Intervention de Serge Letchimy

Réunion du 10 juin 2014 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSerge Letchimy :

Si je voulais commencer par une petite provocation, je dirais que c'est la première fois que je vois une telle affluence dans une réunion de commission où il est question de l'outre-mer – mais je m'en abstiendrai ! (Rires.)

L'outre-mer concentre 80 % de la biodiversité nationale et assure à la France 97 % de son domaine maritime, ce qui n'est pas rien quand on lie biodiversité marine et biodiversité sous-marine. La biodiversité au kilomètre carré y est également mille fois supérieure à celle de l'Hexagone. C'est dire, madame la ministre, l'importance que nous accordons à ce projet que nous regardons, nous, comme un grand texte. Je ne sais pas si nous allons réussir à l'améliorer pour le rendre, selon le souhait de notre rapporteure, encore plus ouvert et beaucoup plus structuré : nous verrons cela, mais je vous fais confiance.

À propos de nos pays, on met souvent en avant des termes tels qu'assistanat, dépendance, non-développement, justifiant des mesures spécifiques d'exonération ou de défiscalisation. Mais si nous devons nous occuper de cette question du vivant, ce n'est pas par égoïsme et par attention particulière portée à notre pré carré. Nous devons surtout le faire parce qu'elle se pose à l'échelle mondiale, en raison des changements climatiques et des mutations écologiques et énergétiques, ce qui nous impose de renouveler notre conception de la croissance et du développement en nous fondant sur l'écologie comme donnée de base. C'est cela qui est important : changer de modèle dans nos pays.

Dès lors, puisque telle est la base sur laquelle nous pourrions nous réconcilier avec notre propre milieu, avec notre propre nature et nous ouvrir un espace de développement par la connaissance et la résilience, et en nous ménageant des espaces de recherche en concertation avec notre environnement géographique, pourquoi n'y a-t-il pas une déclinaison locale extrêmement efficace de l'Agence française pour la biodiversité ?

Vous ne pouvez pas déconnecter la question qui nous occupe de celle de l'ingénierie locale. Je suggérerais volontiers de créer, dans chaque bassin transfrontalier d'outre-mer – océan Indien, océan Pacifique et océan Atlantique – des déclinaisons de cette agence, de telle sorte que l'ingénierie et le financement soient en adéquation avec les besoins de connaissance, de valorisation et de protection de la biodiversité.

Ma deuxième préoccupation rejoint celle de ma collègue Chantal Berthelot : il s'agit des communautés d'habitants. Nous avons débattu et beaucoup travaillé pour que ce soient les collectivités locales qui donnent accès aux recherches et à la valorisation commerciale. Mais, s'agissant des connaissances traditionnelles, vous avez créé ce concept de « communauté d'habitants », qui va se substituer à la notion de « communauté autochtone et locale », ce qui me semble présenter un risque extrêmement important. Vous allez réduire la communauté autochtone à certains espaces géographiquement situés, en donnant un sens anthropologique assez paradoxal, pour ne pas dire plus, à l'évolution de ces sociétés. Il y a cependant des connaissances et des usages qui ne sont pas nécessairement liés à une communauté autochtone, mais qui se rapportent au vécu d'une population en lien avec sa propre histoire.

Si nous ne revoyons pas la définition de la communauté d'habitants pour nous assurer le droit de protéger nos usages et nos richesses, de les valoriser et d'en tirer un profit à réinvestir dans des filières économiques dynamiques, notamment autour de la pharmacopée et de la cosmétique, nous perdrons une chance incroyable d'offrir à l'outre-mer d'autres perspectives de développement que la consommation ou l'importation massives.

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