : il y a une attrition de la valeur travail – encouragée d'ailleurs par un certain nombre de corps académiques. Nous en avons discuté avec des patrons d'universités et d'écoles.

Sur le deuxième point que vous avez soulevé, je suis tout à fait d'accord avec vous. Voilà pourquoi, depuis maintenant cinq ans, nous avons souscrit, dans les zones défavorisées, des partenariats avec certains lycées ; je pense plus particulièrement à un lycée à Sarcelles, où nous menons des actions d'accompagnement. Nous suivons dans la durée des jeunes collégiens, puis des lycéens, et nous les aidons à apprendre les codes de l'entreprise et à naviguer au sein de la géographie académique française. Nous aidons les établissements à identifier des élèves qui, indépendamment de leur origine sociale, ont le potentiel pour intégrer nos plus belles écoles. Tous les ans, et nous nous en félicitons, nous avons des succès formidables. Nous avons réussi à accompagner des jeunes à obtenir des mentions très bien au bac ou à intégrer Sciences Po, alors même que leurs parents ne parlent pas français.

Nous considérons que nous devons contribuer à lever un certain nombre de barrières. Nous avons été une des premières entreprises en France à lancer une formation d'entreprise autour de l'éducation et de l'accompagnement de certaines populations moins favorisées pour accéder à une éducation de qualité. De la même façon, l'année dernière, nous avons engagé des discussions avec d'autres entreprises géographiquement proches de la nôtre. Notre siège étant à Neuilly-sur-Seine, nous avons discuté avec de nombreuses entreprises de la Défense pour faciliter l'accès d'un maximum d'élèves aux stages de troisième. Nous ne pouvons pas tout faire mais, en tant qu'entreprise, nous faisons en sorte d'avoir un comportement responsable.

Le troisième point que vous avez abordé portait sur les niveaux de rémunération et le temps de travail effectif, en France et ailleurs.

Aujourd'hui, chez Deloitte en France, nous recrutons essentiellement des profils bac +5 ou qui ont vocation à le devenir. Nous rémunérons ces jeunes, en fonction de leur formation et des métiers qu'ils intègrent, entre 32 000 et 42 000 euros bruts par an. Pour savoir ce que cela nous coûte au total, il suffit de multiplier la rémunération en question par 1,45. Le coût total pour Deloitte en France est le même que ce que Deloitte en Angleterre dépensera en Angleterre pour recruter des profils comparables. Sauf qu'in fine, le jeune diplômé recruté à Londres aura dans la poche entre 20 et 25 % de plus que ce que je peux lui offrir à Paris. Que choisira un diplômé de HEC, entre postuler chez Deloitte en France avec 42 000 euros de rémunération brute (soit environ 35 000 euros de rémunération nette avant impôt) et postuler à Londres, avec la même somme en rémunération nette avant impôt ? Il faut avoir de sacrés arguments humains à faire valoir pour dire à ce jeune diplômé qu'il a intérêt à commencer sa carrière à Paris plutôt qu'à Londres. Je ne peux pas être plus précis.

Un autre élément me semble très important : le mécanisme du salaire minimum existant dans notre pays est certes vertueux, mais il nous empêche d'utiliser les compétences de jeunes qui, bien que n'étant pas encore diplômés, pourraient très bien, indépendamment des schémas d'alternance, travailler parallèlement à la poursuite de leurs études. Le système fonctionne parfaitement aux États-Unis et en Angleterre, mais quasiment pas en France. Permettre aux entreprises d'utiliser à temps partiel, sans référence au SMIC, un certain nombre de compétences et donc offrir une première expérience à des étudiants avant même qu'ils soient diplômés, avant même qu'ils ne soient obligés de trouver un stage, serait un moyen de faciliter l'accès aux stages de demain et aux emplois d'après-demain.

Vous m'avez interrogé sur le temps de travail en France et ailleurs. Il est très compliqué de comparer la productivité d'un pays à un autre. Selon moi, la vraie différence tient au fait qu'en France les salariés comptent leurs heures, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays. Je n'ai pas de recette miracle à vous proposer aujourd'hui. C'est un constat qui résulte d'une évolution sociétale au cours des quinze dernières années. Je pense qu'il faudra du temps pour que la situation évolue, quelles que soient d'ailleurs les réformes que l'on pourrait imaginer.

Vous m'avez enfin demandé si je trouvais inquiétant que 10 % des jeunes qui souhaitent s'expatrier n'envisagent pas de revenir.

Encore une fois, que le nombre de jeunes qui envisagent de commencer leur carrière à l'étranger ait été multiplié par deux d'une année sur l'autre me semble une bonne chose. Je m'inquiète en revanche des raisons – cf. notre baromètre – qui poussent certains à partir. Pour l'essentiel, ce ne sont pas des raisons positives. Autrement dit, qu'il y ait en permanence 10, 15, voire 20 % d'une classe d'âge qui fassent l'expérience de l'expatriation n'est pas inquiétant. Mais que certains partent parce qu'ils ont l'impression d'y être contraints est préoccupant.

Le fait qu'ils n'envisagent pas de date de retour est une deuxième préoccupation, d'autant plus que l'on sait que la communauté des expatriés qu'ils rejoindront ne tient pas un discours positif. Vous avez cité les 10 % d'Anglais qui s'expatrient en permanence. Mais la situation est tout à fait différente : un Anglais qui s'expatrie reste extrêmement attaché à son pays et n'envisage pas d'en dire du mal.

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Sans nier le problème, je voudrais me faire l'avocat du Diable.

J'ai rencontré deux jeunes diplômés d'une école de commerce. Le premier était parti, très stimulé, à Hong-Kong, pour le compte d'une grande maison de luxe française. Après six mois de travail sous contrat local, il est rentré chez lui. Le second était parti à Toronto dans une grande entreprise. Au bout de dix-huit mois, il ne supportait plus de faire du présentéisme.

J'ai rencontré aussi trois chefs d'entreprises français de 4550 ans, installés dans le Sud des États-Unis, en Caroline du Nord, près de Charlotte. Ils ne m'ont parlé ni de l'impôt de solidarité sur la fortune, ni des 35 heures, mais ils m'ont parlé du coût de l'assurance maladie et de la scolarité dans un bon établissement outre Atlantique.

J'ai rencontré enfin un Américain qui travaillait dans l'archipel de la Sonde, pour une grande compagnie pétrolière française. Il m'a raconté que le directeur de toute la zone était polytechnicien, le directeur des sites centralien et le directeur de la plate-forme off-shore venait des Arts et Métiers. Et il s'est étonné en demandant : la France serait-elle un pays de castes ? De la même façon, quand on explique à l'étranger que les chambres de commerce offrent des salaires très élevés et un statut bien supérieur à celui de la fonction publique, les gens en restent pantois.

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Premièrement, 57 % des gens sont méfiants à l'égard des employeurs. Cela nous interpelle. Qu'en pensez-vous ?

Deuxièmement, vous avez parlé du France bashing de la diaspora. Au cours de mes missions, j'ai souvent eu l'occasion de rencontrer les membres de notre diaspora en Asie, notamment au Japon, en Chine, à Taïwan, au Vietnam, etc. Ils restent entre eux, ils sont conscients d'appartenir à un pays à forte identité culturelle. En outre, ils ont tendance à exprimer leur déception à l'égard du manque d'audace et d'esprit d'entreprise de leurs concitoyens. Avez-vous la même appréciation ?

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Ma question tourne également autour du France bashing. Concerne-t-il plutôt les jeunes ? Augmente-t-il avec l'âge et l'expérience professionnelle ? Est-il lié au niveau de vie ou aux contraintes fiscales, qui peuvent s'accroître avec la carrière et les revenus ?

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Cette question nous préoccupe parce que, lors de notre deuxième audition, nous avons entendu parler du ressentiment de la communauté française vivant à l'étranger, quels que soient l'âge et les qualifications de ses membres. Et vous venez de nous dire que cette mauvaise image de la France s'auto-alimentait. De fait, ceux qui quittent le pays parce qu'ils n'y trouvent pas de possibilités d'épanouissement rejoignent une communauté qui, elle-même, renforce ce sentiment. Vous avez remarqué qu'il faudrait du temps pour changer la situation. Mais quelle piste pourriez-vous néanmoins nous suggérer à court terme ?

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Il faudrait déjà que nous commencions par pratiquer l'autocensure. À l'intérieur de notre pays, nous avons la même tendance.

Par ailleurs, et même si je caricature vos propos, peut-on dire que ne partent que ceux qui ont envie d'entreprendre ?

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Jean-Marc Mickeler, directeur des ressources humaines du cabinet Deloitte

J'ai travaillé aux États-Unis, en Allemagne, en Asie, et je suis revenu en France, où je suis très heureux. J'y prends des responsabilités, je voyage beaucoup et je suis convaincu que nous n'avons aucune raison de rougir de ce que nous pouvons proposer, même si nous avons beaucoup de choses à améliorer.

Les médias français ont tendance à chercher – y compris dans nos études – des chiffres qui viennent alimenter le sentiment de défiance vis-à-vis de notre pays. De fait, nous avons à progresser sur de nombreux points. Par exemple, nous sommes perçus comme des gens arrogants dans les pays anglo-saxons, en Asie, et de plus en plus souvent en Europe. Voilà pourquoi je pense que tous ceux qui véhiculent la voix de la France, tous ceux qui représentent notre pays – politiques, chefs d'entreprise, artistes – devraient commencer par faire leur introspection. En effet, l'évolution de la perception que les étrangers ont de notre pays relève en partie de la responsabilité de ces personnalités. Pour ma part, l'une des plus grandes souffrances qui m'ait été infligée à l'étranger est venue du procès d'intention que l'on m'a fait d'être arrogant et de vouloir imposer mes vues. Et cela m'a amené à travailler sur moi-même.

Monsieur Le Bris, il ressort en effet de notre étude que 57 % des personnes interrogées se méfient des employeurs. Mais heureusement, ce pourcentage diminue de façon très significative d'une année sur l'autre, s'agissant de ceux qui sont en poste dans l'entreprise. La méfiance vient plutôt de ceux qui n'ont pas encore la chance d'y travailler. Le problème que nous avons aujourd'hui est d'ailleurs bien de faire franchir aux diplômés cette première marche. L'évolution me semble donc aller dans le bon sens. Mais je tiens à vous faire remarquer que toute défiance vis-à-vis du politique a une incidence immédiate sur la défiance des collaborateurs vis-à-vis du management des entreprises.

Ensuite, monsieur Sturni, le France bashing, n'est pas une question de génération. Il concerne aussi bien les jeunes expérimentés qui sont à l'étranger depuis deux ou trois ans que les personnes ayant une longue carrière d'expatriation derrière eux.

Enfin, monsieur Rodet, j'observe que ceux qui tiennent encore les discours que vous avez mentionnés tout à l'heure sont aujourd'hui très peu nombreux.

Chaque pays a ses avantages et ses inconvénients. Il est avéré que la protection sociale coûte éminemment plus cher dans les pays anglo-saxons qu'en France, qu'il est beaucoup plus compliqué d'avoir des enfants lorsque l'on est en expatriation, ou d'être en contrat local que de travailler en France. Mais les jeunes dont je parlais n'ont pas enfants, ils partent seuls et sont au début de leur carrière. Ils se « fichent » bien, s'ils vont aux États-Unis, de savoir combien leur coûtera leur protection sociale. Ils se disent que lorsqu'ils auront monté leur entreprise et qu'ils gagneront très bien leur vie, ils choisiront le niveau de protection dont ils auront besoin. J'entends ce genre d'arguments, mais je pense qu'ils pèsent de peu de poids chez les jeunes générations.

Revenons sur le France bashing. À vrai dire, je ne m'explique pas pourquoi ces expatriés scient, d'une certaine façon, la branche sur laquelle ils sont assis. Je regrette de ne pas avoir de solution immédiate à proposer, si ce n'est de faire du prosélytisme. Ceux qui, en France, ont des responsabilités managériales et côtoient régulièrement ces communautés doivent s'y employer. Cela dit, mon sentiment est que parmi les communautés expatriées au sein des grandes métropoles internationales, la moins ouverte aux impatriés et la plus mal perçue par les locaux est systématiquement la communauté française. Maintenant, moi qui ne suis pas parisien mais alsacien, j'ai remarqué, lorsque je visite mes bureaux en province, le même antagonisme entre la province et Paris que celui qui peut exister entre l'expatrié et celui qui vit en France.

Aujourd'hui, je trouve inquiétant que des cadres ne veuillent pas rester en France parce que cela ferait planer des doutes quant à leurs capacités professionnelles. Ils n'ont pas de projet, mais demandent à être envoyés l'étranger, pour ne pas perdre leur crédibilité vis-à-vis des clients et de leurs collaborateurs. C'est un discours difficile à entendre, quand vous êtes chef d'entreprise et directeur des ressources humaines d'un groupe en France. En ce domaine aussi, nous avons une responsabilité forte, sur laquelle il nous faut travailler.

Est-ce que ceux qui partent ne sont que des entrepreneurs ? Malheureusement non. Ceux qui partent sont aussi, pour partie, attirés par l'étranger parce qu'ils ne trouvent pas de poste en France. Cela me ramène à mon exemple précédent : si vous êtes coiffeur et que vous allez à Londres, vous trouverez du travail en deux jours. Et si vous êtes cuisinier et que vous allez dans n'importe quel pays européen, vous croulerez sous les offres d'emploi.

Peut-on mener des actions à court terme pour lutter contre le France bashing ? Il ne peut s'agir que de réponses individuelles. Comme je l'explique à mes équipes, nous devons les uns et les autres consacrer du temps et de l'énergie, lorsque nous voyageons, à aller à la rencontre de ceux qui adoptent une telle attitude : nous devons leur expliquer en quoi cette attitude est criminelle et leur montrer qu'ils contribuent à un phénomène de dévalorisation qui finira par se retourner contre eux, quand bien même ils décideraient de faire toute leur carrière à l'étranger.

L'audition prend fin à dix-sept heures quarante-cinq.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête sur l'exil des forces vives de France

Réunion du mardi 13 mai 2014 à 16 h 15

Présents. - M. Luc Chatel, M. Christian Franqueville, M. Yann Galut, M. Gilbert Le Bris, M. Jean-François Mancel, Mme Marie-Line Reynaud, M. Alain Rodet, Mme Sophie Rohfritsch, Mme Claudine Schmid, M. Claude Sturni, M. Jean-Marie Tetart

Excusés. - Mme Nicole Ameline, Mme Monique Rabin