Intervention de Marie-Françoise Clergeau

Séance en hémicycle du 12 juin 2014 à 15h00
Versement des allocations familiales au service d'aide à l'enfance — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMarie-Françoise Clergeau :

Telle est la réalité judiciaire.

Aujourd’hui, l’Assemblée nationale doit aussi se prononcer en connaissant la réalité familiale. Et cette réalité vient, là encore, contredire les propos tenus lors des débats au Sénat. Il est faux de dire que le département supporte toutes les charges. Dans la réalité, il ne les supporte ni entièrement, ni de façon continue. En effet, 95 % des enfants placés ont vocation à revenir dans leur famille, ce qui signifie que leurs parents ont des droits de visite. Ces derniers continuent donc à engager des frais pour leurs enfants. Ils demeurent aussi dans le même logement avec les mêmes charges fixes.

Si l’on veut rétablir un bon exercice de l’autorité parentale dans l’esprit de la loi de 2007 relative à la protection de l’enfance, les parents doivent pouvoir continuer à participer aux achats pour leur enfant. Les vêtements sont particulièrement importants, mais aussi les transports lors des droits de visite pendant la durée du placement, les activités partagées de loisirs ou la réorganisation matérielle de l’appartement en vue du retour. Ce qui vaut pour les allocations familiales vaut également pour l’ARS. Son versement automatique au département aurait pour seule conséquence d’évincer les parents, sans jamais les aider à prendre conscience de leur responsabilité.

La proposition qui nous est soumise aujourd’hui est donc inutile, motivée essentiellement par un souci d’économie, et elle ne sert pas l’intérêt de l’enfant.

Elle est d’abord inutile puisque, comme je l’ai dit, l’article L. 521-2 du code de la Sécurité sociale prévoit déjà que le juge peut décider le maintien des allocations à la famille, lorsque celle-ci participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant ou en vue de faciliter le retour de l’enfant dans son foyer.

Ensuite, cette proposition de loi est motivée par un souci d’économie en faveur des départements. Les sénateurs ayant participé aux débats ont ainsi extrapolé des montants d’économies pour les services des départements que d’ailleurs, souvent, ils présidaient, sans opérer aucune consolidation nationale.

Ce souci d’économie se lit surtout à l’article 2 relatif à l’allocation de rentrée scolaire. En effet, cet article ne concerne pas seulement les enfants placés sur décision du juge, comme le laisse penser le titre de la proposition de loi, mais tous les enfants confiés aux services du département, y compris donc ceux placés à la demande des familles qui veulent maintenir un lien avec leur enfant, et auxquelles, si ce texte était adopté, l’ARS serait quand même supprimée !

De plus, l’ARS étant une aide attribuée sous conditions de ressources et en fonction du nombre d’enfants à charge, quel pourrait bien être le sens des « conditions de ressources » pour une institution publique comme le département ? Il résulterait des dispositions de cet article 2 qu’une somme lui serait versée sur la base des revenus d’une famille !

D’autres difficultés devraient être surmontées. Par exemple, comment garantir que les recettes nouvelles pour les départements seront bien fléchées vers les seuls enfants pour lesquels ils les reçoivent ?

Enfin, cette proposition de loi ne sert pas l’intérêt de l’enfant. Comme je l’ai indiqué, les allocations familiales sont, pour les services sociaux et les juges, des outils de dialogue avec les familles qui veulent continuer à exercer leur autorité parentale et maintenir un lien avec leur enfant.

Ce lien suppose qu’elles disposent de quelques ressources. En effet, les familles concernées sont souvent en situation de précarité et parfois composées de parents isolés. Rappelons que 80 % des enfants placés viennent de familles en grande précarité économique. Dans son rapport de 2010, intitulé « Précarité et protection des droits de l’enfant », la Défenseure des enfants préconisait qu’en cas de placement, il fallait même aller au-delà de la loi actuelle et « garantir le maintien automatique des allocations familiales lorsque les revenus des parents sont en-dessous d’un certain seuil, afin de ne pas laisser ce maintien à la seule bonne volonté du juge et de la CAF et que les parents puissent disposer de ressources suffisantes pour maintenir des liens lors des rencontres avec leurs enfants. »

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