Intervention de Linda Gourjade

Séance en hémicycle du 12 juin 2014 à 15h00
Versement des allocations familiales au service d'aide à l'enfance — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaLinda Gourjade :

Madame la présidente, madame la secrétaire d’état, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, cette proposition de loi « relative au versement des allocations familiales et de l’allocation de rentrée scolaire au service d’aide à l’enfance lorsque l’enfant a été confié à ce service par décision du juge », a pour objet de permettre aux conseils généraux de percevoir le montant des allocations familiales et de rentrée scolaire, au motif qu’ils assurent la prise en charge effective d’un enfant confié au service de l’aide sociale à l’enfance.

Les auteurs de la proposition de loi estiment que ces allocations doivent bénéficier en priorité à la collectivité, en contrepartie de la charge qu’elle supporte, sans tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant.

L’objectif affiché est – j’emploie ce terme avec des guillemets – de « moraliser » le dispositif en ciblant le fait que – je cite – « les placements sont le plus souvent motivés par des faits de maltraitance, de carence et de négligence ».

Dans le même état d’esprit, la proposition de loi pose le principe selon lequel l’allocation de rentrée scolaire, versée aux familles sous condition de ressources, devrait être versée à l’aide sociale à l’enfance pour compenser la totalité des dépenses des départements liées à la scolarisation et, ainsi, éviter – je cite à nouveau – « l’utilisation injuste de ce dispositif par les familles. »

Pour dépasser cette vision réductrice de la protection de l’enfance, telle qu’elle est exprimée par cette proposition de loi, il me semble bon de rappeler les dispositifs en vigueur.

Cette proposition de loi est à contre-courant de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Élaborée au terme d’une très large concertation, cette loi poursuit trois objectifs : renforcer la prévention, améliorer le dispositif d’alerte et de signalement et diversifier les modes d’intervention auprès des enfants et de leur famille. Plaçant au coeur du dispositif l’intérêt de l’enfant, elle a aussi pour ambition de renouveler les relations avec les familles.

Lorsqu’un enfant est confié à l’aide sociale à l’enfance dans le cadre d’une ordonnance de placement provisoire, le magistrat évalue dès la première audience la situation de l’enfant dans le contexte familial. Il dispose, le plus souvent, d’un rapport d’évaluation détaillé de l’aide sociale à l’enfance pour étayer son analyse.

Le versement des allocations familiales à la famille est maintenu lorsque que cette dernière participe à la prise en charge morale ou matérielle de l’enfant, ou en vue de faciliter son retour dans le foyer familial. Dans le cas inverse, les allocations familiales sont versées à l’aide sociale à l’enfance. Le magistrat décide d’office lors de l’audience ou, lorsque le placement est en cours, sur saisine du président du conseil général.

En ce qui concerne l’allocation de rentrée scolaire, son versement à la famille est interrompu lorsque l’enfant est placé, si les services de la protection de l’enfance indiquent à la caisse compétente qu’aucun lien matériel ou affectif ne subsiste avec la famille.

Aujourd’hui, les juges des enfants maintiennent les prestations aux familles dans un cas sur deux.

Comme vous le savez, les prestations familiales sont indispensables pour permettre aux familles les plus modestes, les plus démunies, de prendre en charge l’enfant, même si le temps d’accueil et la prise en charge familiale semblent minimes dans le cas où une ordonnance de placement provisoire est prononcée.

Les magistrats, comme les services de l’aide sociale à l’enfance, connaissent cette problématique et en tiennent compte dans le travail engagé auprès des familles.

La loi du 5 mars 2007 a fait évoluer un certain nombre de prestations en direction des enfants et de leur famille. Elle a notamment introduit l’accompagnement en économie sociale et familiale et la mesure judiciaire d’aide à la gestion du budget familial, en lieu et place de la mesure de tutelle aux prestations sociales à l’enfance.

La première de ces deux mesures constitue le préalable nécessaire à la mise en oeuvre de la seconde. Toutefois, elles poursuivent toutes deux une même finalité : répondre aux besoins de l’enfant tout en menant une action éducative auprès de la famille, dans l’intérêt de l’enfant.

Le juge peut décider de mettre en place une mesure de tutelle aux prestations familiales, lorsque ces prestations ne sont pas utilisées pour les besoins liés à l’entretien du ou des enfants. Concrètement, les prestations ne sont plus versées directement aux familles, mais à une tierce personne – le « délégué aux prestations familiales » –, qui décide avec les parents de leur utilisation en fonction des besoins de l’enfant. Cette mesure est d’une durée de deux ans maximum ; elle est renouvelable.

Toutefois, des outils restent à préciser dans le cadre de l’accompagnement budgétaire, en particulier la possibilité d’utiliser le versement partiel des allocations familiales aux parents ou à l’un d’eux pour favoriser la prise en charge financière des retours très courts au domicile. La prochaine loi de financement de la Sécurité sociale pourrait être une porte d’entrée pour améliorer les dispositifs actuels.

La proposition de loi en discussion, défendue au Sénat, notamment, par le président du conseil général de Maine-et-Loire, Christophe Béchu, ne s’inscrit pas dans la réalité des dispositifs existants mais participe à la stigmatisation des familles dont les enfants sont placés.

À juste titre, ATD Quart Monde a dénoncé une « confiscation » des prestations familiales qui pourrait – je cite – « mettre en péril le retour des enfants confiés à l’aide sociale à l’enfance ». Cette même association ajoute que « confisquer les allocations, c’est fragiliser la famille, compromettre parfois le paiement du loyer, le transport pour leur rendre visite, la possibilité de nourrir leurs enfants quand ils les reçoivent le week-end, le maintien du lien par l’achat du cartable à la rentrée, et caetera. »

Dans le cadre de la modernisation de l’action publique, une évaluation de politique publique est en cours sur les questions de gouvernance de la protection de l’enfance et sur la qualité et l’efficience de la réponse coordonnée apportée aux besoins des enfants et de leur famille. Elle permettra, sans aucun doute, de nourrir une nouvelle réflexion pour continuer à améliorer les dispositifs législatifs actuels.

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