Intervention de Laurence Rossignol

Séance en hémicycle du 12 juin 2014 à 15h00
Versement des allocations familiales au service d'aide à l'enfance — Présentation

Laurence Rossignol, secrétaire d’état chargée de la famille, des personnes âgées et de l’autonomie :

Madame la présidente, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur de la commission des affaires sociales, mesdames, messieurs les députés, la protection de l’enfance, au sens de la convention internationale des droits de l’enfant adoptée par les Nations unies le 20 novembre 1959, consiste à « assurer à l’enfant la protection et les soins nécessaires à son bien-être compte tenu des droits et des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres personnes légalement responsables de lui ».

Les États parties à la convention, dont la France, se sont engagés à veiller à ce que l’enfant ne soit pas séparé de ses parents contre leur gré, à moins que cette séparation ne soit nécessaire dans l’intérêt de l’enfant.

Sous les auspices de la convention internationale des droits de l’enfant, la protection de l’enfance est une question délicate. La loi du 5 mars 2007, adoptée à l’unanimité, est pour nous un socle précieux. Modifier le régime juridique de la protection de l’enfance ne peut donc, je crois, se faire qu’avec prudence et dans le plus large consensus possible. Je ne pense pas que la proposition de loi discutée aujourd’hui réunisse ces critères. Le raisonnement poursuivi par les auteurs en première lecture peut paraître, à première vue, relever du bon sens.

Il ne résiste cependant pas à la confrontation à la réalité, celle de l’état du droit, du quotidien de l’enfant confié à l’aide sociale à l’enfance et, enfin, de l’intérêt de l’enfant.

C’est à travers ces réalités concrètes que je vous invite à envisager cette proposition de loi.

Aujourd’hui, le juge peut décider, d’office ou sur saisine du président du conseil général, de ne pas verser les allocations familiales au service de l’aide sociale à l’enfance – l’ASE – lorsque la famille participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou qu’il s’agit de faciliter le retour de l’enfant dans sa famille. Les allocations, relevant de la décision du juge, peuvent être ainsi une aide à la famille mais aussi un outil de responsabilisation.

De fait, lorsqu’un enfant est confié au service de l’aide sociale à l’enfance, les parents conservent l’autorité parentale. Ils en exercent tous les attributs qui ne sont pas inconciliables avec le placement et disposent d’un droit de visite, voire d’hébergement. Dans de nombreux cas, et le juge est là pour tenir compte de ces situations, l’enfant confié revient en effet régulièrement chez ses parents, lesquels, tenus à l’obligation alimentaire, continuent d’engager des dépenses pour son entretien et son éducation.

Le placement, loin d’être permanent, est le plus souvent temporaire : il est prévu seulement pour deux ans, renouvelables, et 95 % des enfants placés ont vocation à revenir dans leur famille.

La CNAF comptabilise 50 941 familles dont l’un des enfants au moins est confié à l’aide sociale à l’enfance. Parmi ces familles, 27 945 d’entre elles maintiennent des liens affectifs avec les enfants et continuent de percevoir pour eux la totalité des prestations, y compris les allocations familiales, sur décision du juge des enfants ; 18 460 maintiennent des liens affectifs avec ces enfants et ne perçoivent plus les allocations familiales ; 4 536 ne maintiennent pas de liens affectifs et ne perçoivent plus les allocations familiales.

Ces statistiques montrent que les juges jouent bien leur rôle : ils attribuent les allocations familiales en fonction de la situation, au cas par cas. On ne peut donc affirmer que l’esprit de la loi n’est pas respecté.

Le versement des allocations permet à nombreux parents de participer effectivement à la prise en charge morale et matérielle de leur enfant et de préserver l’équilibre souvent fragile de la famille. Supprimer les allocations aboutirait alors à compromettre le paiement du loyer, des transports pour les visites, voire les repas de l’enfant passant un week-end au sein de son foyer.

Une grande partie des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance viennent en effet de familles en grande précarité économique, et le retrait systématique, ou encadré de manière excessive, sans contrôle réel et entier du juge, aboutirait inévitablement à empêcher tout maintien du lien entre les enfants et leur famille.

La défenseure des enfants, dans son rapport intitulé « Précarité et protection des droits de l’enfant », a rappelé la nécessité que les familles puissent disposer de ressources suffisantes pour maintenir des liens lors des rencontres avec leurs enfants. Elle a aussi appelé à continuer de mettre en oeuvre pleinement les principes de prévention et d’innovation de la loi du 5 mars 2007.

Le raisonnement des auteurs de la proposition de loi ne soutient ainsi pas la confrontation aux arguments de fait. Les deux articles de la proposition partent d’un diagnostic erroné et ne viennent que compliquer la tâche des juges.

L’article 1er de la proposition de loi introduit une limitation au maintien du versement aux familles à hauteur de 35 % du montant des allocations familiales. Il restreindrait le pouvoir d’appréciation du juge, contraint par ce seuil maximal, alors que les allocations familiales constituent, selon l’expression de l’association française des magistrats de la jeunesse et de la famille « un instrument de politique judiciaire » indispensable au travail de pédagogie que mène le juge avec les parents dans le but de remédier à leurs défaillances et de permettre, si les conditions sont réunies, un retour de l’enfant dans sa famille.

Le dispositif proposé à l’article 2 concernant l’allocation de rentrée scolaire viserait, lui, à supprimer, cette fois systématiquement, la marge d’appréciation du juge pour évaluer la pertinence du maintien de cette allocation.

Pour conclure, la protection de l’enfance est un sujet complexe. On ne peut agir dans l’intérêt de l’enfant qu’en tenant compte des réalités de chaque famille, en travaillant au cas par cas et en tenant compte de l’ensemble des adultes qui contribuent, autour de l’enfant, à établir des liens.

La protection de l’enfance nécessite des mesures de responsabilisation, de contrôle et d’encadrement. C’est le rôle des juges, en lien avec les services de l’aide sociale à l’enfance. Les juges des enfants prennent leur décision au cas par cas, au vu des éléments d’information émanant des services sociaux éducatifs dont ils disposent sur l’enfant et la situation de la famille.

N’ajoutons pas des normes aux normes, ne complexifions pas des dispositifs existants. Le dispositif actuel est équilibré au sens de la protection de l’enfance et c’est par ce seul prisme qu’il convient d’étudier la proposition de loi qui est soumise aujourd’hui à votre examen.

Nous sommes à la recherche constante d’un équilibre entre la protection de l’enfant, le respect de son intérêt et les droits et devoirs des parents. Si l’enfant est un sujet de droit, il nous faut construire une protection de l’enfance qui se traduise concrètement dans les politiques publiques menées sur les territoires.

L’enfance est une période majeure pour toute personne, et il nous appartient de mobiliser toutes nos compétences. J’en ai fait un axe prioritaire de mon ministère. Je n’ai donc pas pour projet de ne rien retoucher au régime législatif de la protection de l’enfance, mais je vous invite à le faire sereinement, dans le consensus et dans un cadre global qui ne peut être celui de cette proposition de loi.

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