Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, chers collègues, nous entamons la discussion du projet de loi sur la réforme ferroviaire dans un climat social difficile, mais compréhensible. En effet, le monde change, et le service public, tel qu’il a été structuré au sortir de la guerre grâce à un consensus rassemblant de Gaulle, Blum et Thorez, n’a plus le même sens en 2014. La crise interne que vivent les cheminots et la SNCF, comme les débats sur l’école ou la poste, reflète les inquiétudes de la société face à un monde en pleine mutation. Mais c’est justement pour répondre à ces inquiétudes que nous allons voter ce projet de loi.
La SNCF de 1946 a permis un accès très large à des services assurant la satisfaction des besoins essentiels. Il était alors clairement indiqué que ces services publics, pris en charge par des entreprises publiques, apporteraient des garanties à leurs personnels. La place singulière du chemin de fer était due au fait que ni l’avion ni la voiture n’étaient alors généralisés. À cette époque, le service public répondait à une « ardente obligation » – pour reprendre l’expression du général de Gaulle –, celle de la survie économique du pays.
Aujourd’hui, l’apparition de la concurrence, la notion d’efficacité économique, l’obligation de rendre des comptes et la pression des contribuables nous obligent. De plus, deux dimensions géographiques sont apparues : la décentralisation, qui a fait une place importante aux régions – sans vraiment aboutir pour autant – ; et bien sûr l’Europe, qui a remis en cause les monopoles nationaux.
Une première rupture a eu lieu en 1997 avec la séparation des activités entre RFF et la SNCF, mais force est de constater qu’elle s’est avérée destructrice. La nouvelle organisation est une usine à gaz dont les effets confinent à l’absurde : il suffit d’évoquer les gares qui appartiennent à la SNCF à l’exception de leurs quais et de leurs verrières, possessions de RFF ; ou encore les péages dont s’acquitte la SNCF, qui ne suffisent pas à couvrir les coûts assumés par RFF.
Dix-sept ans plus tard, la réforme dont nous allons discuter est donc absolument nécessaire, d’autant que le système ferroviaire est dans l’impasse, confronté notamment à une dette de plus de 33 milliards d’euros qui l’oblige à payer chaque année 1,5 milliard d’euros d’intérêts. Le projet de loi répond aux réalités d’aujourd’hui, car nous voulons à la fois solidifier le service public, sauver notre patrimoine national, revenir sur la loi de séparation – vécue comme une manière de cantonner la dette – et suppléer les défaillances de l’État, qui a privilégié les lignes à grande vitesse au détriment du réseau historique.
Comme notre rapporteur, Gilles Savary, qui a une longue expérience du sujet – nous connaissons les travaux qu’il a accomplis en tant que député européen – l’a excellemment démontré il y a deux semaines en commission des finances, nous sommes d’ores et déjà en mesure de résoudre un certain nombre de difficultés. Le projet nous montre par ailleurs un chemin, c’est-à-dire le cadre législatif sur lequel nous nous appuierons au fil du temps, notamment en matière financière. Ainsi, SNCF Réseau ne pourra plus s’endetter au-delà d’un certain niveau.
Mais je voudrais souligner quelques points qui me tiennent à coeur.
Tout d’abord, et contrairement à ce que j’ai pu entendre, ce texte est issu d’un travail participatif, les Assises du ferroviaire, et de la négociation avec les syndicats.
Ensuite, la réunification de Réseau ferré de France et de la Société nationale des chemins de fer français est une bonne chose. En la réalisant, nous donnons certes satisfaction aux cheminots qui ont toujours dénoncé la séparation, mais surtout nous imposons, aux côtés de l’Allemagne, un nouveau modèle : celui de l’entreprise verticalement intégrée et incarnée par le statut d’EPIC.
Enfin, le statut des cheminots n’est pas remis en cause, comme en atteste le premier alinéa de l’article 12. Le projet de loi pose en effet les bases juridiques de la négociation, entre patronat et syndicats, d’une convention collective de branche destinée à éviter le dumping social entre les entreprises du ferroviaire, qui sont – ne l’oublions pas – une trentaine aux côtés de la SNCF. Cette gestion unifiée des ressources humaines représente une véritable avancée pour les salariés les moins protégés.
J’en terminerai avec la question de la régionalisation. Depuis la réforme de 2002, les conseils régionaux ont été fortement impliqués dans la modernisation des réseaux, au point que les TER représentent désormais, avec la formation professionnelle et l’éducation, l’un des premiers postes budgétaires dans ces collectivités. Les discussions en commission ont permis de prévoir la présence des régions au conseil d’administration de SNCF Réseau ; j’espère qu’à la suite des débats en séance publique, elles seront également représentées au conseil de surveillance de l’EPIC. Ce serait pour elles une véritable forme de reconnaissance.
De la même manière, à l’heure où la réforme territoriale fait une place particulière aux régions, il serait juste que celles-ci soient reconnues comme autorités organisatrices, et que leur soient donc conférées la liberté de fixer les tarifs, la propriété des matériels roulants dont elles financent l’achat, ainsi que la ressource dédiée.
Voilà ce que je voulais exprimer ce soir, redisant notre attachement au fer et aux cheminots, ainsi que notre reconnaissance pour la structuration apportée à notre pays par la SNCF.
Voter ce projet de loi si bien défendu par le ministre Cuvillier, c’est parler de notre pays et de son modèle social et économique, c’est parler de la liberté de se déplacer, c’est parler de mixité sociale, c’est parler d’environnement, c’est évoquer la décentralisation bien comprise, ce n’est pas pour autant, regarder en arrière, ce n’est pas le repli sur soi. C’est aimer et solidifier notre patrimoine humain et industriel dans un monde et une Europe qui bougent.