Intervention de Geneviève Gaillard

Réunion du 10 juin 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGeneviève Gaillard, rapporteure :

Chacun ici connaît l'état de la biodiversité dans le monde. En France, nous avons constaté en 2010 l'échec de la stratégie ayant visé à en enrayer l'érosion. Les espèces et les habitats terrestres, aquatiques et marins sont quotidiennement soumis à la pression de nos activités et mis en péril. En 1992, la conférence de Rio avait tiré la sonnette d'alarme et ce, malgré les mesures déjà prises à titre conservatoire dans plusieurs pays, dont la France. Nous devions tous faire le maximum pour préserver et reconquérir cette biodiversité. Malheureusement, les écosystèmes continuent aujourd'hui de se dégrader au point de compromettre la vie des générations futures.

Préserver la biodiversité ne consiste pas seulement à protéger de petites bêtes et leur habitat en empêchant les hommes de faire ce qu'ils veulent. Certes, cela suppose que l'on accorde à la nature une valeur en soi, déconnectée de tout lien anthropocentrique – puisque nous ne sommes, après tout, qu'une espèce parmi d'autres. Mais si la biodiversité importe tant, c'est aussi en raison des services rendus par la nature à l'espèce humaine – services que nous avons le devoir de préserver. Aujourd'hui, quelques apprentis sorciers nous expliquent que l'homme pourra toujours rendre lui-même ces services et qu'il vaudrait donc mieux s'affranchir du devoir de protéger la nature : cela nous permettrait, selon eux, de dégager un profit économique bien meilleur et nous éviterait d'autolimiter nos activités, dans une période de crise où il est indispensable de créer des emplois, de réorienter nos modes de production et de consommation et de soutenir la recherche et l'innovation. Le Président de la République a cependant bien compris l'importance de la biodiversité, lui qui s'est engagé fortement en faveur d'un texte devenu indispensable. En effet, bien que fondatrice, la loi de 1976 relative à la protection de la nature ne correspond plus forcément aux attentes de la société ni aux connaissances accumulées au cours de ces dernières décennies.

Salué par la plupart des acteurs, ce projet de loi promeut une biodiversité moins patrimoniale et plus dynamique, perçue dans toutes ses composantes – terrestre, aquatique et marine – et dans ses dimensions tant ordinaire que remarquable. La France est en effet riche de ces deux formes de biodiversité, notamment grâce à ses territoires ultramarins qui méritent d'être soutenus, encouragés et aidés dans leurs actions pour les conserver et les mettre en valeur. Ce texte tend donc à promouvoir une image moderne de la protection de la nature et à populariser la connaissance de la biodiversité afin de susciter un élan fort au service de sa préservation, en favorisant la collecte citoyenne et contributive de données. Il crée de nouveaux outils pour mieux prendre en compte sa restauration. Enfin, il vise à transcrire dans notre droit positif le protocole de Nagoya qui réglemente l'accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées en matière de recherche et de développement. Mais précisément parce qu'il est très attendu, ce texte pourrait décevoir et ne pas atteindre ses objectifs si nous ne l'améliorons pas dans plusieurs domaines.

Le projet de loi comporte six titres.

Le premier introduit la biodiversité dans le code de l'environnement en tenant compte des évolutions fondamentales que nos sociétés modernes ont connues grâce au travail de recherche approfondi mené par tous les acteurs depuis plusieurs années. Il consacre la stratégie nationale et les stratégies régionales de la biodiversité et promeut la séquence « éviter, réduire, compenser », déjà connue de tous. Si le volet « compensation » de cette séquence est encore mal défini, nous ne devrons l'envisager que comme une ultime étape, pour les acteurs publics aussi bien que privés. En effet, notre objectif doit être d'éviter et de réduire les atteintes portées aux écosystèmes par tout projet – ainsi que la directive européenne du 16 avril 2014 nous y invite.

Au cours de l'examen de ce texte, nous proposerons des outils de compensation sans toutefois financiariser les services rendus par la nature et la biodiversité. Nous introduirons le principe de solidarité écologique, dont vient de parler Mme la ministre : je ne doute pas que nos discussions nous conduiront à cerner les contours de ce concept consubstantiel à toute politique intégrée de préservation et de restauration de la biodiversité. Enfin, je proposerai des amendements afin d'introduire dans notre droit le principe de non-régression.

Le titre II concerne la gouvernance de la biodiversité, qui s'appuiera sur un système bicéphale, constitué du Comité national de la biodiversité – instance sociétale qui remplacera le Comité national « trames verte et bleue » (CNTVB) – et du Conseil national de protection de la nature (CNPN), qui demeurera une instance d'expertise scientifique. Il nous restera à clarifier le rôle du Conseil scientifique du patrimoine naturel et de la biodiversité (CSPNB). Comment le travail de cette instance s'articulera-t-il avec la nouvelle mission du CNPN ? Comment assurer la transition opérée par cette réforme en limitant les redondances entre ces différentes instances et en préservant le rôle joué par les bénévoles, dont il faut saluer l'engagement ?

Le titre III concerne la création d'un nouvel opérateur, l'Agence française de la biodiversité, qui fédérera plusieurs institutions existantes. Ce progrès très attendu par tous les acteurs nous permettra de disposer d'un interlocuteur privilégié non seulement sur le plan international, mais aussi pour appliquer notre stratégie nationale et pour aider les collectivités locales à s'impliquer fortement dans la dynamique que j'ai décrite.

Ce projet ambitieux souffre malheureusement de lacunes, notamment en ce qui concerne le périmètre de l'agence : la non-intégration en son sein de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), qui s'explique par le choix politique des chasseurs, reste problématique. Pourtant, les agents de cet établissement public, parce qu'ils oeuvrent tous les jours en faveur de la biodiversité terrestre dans leur mission d'expertise et de police, ont toute leur place dans cette agence, qu'ils souhaitent rejoindre comme j'ai pu le constater lors de mes auditions. J'ose espérer que les positions pourront évoluer à la faveur du débat parlementaire. En attendant, une agence de la biodiversité ne peut accorder à la biodiversité terrestre une part si faible sans que nous proposions d'en modifier le nom initialement prévu par le projet gouvernemental. Cette absence, source de déséquilibres, choque tous les acteurs, y compris votre rapporteure.

Notre deuxième sujet d'inquiétude concerne le statut des personnels qui animeront cette nouvelle agence. Depuis des années, des promesses leur sont faites mais rien ne semble avoir progressé. La réforme étant pourtant prête, cette difficulté devra être levée lors de la création de l'agence si l'on souhaite la voir commencer à travailler dans de bonnes conditions. Quand procéderez-vous à la nomination, désormais urgente, d'un préfigurateur opérationnel ?

Enfin, nous souhaitons des réponses à trois autres interrogations : qu'en sera-t-il tout d'abord des moyens de cette agence ? Les crédits du programme 113 seront-ils accrus de manière à lui permettre de remplir son rôle ? D'autre part, comment son action s'articulera-t-elle avec celle des réseaux de terrain ? La biodiversité n'étant pas qu'une affaire nationale, sa protection ne saurait être conçue comme exclusivement centralisée : elle relève aussi – et peut-être surtout – des collectivités, des entreprises, des bénévoles et des réseaux territoriaux. Or cette déclinaison reste quelque peu floue. Enfin, telle qu'organisée dans le projet, la gouvernance de l'agence pourrait suggérer une volonté de recentralisation : pourquoi la composition de ses instances est-elle si favorable à l'État ?

Le titre IV de la loi a trait à l'accès aux ressources génétiques et aux connaissances traditionnelles associées. Tandis que la France a signé le protocole de Nagoya, l'Union européenne vient d'adopter un règlement visant à imposer à tout utilisateur européen de ressources génétiques ou de connaissances traditionnelles associées de respecter les législations nationales relatives au partage juste et équitable des avantages des pays fournisseurs. Notre pays a la chance d'être très riche en biodiversité et, véritable originalité, d'être à la fois utilisateur et fournisseur de ces ressources et de leurs savoirs associés. Afin de poser des règles d'accès et de partage de ces avantages, le Gouvernement propose un dispositif équilibré tenant compte du paysage international, de l'exceptionnelle richesse de notre pays et des enjeux en matière de recherche et de compétitivité économique de secteurs tels que la cosmétique ou les industries pharmaceutique et alimentaire. Ce dispositif, visant à instituer un cercle vertueux et qui comporte plusieurs volets, est certes attendu par les outre-mer, mais peut aussi inquiéter dans la mesure où, arrêtant un ensemble de principes, il aura à être précisé par de nombreux textes réglementaires.

Le titre V, qui traite des espaces naturels et de la protection des espèces, comprend toute une série de mesures telles que la consolidation des outils juridiques à la disposition des parcs naturels, l'amélioration de l'encadrement des activités pratiquées sur le plateau continental, l'extension des prérogatives reconnues au Conservatoire du littoral et le durcissement des sanctions pour certaines infractions, mais surtout la création d'obligations réelles environnementales et la définition de zones de conservation halieutique et de zones soumises à contrainte environnementale – dont nous vous proposerons d'ailleurs de changer le nom. Tout cela va dans le bon sens, mais ce même titre comporte, en outre, des habilitations à légiférer par voie d'ordonnances sur des sujets importants : pourrions-nous connaître le contenu de ces textes ? Les parlementaires n'apprécient guère le recours à ce procédé, qui peut se révéler contreproductif et contraire aux volontés populaires. De plus, tous les domaines visés ne nous semblent pas techniques au point de justifier que le Parlement soit privé de son rôle.

Enfin, le titre VI consacre les paysages, dans le cadre départemental, comme élément constitutif d'une biodiversité évolutive. Il énonce aussi des objectifs de qualité paysagère. Nous veillerons cependant à rendre peut-être plus objective la définition des paysages, notion qui confine parfois au culturel, voire au poétique, et qu'il est donc difficile de transcrire en termes juridiques.

Des interrogations fortes, voire des oppositions, demeurent en ce qui concerne la réforme des sites inscrits : la suppression de la procédure d'inscription ne nous semble pas pertinente, même si nous reconnaissons la nécessité d'opérer un toilettage en ce domaine, car le dispositif, lourd et complexe, mérite d'être assoupli et il convient aussi de lutter contre la superposition des protections. Pourriez-vous, madame la ministre, nous assurer que l'inscription des sites sera maintenue, compte tenu des formidables résultats obtenus grâce à la loi de 1930 ?

Afin d'assurer une bonne articulation entre les compétences des différents niveaux de collectivités, il convient d'anticiper la réforme. Si le choix du niveau régional – et du niveau « mégarégional » à venir – semble cohérent avec la géographie des bassins versants et l'échelle hydro-écologique, il importe de prévoir la création d'un guichet à l'échelon départemental sans négliger le rôle des préfets. En effet, la préservation et la valorisation de la biodiversité et son intégration dans les politiques publiques est, in fine, une affaire de proximité.

L'optimisation de l'exercice des missions de police de l'environnement est sans doute un enjeu sous-estimé, même si une réflexion sur le sujet a récemment été commandée. Expérimentation intéressante et efficace, la constitution de services mixtes outre-mer est un exemple démontrant qu'il est possible que des pouvoirs de police de l'environnement soient exercés conjointement par des agents de l'ONCFS, de l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques (ONEMA), des parcs nationaux et des collectivités. Ensemble, ceux-ci pourraient faire respecter la réglementation avec un gain opérationnel évident.

Nourri de bonnes intentions et riche de certaines innovations, ce projet de loi doit nous permettre d'optimiser nos moyens et de renforcer l'efficacité et la cohérence de notre action. Les attentes à son égard sont fortes sur le terrain, mais je suis sûre, madame la ministre, qu'au terme de nos travaux, nous pourrons adopter cette loi avec beaucoup de conviction.

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