Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Réunion du 12 juin 2014 à 11h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • CICE
  • allégement
  • bénéfice
  • comportement

La réunion

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M. Pisani-Ferry, Commissaire général à la stratégie et à la prospective (CGSP) préside également le comité de suivi du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE). Cette instance permanente, créée par la loi, a rendu un rapport dès octobre 2013. Une telle diligence relève de l'exploit, car le dispositif n'en était alors qu'à la phase de préfinancement. Nous souhaiterions connaître la méthodologie que vous avez suivie pour l'évaluer et quelles sont vos premières impressions sur sa mise en oeuvre ? Comment orienterez-vous vos travaux dans les prochains mois ?

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Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, CGSP

Comme vous l'avez suggéré monsieur le président, je vais m'exprimer en ma qualité de président du comité de suivi. Le CGSP a, entre autres missions, celle de formuler des propositions ; à travers le comité de suivi, c'est d'évaluation qu'il s'occupe. Nous nous efforçons d'accomplir cette tâche, que nous considérons comme l'une de nos spécialités, avec toute la rigueur et l'objectivité qu'elle requiert ; elle ne consiste pas, en l'occurrence, à porter des jugements sur l'évolution ou l'efficacité de tel ou tel dispositif.

Le comité d'évaluation, paritaire dans sa composition, réunit des partenaires sociaux, des représentants des administrations et des experts. Aux termes de la loi, il remet un rapport annuel avant le dépôt du projet de loi de finances, et le fera donc cette année, au mois de septembre. Le premier rapport fut élaboré rapidement, comme vous l'avez souligné, et surtout n'a pu intégrer que des données ex ante. Cette année encore, nous ne pourrons nous appuyer que sur les documents déclaratifs fournis par l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'ACOSS, et sur quelques données fiscales ; mais, à ce stade, nous ne disposons bien entendu d'aucun élément permettant d'évaluer le comportement des entreprises.

Nous avons cependant dressé un tableau des entreprises concernées, en l'organisant par critères : façon dont les entreprises satisfont à leurs obligations déclaratives, préfinancement et, enfin, consultation de l'instance représentative du personnel au sein de l'entreprise, sujet auquel nous consacrerons une enquête ; il nous faudra aussi, lorsque nous serons en mesure de le faire, analyser le comportement des entreprises. Sur ce point, il s'agirait, dans un cas d'hypothèse, de comparer les comportements respectifs de deux entreprises aux caractéristiques similaires, et dont tous les salaires s'établiraient, pour l'une, à 2,49 et, pour l'autre, à 2,51 SMIC, soit en deçà et au-delà de l'éligibilité au CICE. Afin de nous rapprocher aussi près que possible de cette comparaison idéale, nous solliciterons des équipes universitaires : l'appel à idées qui a d'ores et déjà été lancé sera suivi, à l'automne, par un appel à programmes de recherches. Les équipes universitaires se mettront au travail quand les données seront disponibles. En tout état de cause, les résultats ne devraient pas être connus avant 2016 ou 2017 : il faut d'abord attendre l'enregistrement des déclarations par l'administration fiscale, puis mesurer l'impact sur les entreprises avant d'élaborer les conclusions. Le processus est long au regard de vos légitimes préoccupations, sans doute, mais nous ne pouvons aller plus vite.

Nous avons également demandé à l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) d'inclure, dans son enquête de conjoncture, une question relative au CICE. Celle-ci reste très générale, puisqu'elle consiste à interroger les entreprises sur le bénéfice qu'elles peuvent tirer de la mesure dans leurs décisions. De la première vague de réponses, pour le premier trimestre de 2014, il ressort que le CICE influe sur le niveau des investissements, ainsi que sur l'emploi et les salaires – dans les services davantage que dans l'industrie – et, dans une moindre mesure, sur les prix de vente.

N'oublions pas, toutefois, qu'il s'agit de réponses spontanées. La question qui se pose est celle de la traçabilité des effets du CICE : question épineuse s'il en est, pour ne pas dire impossible à trancher. Comment mesurer les effets comptables, par exemple, dès lors que le CICE s'impute, s'agissant de l'impôt sur les bénéfices, non seulement sur l'année initiale, mais aussi sur les années ultérieures ? Surtout, le CICE n'est pas une subvention : il modifie le comportement des entreprises, qui peuvent chacune l'affecter très différemment. Les enquêtes qualitatives ont bien entendu leur utilité, mais elles fournissent des informations limitées.

La perception des bénéfices du CICE par les entreprises dépend aussi de leur situation conjoncturelle et des priorités qui en découlent. Plus la conjoncture est appréciée favorablement, plus l'entreprise aura tendance à déclarer que le CICE lui permet d'embaucher, par exemple.

En l'absence d'éléments statistiques sur la prise en compte du dispositif par les organes consultatifs des entreprises, nous nous sommes associés à l'enquête financée par la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) sur ce thème.

Hormis la croissance du nombre de déclarations, nous n'avons que peu d'indications sur la mobilisation des entreprises. Rien ne suggère, en tout cas, que les entreprises ont des réticences à déclarer le CICE. Le caractère trimestriel ou annuel de cette déclaration a suscité quelques incompréhensions au départ, mais ce n'est plus le cas, et l'ACOSS disposera bientôt de chiffres actualisés. Quant au profil des entreprises bénéficiaires, nous n'avons pas d'éléments nouveaux par rapport à ceux qui figurent dans notre rapport.

Le médiateur des relations inter-entreprises nous a confirmé, lors de son audition, qu'une tension s'est fait jour sur la captation du CICE par les donneurs d'ordre, lesquels ont exigé de leurs sous-traitants sa rétrocession à leur profit. La direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) est intervenue sur ce dossier, en tout cas pour ce qui concerne les contrats en cours. Il est tout à fait normal, en effet, d'intégrer le paramètre du CICE dans la renégociation d'un contrat dont il peut modifier les termes, s'agissant de la part répercutée sur les prix et de celle que l'entreprise affecte, par exemple, à l'investissement – ce qui n'était pas normal, c'est que cette question fasse l'objet d'une décision unilatérale. Si l'on veut que la mesure profite aux exportations, il faut bien que les sous-traitants la répercutent sur le prix des biens et services qu'ils fournissent. La valeur ajoutée par les sous-traitants entre pour une part importante, ne l'oublions pas, dans le prix d'un produit exporté. Quoi qu'il en soit, le problème semble réglé.

Aucun élément statistique ne permet de conclure à une réticence des entreprises devant le CICE, même si cela peut être le cas, bien entendu, de quelques-unes d'entre elles. Les entreprises, en tout cas, satisfont à leurs obligations déclaratives.

Nous nous efforçons d'isoler, autant que faire se peut, l'effet propre du CICE sur le comportement des entreprises. Une telle évaluation doit cependant être complétée par celle des effets macroéconomiques. Des évaluations ex ante ont déjà été réalisées, notamment par l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et par la direction du Trésor : il ne s'agit pas, pour nous, d'en produire une autre, mais d'inférer l'impact macroéconomique à partir de données microéconomiques nouvelles, lorsqu'elles seront disponibles.

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L'enquête de l'INSEE constitue le principal élément nouveau : pouvez-vous nous en dire plus à son sujet ? Selon cette enquête, le CICE est prioritairement affecté, dans cet ordre, à l'investissement, à l'emploi et aux salaires et, enfin, aux prix de vente. La taille de l'échantillon permet-elle de regarder ces données comme fiables ? Y a-t-il des écarts importants entre ces trois priorités ? Les données incluent-elles des classements par métiers ou origines géographiques ?

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Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, CGSP

L'enquête de conjoncture trimestrielle de l'INSEE vise une population de 20 000 entreprises ; c'est la première fois qu'elle comporte une question sur le CICE : sans doute les entreprises ont-elles besoin d'un temps d'adaptation pour y répondre en la circonscrivant pleinement. Aussi attendons-nous avec impatience les résultats de la deuxième vague.

Les entreprises attendent un effet du CICE sur les investissements, pour 45 % d'entre elles dans l'industrie et 55 % dans les services ; sur l'emploi, pour 30 % dans l'industrie et 45 % dans les services ; sur le niveau des salaires, pour 20 % dans l'industrie et un peu moins de 40 % dans les services ; sur le prix de vente, enfin, pour 20 % dans l'industrie et un peu moins de 30 % dans les services. Le taux de réponse a été d'environ 50 %, preuve que les entreprises n'étaient pas encore tout à fait familiarisées avec la question.

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Nous sommes d'abord préoccupés par l'impact de la mesure sur la création d'emplois et par les effets d'aubaine qu'elle peut générer : compte tenu de la raréfaction des ressources publiques, l'effet de levier doit être sensible pour chaque euro dépensé.

À ce stade, et parce qu'il faut du temps, vous n'êtes pas en mesure, dites-vous, d'établir un lien entre le dispositif et la création d'emplois – ce qui, d'ailleurs, soulève la question de la durée de notre mission d'information –, pour peu qu'on puisse l'établir un jour ; or, à vous entendre, cela ne semble même pas sûr, car les facteurs sont multiples et il y a loin, les économètres le savent, de la corrélation à l'explication. Le débat ne risque-t-il pas, dans ces conditions, de tourner à la confrontation de croyances ?

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Les demandes d'information sur le CICE se heurtent souvent à l'absence d'éléments statistiques, quand ce n'est pas à l'ignorance du dispositif et de sa mise en oeuvre – j'en ai fait l'expérience auprès de l'antenne locale de la Banque de France. En réalité, nous n'avons guère d'autres sources d'informations que la Banque publique d'investissement. J'ai tenté d'interroger les responsables des comités de suivi régionaux et départementaux : je n'ai eu pour réponse qu'un grand silence. Qu'en est-il ? La structure économique de notre pays, peu homogène, exige à mon sens des bilans par territoire.

L'implication des banques dans le préfinancement est quasi inexistante dans certains départements, et en tout cas très en deçà des prévisions. Comment l'expliquez-vous ? Avez-vous identifié des blocages ? Comment mobiliser les banques privées pour qu'elles jouent tout leur rôle en ce domaine ?

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La baisse du coût du travail que représente le CICE a-t-elle permis d'attirer de nouveaux investisseurs étrangers en France ?

Avez-vous analysé les effets, négatifs ou positifs, de la superposition de dispositifs – tels que la baisse de cotisations salariales ou patronales – avec le CICE ?

Quel est le pourcentage d'entreprises ayant fait appel au préfinancement ?

Enfin, quel a été le rôle du réseau consulaire dans la mise en oeuvre du dispositif ?

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Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, CGSP

Il n'est jamais facile, d'isoler les effets d'une mesure dans le comportement des entreprises ; c'est néanmoins ce à quoi nous nous appliquons. La difficulté est accrue par l'universalité de la mesure, qui interdit le ciblage d'une population d'entreprises. L'effet de seuil que représente la limite de 2,5 SMIC peut toutefois constituer un critère ; aussi les chercheurs s'efforceront-ils de distinguer, sur son fondement, des entreprises qui, par ailleurs, présentent des caractéristiques similaires.

Aux questions soulevées par ses membres, notamment les partenaires sociaux, le comité de suivi s'efforce d'apporter les réponses les plus objectives ; chacun accepte cette règle du jeu, même si la tentation est grande, parfois, d'aller plus vite vers la conclusion, car le dispositif mobilise d'importantes ressources publiques, dans le contexte que vous avez rappelé ; c'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, le législateur a eu soin d'inscrire l'évaluation dans la loi ; et si nous nous astreignons à la plus grande rigueur pour la mener à bien, c'est précisément pour apporter notre contribution au bon emploi des fonds publics.

Je partage votre perplexité, monsieur Giraud, sur les comités de suivi régionaux, que nous n'avons cependant aucune capacité à mobiliser. Nous sommes tout à fait disposés, néanmoins, à travailler en coordination avec eux ; cela serait effectivement très utile pour apprécier les déclinaisons territoriales de la mesure.

En 2013, la BPI s'est engagée à hauteur de 1,5 milliard d'euros dans le préfinancement, le coût total du CICE s'établissant à 13 milliards. Le préfinancement a très majoritairement concerné les petites entreprises, mais il ne faut pas forcément y voir l'indice d'un dysfonctionnement. Il a fallu un certain temps avant que les entreprises prennent connaissance du système de prêt de la BPI, auquel elles sont de plus en plus nombreuses à recourir. Reste que certaines entreprises préféreront toujours obtenir ces financements auprès de leur banque, si elles bénéficient de conditions favorables pour le faire. L'entreprise peut aussi considérer que le fait de solliciter un préfinancement auprès d'une banque, qui plus est pour un montant très faible, est un signal négatif qu'elle lui envoie quant à sa trésorerie disponible.

Je ne sais si le CICE a permis d'attirer des investisseurs étrangers. La question posée est aussi celle de la prise en compte du CICE dans une firme multinationale et, plus généralement, dans une entreprise qui, fiscalement intégrée, possède des unités distinctes. Un allégement de cotisations sociales est directement intégré dans l'évaluation d'un projet d'investissement, contrairement au CICE, dont le bénéfice n'apparaît qu'au terme d'un calcul global, si bien que les entreprises ne le regardent comme un paramètre supplémentaire qu'au moment de prendre la décision. Un dispositif pérenne, observe-t-on, finit toujours par être intégré dans les calculs comptables ; c'est vrai, mais seulement au bout d'un certain temps.

Sur le plan macroéconomique, cependant, l'INSEE a intégré l'effet du CICE dans l'indice du coût du travail au 1er janvier 2013 ; de sorte qu'il a un impact sur les comparaisons internationales.

Sur la superposition des dispositifs, le bon sens vous donne raison : la complexité est toujours fâcheuse. On peut bien entendu s'interroger – même si, en le faisant, je serais à la limite de mon rôle, sur les bénéfices d'une simplification. Quoi qu'il en soit, nous ne disposons pas d'éléments directs sur les effets de cette complexité, non plus, d'ailleurs, que sur le rôle des chambres de commerce et d'industrie.

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Un des avantages du crédit d'impôt par rapport à un allègement, c'est que l'on peut en suivre la trace dans la comptabilité des entreprises. On dispose ainsi, après un certain temps, de quelques informations sur le comportement de celles-ci.

Depuis plus de trente ans, les enquêtes de conjoncture posent la question des contraintes – demande, approvisionnement, compétitivité, etc. – qui pèsent sur l'entreprise. Sachant que, selon vos observations, les entreprises qui portent un regard positif sur la conjoncture utilisent le CICE pour investir ou pour embaucher, il serait intéressant de croiser les données sur la situation conjoncturelle de l'entreprise et les données sur l'usage qu'elle fait du CICE.

Dans le premier rapport du comité de suivi, vous constatez que 38 % des gains du CICE vont à des entreprises non exportatrices et 35 % à des entreprises dont les exportations représentent moins de 5 % du chiffre d'affaires. Cela signifie, à mon sens, qu'il n'y a pas de différence entre ce crédit d'impôt et un allègement reposant sur la même base, puisque le résultat serait le même. Il est difficile, on le sait, de cibler des mesures sur les secteurs exportateur, et peut-être l'emploi n'est-il pas, en l'occurrence, la bonne assiette.

Il y a un an, j'ai plaidé sans hésitation pour la formule du crédit d'impôt : le décalage qu'elle introduisait me semblait adapté à la situation conjoncturelle de l'époque. Mais j'ai toujours considéré que l'on pouvait se réserver la possibilité, au bout d'un certain temps, de pérenniser le dispositif sous une autre forme, celle de l'allègement.

Une telle transformation ferait disparaître le préfinancement, mais ce dispositif n'a plus le même sens dès lors que l'on est dans un régime permanent. Quels seraient, selon vous, les autres effets d'une transformation du CICE en allègement ? Une hypothèse est que le dispositif, rendu plus visible, sera mieux perçu par les entreprises.

Une autre raison d'envisager cette évolution est que l'INSEE s'apprête à requalifier toutes les dépenses fiscales – donc les crédits d'impôt – en dépenses budgétaires. La réduction de l'imposition sera désormais intégrée aux dépenses publiques, dont elle accroîtra considérablement le montant.

Les modèles de l'administration et de l'OFCE permettent depuis longtemps d'effectuer des simulations en matière d'allègements de cotisations financés soit par d'autres formes d'impôt, soit par des réductions de dépenses. Il n'appartient pas au comité de suivi, avez-vous précisé, d'effectuer ce travail. En revanche, le rôle de notre mission d'information, mais aussi celui de la commission des finances au moment de l'examen des prochains projets de loi de finances, sera bien d'examiner ces simulations.

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Dès votre rapport d'octobre 2013, vous faites état de la prise en compte du CICE dans l'indice du coût du travail établi par l'INSEE. Il ne s'agit pas, précisez-vous, d'une mesure de l'impact effectif du dispositif sur le coût du travail, mais, pour le moment, d'une simple prise en compte dans un calcul statistique, et le comité de suivi examinera avec attention si la baisse du coût du travail ainsi obtenue persiste ou non.

Avez-vous eu, depuis, d'autres informations à ce sujet, et de quelle nature ? Comptez-vous développer des outils statistiques pour mesurer les effets du CICE sur la compétitivité, laquelle était, rappelons-le, le sujet même du rapport Gallois ? Comment faire en sorte que le comité de suivi ne considère pas seulement le dispositif sous l'angle des modalités de sa mise en oeuvre, mais aussi comme un outil au service de la compétitivité des entreprises et de notre économie ?

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Votre rapport décrit la ventilation du CICE selon les grands secteurs d'activité, notamment entre les secteurs exportateurs et non exportateurs. Il comporte également une approche territoriale du dispositif et distingue le niveau microéconomique et le niveau macroéconomique. Reste à savoir si, pour les entreprises de certains secteurs, il n'existe pas un effet clairement négatif du CICE.

Ainsi, la DGCCRF et le médiateur des relations interentreprises ont dû régler un problème qui ne concerne les rapports entre la grande distribution et ses fournisseurs, notamment de l'industrie agroalimentaire. La première avait en effet exigé des seconds une renégociation des marges au prétexte qu'ils bénéficiaient du crédit d'impôt. Ici, l'effet négatif sur la relation microéconomique a des répercussions macroéconomiques. Le comité de suivi prendra-t-il en compte dans son prochain rapport cette dimension dynamique du processus, sachant que, au premier trimestre 2014, deux importants acteurs de la grande distribution ont décidé d'abaisser leurs prix pour s'aligner sur le distributeur pratiquant les prix les plus bas ? Ces acteurs sont tout à fait conscients qu'une partie du CICE sert à faire baisser les prix et à orienter la concurrence vers le « moins-disant ».

Notre mission d'information ayant pour objectif de mesurer l'efficacité du CICE, elle doit réfléchir aux moyens d'éviter ces effets négatifs qui apparaissent de manière conjoncturelle, en fonction des priorités que les entreprises se fixent pour l'utilisation du CICE.

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En l'occurrence, le CICE s'apparente à une mesure de pouvoir d'achat, puisque le consommateur final en tire bénéfice…

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Avons-nous affaire à une mesure de politique économique aux effets mesurables et quantifiables dans le temps, ou à une mesure politique ? Après tout, il peut arriver que l'on choisisse, eu égard aux rapports de forces sociaux, de faire des gestes en direction d'une catégorie sociale – en l'occurrence le patronat. Cela n'a rien de choquant pourvu qu'on le présente comme tel !

Les objectifs du CICE sont, comme son nom l'indique, la compétitivité et l'emploi. Le débat sur la compétitivité faisait suite au rapport Gallois, qui dénonçait très justement le déficit abyssal de notre commerce extérieur – plus de 72 milliards d'euros à l'époque – et pointait, entre autres causes, le coût du travail en France. Or, dans son premier rapport, le comité de suivi montre que les bénéficiaires du CICE sont à 38 % des entreprises non exportatrices, et à 35 % des entreprises dont les exportations représentent moins de 5 % du chiffre d'affaires. Il tempère néanmoins ce constat en appelant à une analyse plus poussée de la chaîne de valeur, car les gains de compétitivité des entreprises intervenant sur le marché intérieur peuvent se répercuter sur la compétitivité des entreprises exportatrices. Mais il n'y a pas de mesure de cet impact, ce qui nous renvoie à ma première question : s'agit-il d'une disposition de politique économique ou d'une disposition plus idéologique ?

Pensez-vous pouvoir affiner votre approche de la question de la compétitivité et la rendre plus mesurable ?

Ma deuxième question concerne les effets du CICE en termes de créations nettes d'emplois par rapport aux chiffres annoncés lors de la présentation du dispositif. Peut-on le mesurer et, surtout, en évaluer le coût pour le comparer au coût d'autres dispositifs ? S'agissant des emplois d'avenir, par exemple, on sait combien coûte le dispositif.

En d'autres termes : le CICE représentant tout de même 1 % du PIB, les emplois créés font-ils partie de ceux qui reviennent très cher à la collectivité ? Le dispositif est-il rentable par rapport aux autres mesures de politique économique ? La ressource publique est rare, il faut l'utiliser de manière optimale !

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Le rapport Gallois souligne à juste titre que la compétitivité est quelque chose de global. Il y a le volet qualitatif, que les représentants de Bpifrance ont décrit tout à l'heure en parlant du travail réalisé sur les filières, l'innovation, la qualification. Il y a aussi le volet social – le rapport montre à quel point la qualité du dialogue social est facteur de compétitivité. Il y a enfin le volet de la capacité des entreprises et des coûts.

Sur ce dernier point, s'il est naturel que notre mission d'information s'intéresse à l'utilisation du CICE, il faut également prendre en compte la réalité économique existante : ce qui active tout dispositif de soutien aux capacités d'investissement des entreprises, c'est leur taux de marge. Or l'Observatoire du financement des entreprises relevait au début de cette année que, pour les sociétés non financières, ce taux avait atteint en 2012 son plus bas niveau depuis le milieu des années 1980. Le comité de suivi a-t-il constaté une homogénéité de ce phénomène selon les secteurs, y compris à l'intérieur du secteur manufacturier ?

Vous nous avez fourni des indications concernant les secteurs et les territoires. Disposez-vous aujourd'hui d'éléments sur la ventilation entre investissements « défensifs » – renouvellement, mise aux normes, etc. – et investissements permettant l'extension des capacités, l'introduction de nouveaux produits, la recherche-développement ?

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Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, CGSP

Les enquêtes trimestrielles de conjoncture permettent d'obtenir rapidement des informations et il sera intéressant de croiser les réponses aux différentes questions. Dès lors que les entreprises auront intégré les différentes dimensions du dispositif, nous pourrons apprécier comment celui-ci interagit avec les contraintes auxquelles les entreprises sont soumises, leurs priorités, leurs perspectives, etc. D'ores et déjà, l'enquête montre que la réponse n'est pas la même selon ce que l'entreprise indique être sa vision de la conjoncture.

Pour répondre à votre question sur une éventuelle transformation du CICE, je vais reprendre temporairement ma casquette de commissaire général à la stratégie et à la prospective. Lorsque l'on se fixe un horizon de moyen terme, on est inévitablement amené à réfléchir à la simplification et à la consolidation de dispositifs dont les objectifs sont assez voisins, comme c'est le cas du CICE et de certains allègements. L'idéal serait que le nombre d'instruments corresponde au nombre d'objectifs fixés et d'éviter de créer de la complexité inutile. Et, lorsque les objectifs sont multiples – l'emploi, la compétitivité, l'investissement –, il faut chercher à les atteindre avec la plus grande économie de moyens possibles.

À court terme, la contrainte est que le CICE s'impute avec un an de décalage : toute opération de simplification aurait, de ce fait, des conséquences immédiates sur le déficit public. Mais cela ne doit pas interdire la réflexion à plus longue échéance.

Vous avez raison de souligner l'importance de la requalification des dépenses fiscales. Il s'agit, à mon avis, d'une clarification salutaire, tant la proximité est grande entre dépense fiscale et dépense tout court. On a eu tendance à multiplier les dépenses fiscales au fil des ans, dès lors que les contraintes en matière de dépenses s'alourdissaient.

L'INSEE, a en effet imputé le CICE sur l'indice du coût du travail au 1er janvier 2013. Cette mesure, validée dans le cadre statistique européen, était la manière la plus simple de rendre compte de l'incidence du dispositif. Reste qu'il y a un écart entre une imputation statistique et la perception effective par les entreprises d'un dispositif dont le bénéfice est reporté dans le temps et dépend d'une obligation déclarative. Objectivement, la mesure se traduit par une réduction du coût du travail dans les comptes des entreprises, mais comment est-elle perçue et comment influe-t-elle sur les comportements ? Vous nous fixez là, en réalité, un programme de travail.

Il en va de même pour votre question sur les « effets négatifs », monsieur Hammadi, même si je ne qualifierais pas nécessairement de négatives les incidences du CICE sur les relations interentreprises. Il s'agit de savoir en quoi l'introduction de la mesure affecte, dans les conditions de marché de certains secteurs, les relations entre fournisseurs et distributeurs. On peut envisager la question d'un point de vue normatif, mais on peut aussi l'envisager comme une question de fait : selon les conditions de concurrence de leur secteur, les entreprises ont-elles été amenées à baisser leurs prix ou à conserver le bénéfice du CICE, et en quoi cela a-t-il affecté leur comportement ? Ce qui nous renvoie au problème général de l'observation du comportement des entreprises, devant lequel nous sommes encore désarmés faute de données disponibles. Cela dit, la question est importante et devra être examinée. Pour étudier la répartition du bénéfice du CICE, il ne faut pas traiter les entreprises de manière indifférenciée, mais en fonction de leur exposition à la concurrence internationale, du caractère plus ou moins concurrentiel, monopsonique ou oligopsonique du marché sur lequel elles se trouvent, etc. Comme toujours en matière fiscale se pose le problème de l'incidence : telle mesure vise tel objet, mais son effet peut se retrouver ailleurs.

Cela rejoint la question sur la mesure de l'impact du CICE sur la chaîne de valeur. Nous avons, jusqu'à présent, exploité des données individuelles d'entreprises en croisant les fichiers de sociétés exportatrices avec les fichiers de déclarations annuelles de salaires, afin de savoir comment le CICE se répartissait entre entreprises exportatrices et non exportatrices. Ces données individuelles remontent à 2011. Il s'agit d'informations structurelles très fiables, mais qui ne peuvent évidemment nous renseigner sur les comportements postérieurs à l'introduction du CICE.

Il nous faudra aussi déterminer comment la mesure a affecté la chaîne de valeur. Les entreprises sous-traitantes transfèrent-elles, par le biais des prix ou par celui de la qualité, une partie du bénéfice du CICE aux entreprises exportatrices ?

La question de l'effet en termes d'emplois nets et du coût par emploi créé relève, quant à elle, des évaluations macroéconomiques que j'évoquais. Nous disposons à l'heure actuelle de simulations ex ante, fondées sur l'évaluation de l'impact des différentes mesures par les modélisateurs. Le comité de suivi, lui, procédera à partir d'éléments d'appréciation ex post et établira des comparaisons sur la base de l'observation du comportement réel des entreprises.

S'agissant du taux de marge, l'hétérogénéité est surtout sensible entre les secteurs – notamment industriels – qui sont exposés à la concurrence internationale et ceux qui ne le sont pas. La situation des premiers, bien analysée dans le rapport Gallois, reste préoccupante. Certaines entreprises se sont engagées dans une concurrence par les prix, avec toutes les conséquences que cela entraîne sur leur rentabilité et leurs capacités d'innovation et de développement.

Cela doit nous conduire à réfléchir à la manière de répondre à la distorsion intersectorielle qui se dessine dans l'économie française entre les secteurs fortement soumis à la concurrence et les secteurs qui y sont moins soumis et où des comportements de rente peuvent se développer.

Quant à la répartition entre investissements défensifs et offensifs, nous ne pourrons l'aborder que plus tard, lorsque nous disposerons des éléments nécessaires. Ce ne sera pas facile, la traçabilité étant, par nature, très imparfaite.

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Merci pour cet éclairage. Notre mission d'information rencontrera les mêmes difficultés. Nous mènerons nos auditions jusqu'au mois de juillet. Nous recueillerons des indications en temps réel, puisque les rapports aux organisations salariales sont en cours d'élaboration dans les entreprises. Il est prévu que le rapport de la mission d'information soit publié avant la discussion du projet de loi de finances pour 2014. Nous travaillerons donc concomitamment.

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Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, CGSP

Nos mandats et notre champ d'investigation ne sont pas les mêmes. Si, néanmoins, il vous semble opportun de nous faire part des principales questions que vous vous posez, cela nous sera utile.

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Il y aura certainement, de façon formelle ou informelle, des échanges réciproques.

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J'aimerai revenir sur l'hypothèse de la transformation du CICE, qui se traduirait par une année de transition où l'on devrait à la fois payer le crédit d'impôt et supporter les allègements. Le sujet est analogue à celui d'un passage au prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu, mais en sens inverse. Ne pourrait-on imaginer une année « blanche », où l'on arrêterait le crédit d'impôt pour qu'il n'ait pas à être versé l'année suivante, au moment où les allègements entreront en vigueur ?

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Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, CGSP

Si l'on met en place des allègements au 1er janvier 2015, il faudra à la fois assumer leur coût et payer le crédit d'impôt des années 2013-2014 imputable budgétairement sur l'année 2015. Le choc négatif est inévitable.

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Sauf si les allègements portent sur l'impôt sur les sociétés.

Membres présents ou excusés

Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Réunion du jeudi 12 juin 2014 à 11 heures

Présents. - M. Guillaume Bachelay, M. Laurent Baumel, M. Yves Blein, M. Florent Boudié, M. Xavier Breton, M. Olivier Carré, M. Christophe Castaner, M. Pascal Cherki, Mme Sophie Dion, M. Hugues Fourage, M. Joël Giraud, M. Razzy Hammadi, M. Patrick Hetzel, M. Pierre-Alain Muet, Mme Christine Pires Beaune, M. Patrick Vignal, M. Éric Woerth

Excusé. - Mme Véronique Louwagie

Assistait également à la réunion. - M. François André