Intervention de Jean Pisani-Ferry

Réunion du 12 juin 2014 à 11h00
Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, CGSP :

Comme vous l'avez suggéré monsieur le président, je vais m'exprimer en ma qualité de président du comité de suivi. Le CGSP a, entre autres missions, celle de formuler des propositions ; à travers le comité de suivi, c'est d'évaluation qu'il s'occupe. Nous nous efforçons d'accomplir cette tâche, que nous considérons comme l'une de nos spécialités, avec toute la rigueur et l'objectivité qu'elle requiert ; elle ne consiste pas, en l'occurrence, à porter des jugements sur l'évolution ou l'efficacité de tel ou tel dispositif.

Le comité d'évaluation, paritaire dans sa composition, réunit des partenaires sociaux, des représentants des administrations et des experts. Aux termes de la loi, il remet un rapport annuel avant le dépôt du projet de loi de finances, et le fera donc cette année, au mois de septembre. Le premier rapport fut élaboré rapidement, comme vous l'avez souligné, et surtout n'a pu intégrer que des données ex ante. Cette année encore, nous ne pourrons nous appuyer que sur les documents déclaratifs fournis par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, et sur quelques données fiscales ; mais, à ce stade, nous ne disposons bien entendu d'aucun élément permettant d'évaluer le comportement des entreprises.

Nous avons cependant dressé un tableau des entreprises concernées, en l'organisant par critères : façon dont les entreprises satisfont à leurs obligations déclaratives, préfinancement et, enfin, consultation de l'instance représentative du personnel au sein de l'entreprise, sujet auquel nous consacrerons une enquête ; il nous faudra aussi, lorsque nous serons en mesure de le faire, analyser le comportement des entreprises. Sur ce point, il s'agirait, dans un cas d'hypothèse, de comparer les comportements respectifs de deux entreprises aux caractéristiques similaires, et dont tous les salaires s'établiraient, pour l'une, à 2,49 et, pour l'autre, à 2,51 SMIC, soit en deçà et au-delà de l'éligibilité au CICE. Afin de nous rapprocher aussi près que possible de cette comparaison idéale, nous solliciterons des équipes universitaires : l'appel à idées qui a d'ores et déjà été lancé sera suivi, à l'automne, par un appel à programmes de recherches. Les équipes universitaires se mettront au travail quand les données seront disponibles. En tout état de cause, les résultats ne devraient pas être connus avant 2016 ou 2017 : il faut d'abord attendre l'enregistrement des déclarations par l'administration fiscale, puis mesurer l'impact sur les entreprises avant d'élaborer les conclusions. Le processus est long au regard de vos légitimes préoccupations, sans doute, mais nous ne pouvons aller plus vite.

Nous avons également demandé à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) d'inclure, dans son enquête de conjoncture, une question relative au CICE. Celle-ci reste très générale, puisqu'elle consiste à interroger les entreprises sur le bénéfice qu'elles peuvent tirer de la mesure dans leurs décisions. De la première vague de réponses, pour le premier trimestre de 2014, il ressort que le CICE influe sur le niveau des investissements, ainsi que sur l'emploi et les salaires – dans les services davantage que dans l'industrie – et, dans une moindre mesure, sur les prix de vente.

N'oublions pas, toutefois, qu'il s'agit de réponses spontanées. La question qui se pose est celle de la traçabilité des effets du CICE : question épineuse s'il en est, pour ne pas dire impossible à trancher. Comment mesurer les effets comptables, par exemple, dès lors que le CICE s'impute, s'agissant de l'impôt sur les bénéfices, non seulement sur l'année initiale, mais aussi sur les années ultérieures ? Surtout, le CICE n'est pas une subvention : il modifie le comportement des entreprises, qui peuvent chacune l'affecter très différemment. Les enquêtes qualitatives ont bien entendu leur utilité, mais elles fournissent des informations limitées.

La perception des bénéfices du CICE par les entreprises dépend aussi de leur situation conjoncturelle et des priorités qui en découlent. Plus la conjoncture est appréciée favorablement, plus l'entreprise aura tendance à déclarer que le CICE lui permet d'embaucher, par exemple.

En l'absence d'éléments statistiques sur la prise en compte du dispositif par les organes consultatifs des entreprises, nous nous sommes associés à l'enquête financée par la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) sur ce thème.

Hormis la croissance du nombre de déclarations, nous n'avons que peu d'indications sur la mobilisation des entreprises. Rien ne suggère, en tout cas, que les entreprises ont des réticences à déclarer le CICE. Le caractère trimestriel ou annuel de cette déclaration a suscité quelques incompréhensions au départ, mais ce n'est plus le cas, et l'ACOSS disposera bientôt de chiffres actualisés. Quant au profil des entreprises bénéficiaires, nous n'avons pas d'éléments nouveaux par rapport à ceux qui figurent dans notre rapport.

Le médiateur des relations inter-entreprises nous a confirmé, lors de son audition, qu'une tension s'est fait jour sur la captation du CICE par les donneurs d'ordre, lesquels ont exigé de leurs sous-traitants sa rétrocession à leur profit. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est intervenue sur ce dossier, en tout cas pour ce qui concerne les contrats en cours. Il est tout à fait normal, en effet, d'intégrer le paramètre du CICE dans la renégociation d'un contrat dont il peut modifier les termes, s'agissant de la part répercutée sur les prix et de celle que l'entreprise affecte, par exemple, à l'investissement – ce qui n'était pas normal, c'est que cette question fasse l'objet d'une décision unilatérale. Si l'on veut que la mesure profite aux exportations, il faut bien que les sous-traitants la répercutent sur le prix des biens et services qu'ils fournissent. La valeur ajoutée par les sous-traitants entre pour une part importante, ne l'oublions pas, dans le prix d'un produit exporté. Quoi qu'il en soit, le problème semble réglé.

Aucun élément statistique ne permet de conclure à une réticence des entreprises devant le CICE, même si cela peut être le cas, bien entendu, de quelques-unes d'entre elles. Les entreprises, en tout cas, satisfont à leurs obligations déclaratives.

Nous nous efforçons d'isoler, autant que faire se peut, l'effet propre du CICE sur le comportement des entreprises. Une telle évaluation doit cependant être complétée par celle des effets macroéconomiques. Des évaluations ex ante ont déjà été réalisées, notamment par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et par la direction du Trésor : il ne s'agit pas, pour nous, d'en produire une autre, mais d'inférer l'impact macroéconomique à partir de données microéconomiques nouvelles, lorsqu'elles seront disponibles.

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