Intervention de Gilles Lurton

Séance en hémicycle du 12 juin 2014 à 15h00
Versement des allocations familiales au service d'aide à l'enfance — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGilles Lurton, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui a été rejetée la semaine dernière par la commission des affaires sociales à l’issue d’un débat animé, voire houleux, pendant lequel, à mon grand regret, il a été impossible de faire émerger un consensus.

Quel contraste avec les débats qui ont eu lieu au Sénat et qui ont permis une collaboration fructueuse entre les groupes UMP et socialiste sur la prise en charge des enfants confiés par le juge au service de l’aide sociale à l’enfance !

Quel contraste aussi entre le discours tenu ici, à l’Assemblée nationale, et la réalité quotidienne du terrain vécue principalement par les conseils généraux. N’est-ce pas le Président de la République lui-même, qui, le 22 octobre 2012, a exprimé à Claudy Le Breton sa bienveillance sur ce sujet ?

Cette réalité quotidienne, le Sénat dans son immense majorité en a pris conscience : une proposition, déposée à l’initiative de Christophe Béchu et de Catherine Déroche, a ensuite été modifiée en commission et reprend, in fine, les dispositions d’une proposition de loi socialiste déposée par le sénateur Yves Daudigny.

Cette prise de conscience, madame la ministre, repose sur un principe : les allocations familiales, et c’est bien leur objet, doivent permettre de subvenir aux besoins des enfants pour qui elles sont versées, et elles ne sauraient avoir d’autre vocation. C’est le sens même de l’article L. 521-2 du code de la Sécurité sociale : « Les allocations sont versées à la personne qui assume, dans quelques conditions que ce soit, la charge effective et permanente de l’enfant. »

Quand le juge décide d’un acte aussi fort que celui de retirer un enfant à sa famille pour le confier à l’aide sociale à l’enfance, c’est inévitablement qu’il existe un problème grave et que toutes les mesures sociales proposées en amont ont échoué. Il est donc essentiel de se poser la question du financement de la prise en charge de ces enfants.

Cet aspect du problème ne peut pas être balayé d’un simple revers de la main comme une préoccupation mesquine des conseils généraux alors que l’état de nos finances publiques est en permanence au coeur de nos débats.

J’ai entendu dire qu’il s’agissait de sommes dérisoires et que le Sénat aurait légiféré sans connaître la réalité des chiffres. Je peux néanmoins répondre que, d’après les données qui m’ont été transmises par la Caisse nationale d’allocations familiales, il s’agirait, au bas mot, de 2,5 millions d’euros par mois.

Au-delà des chiffres, est-il normal d’accepter que ces sommes puissent être utilisées par des parents défaillants, même si ces derniers ne sont pas nécessairement maltraitants, à d’autres fins que le bien-être des enfants auxquels elles sont pourtant destinées ? C’est bien là l’enjeu des débats que nous avons aujourd’hui et je regrette les caricatures qui en ont été faites.

En taxant cette proposition de loi de texte moralisateur, culpabilisant et stigmatisant pour les familles, votre majorité va à l’encontre du principe du versement des allocations familiales au service de l’aide sociale à l’enfance, principe introduit dans le code de la Sécurité sociale par une loi de 1986 présentée à l’époque par le gouvernement de M. Laurent Fabius. Les auteurs de la proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui, Christophe Béchu et Catherine Deroche, ne sont donc pas à l’origine de cette disposition. Bien au contraire, ils ont cherché à revenir à l’esprit initial du texte, pour lequel le maintien du versement des allocations familiales à la famille doit être une exception.

Nier ce principe, c’est sous-estimer l’importance, notamment symbolique, que représente la décision de maintien ou de retrait prise par le juge. Cette décision, je l’ai dit, intervient dans un contexte conflictuel, où l’enfant est considéré comme en danger et où le juge doit trouver les moyens d’imposer ses exigences à la famille en vue d’un retour le plus rapide possible de l’enfant dans son foyer.

Tel est, mes chers collègues, l’intérêt supérieur de l’enfant, celui qui m’a guidé dans toute ma réflexion. Protéger l’enfant et rechercher toutes les conditions pour lui permettre un retour au foyer, ce doit rester notre objectif ultime.

Il n’est donc pas question, comme je l’ai entendu, de punir les familles. Il est simplement question de trouver un juste équilibre entre un principe et une exception, entre juste allocation des ressources et préservation des liens familiaux, dans l’intérêt de l’enfant.

Je suis d’ailleurs convaincu que le maintien des liens matériels et affectifs entre la famille et l’enfant placé reste primordial. Le maintien des allocations familiales pour des ménages souvent en situation de grande précarité peut contribuer au maintien de ces liens, en permettant d’organiser un accueil temporaire, de participer à l’entretien de l’enfant, de garder tout simplement le budget familial à flot. C’est un fait incontestable.

Est-il pour autant dans l’intérêt de l’enfant que, dans la majorité des cas, 55 % pour être précis, la part des allocations familiales qui lui sont destinées soit maintenue au bénéfice de la famille sans aucun contrôle, la plupart du temps, sur leur utilisation ?

Les juges le reconnaissent eux-mêmes : si les allocations familiales constituent généralement un outil de négociation avec les familles lors du placement, la question de leur maintien ou de leur retrait n’est pas posée de façon systématique. La présidente de l’association française des magistrats de l’enfance et de la famille estime que les juges s’intéressent rarement à la gestion concrète des sommes ainsi laissées à la famille et ordonnent très peu de mesures d’aide à la gestion du budget familial.

Dans ce contexte, il est logique que les conseils généraux fassent valoir qu’ils pourraient, quant à eux, mettre à profit ces sommes pour des dépenses concrètes en faveur des enfants placés, avec, par exemple, une revalorisation des frais d’habillement ou de loisirs alloués aux familles d’accueil.

Il en est de même pour l’allocation de rentrée scolaire, qui, aujourd’hui, je le rappelle, est systématiquement versée aux familles, sauf dans une minorité de cas où les caisses d’allocations familiales, alertées par les services de l’aide sociale à l’enfance de l’absence de tout lien affectif ou matériel entre les parents et l’enfant, en suspendent le versement.

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