Intervention de Jean Pisani-Ferry

Réunion du 12 juin 2014 à 11h00
Mission d'information sur le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi

Jean Pisani-Ferry, commissaire général à la stratégie et à la prospective, CGSP :

Les enquêtes trimestrielles de conjoncture permettent d'obtenir rapidement des informations et il sera intéressant de croiser les réponses aux différentes questions. Dès lors que les entreprises auront intégré les différentes dimensions du dispositif, nous pourrons apprécier comment celui-ci interagit avec les contraintes auxquelles les entreprises sont soumises, leurs priorités, leurs perspectives, etc. D'ores et déjà, l'enquête montre que la réponse n'est pas la même selon ce que l'entreprise indique être sa vision de la conjoncture.

Pour répondre à votre question sur une éventuelle transformation du CICE, je vais reprendre temporairement ma casquette de commissaire général à la stratégie et à la prospective. Lorsque l'on se fixe un horizon de moyen terme, on est inévitablement amené à réfléchir à la simplification et à la consolidation de dispositifs dont les objectifs sont assez voisins, comme c'est le cas du CICE et de certains allègements. L'idéal serait que le nombre d'instruments corresponde au nombre d'objectifs fixés et d'éviter de créer de la complexité inutile. Et, lorsque les objectifs sont multiples – l'emploi, la compétitivité, l'investissement –, il faut chercher à les atteindre avec la plus grande économie de moyens possibles.

À court terme, la contrainte est que le CICE s'impute avec un an de décalage : toute opération de simplification aurait, de ce fait, des conséquences immédiates sur le déficit public. Mais cela ne doit pas interdire la réflexion à plus longue échéance.

Vous avez raison de souligner l'importance de la requalification des dépenses fiscales. Il s'agit, à mon avis, d'une clarification salutaire, tant la proximité est grande entre dépense fiscale et dépense tout court. On a eu tendance à multiplier les dépenses fiscales au fil des ans, dès lors que les contraintes en matière de dépenses s'alourdissaient.

L'INSEE, a en effet imputé le CICE sur l'indice du coût du travail au 1er janvier 2013. Cette mesure, validée dans le cadre statistique européen, était la manière la plus simple de rendre compte de l'incidence du dispositif. Reste qu'il y a un écart entre une imputation statistique et la perception effective par les entreprises d'un dispositif dont le bénéfice est reporté dans le temps et dépend d'une obligation déclarative. Objectivement, la mesure se traduit par une réduction du coût du travail dans les comptes des entreprises, mais comment est-elle perçue et comment influe-t-elle sur les comportements ? Vous nous fixez là, en réalité, un programme de travail.

Il en va de même pour votre question sur les « effets négatifs », monsieur Hammadi, même si je ne qualifierais pas nécessairement de négatives les incidences du CICE sur les relations interentreprises. Il s'agit de savoir en quoi l'introduction de la mesure affecte, dans les conditions de marché de certains secteurs, les relations entre fournisseurs et distributeurs. On peut envisager la question d'un point de vue normatif, mais on peut aussi l'envisager comme une question de fait : selon les conditions de concurrence de leur secteur, les entreprises ont-elles été amenées à baisser leurs prix ou à conserver le bénéfice du CICE, et en quoi cela a-t-il affecté leur comportement ? Ce qui nous renvoie au problème général de l'observation du comportement des entreprises, devant lequel nous sommes encore désarmés faute de données disponibles. Cela dit, la question est importante et devra être examinée. Pour étudier la répartition du bénéfice du CICE, il ne faut pas traiter les entreprises de manière indifférenciée, mais en fonction de leur exposition à la concurrence internationale, du caractère plus ou moins concurrentiel, monopsonique ou oligopsonique du marché sur lequel elles se trouvent, etc. Comme toujours en matière fiscale se pose le problème de l'incidence : telle mesure vise tel objet, mais son effet peut se retrouver ailleurs.

Cela rejoint la question sur la mesure de l'impact du CICE sur la chaîne de valeur. Nous avons, jusqu'à présent, exploité des données individuelles d'entreprises en croisant les fichiers de sociétés exportatrices avec les fichiers de déclarations annuelles de salaires, afin de savoir comment le CICE se répartissait entre entreprises exportatrices et non exportatrices. Ces données individuelles remontent à 2011. Il s'agit d'informations structurelles très fiables, mais qui ne peuvent évidemment nous renseigner sur les comportements postérieurs à l'introduction du CICE.

Il nous faudra aussi déterminer comment la mesure a affecté la chaîne de valeur. Les entreprises sous-traitantes transfèrent-elles, par le biais des prix ou par celui de la qualité, une partie du bénéfice du CICE aux entreprises exportatrices ?

La question de l'effet en termes d'emplois nets et du coût par emploi créé relève, quant à elle, des évaluations macroéconomiques que j'évoquais. Nous disposons à l'heure actuelle de simulations ex ante, fondées sur l'évaluation de l'impact des différentes mesures par les modélisateurs. Le comité de suivi, lui, procédera à partir d'éléments d'appréciation ex post et établira des comparaisons sur la base de l'observation du comportement réel des entreprises.

S'agissant du taux de marge, l'hétérogénéité est surtout sensible entre les secteurs – notamment industriels – qui sont exposés à la concurrence internationale et ceux qui ne le sont pas. La situation des premiers, bien analysée dans le rapport Gallois, reste préoccupante. Certaines entreprises se sont engagées dans une concurrence par les prix, avec toutes les conséquences que cela entraîne sur leur rentabilité et leurs capacités d'innovation et de développement.

Cela doit nous conduire à réfléchir à la manière de répondre à la distorsion intersectorielle qui se dessine dans l'économie française entre les secteurs fortement soumis à la concurrence et les secteurs qui y sont moins soumis et où des comportements de rente peuvent se développer.

Quant à la répartition entre investissements défensifs et offensifs, nous ne pourrons l'aborder que plus tard, lorsque nous disposerons des éléments nécessaires. Ce ne sera pas facile, la traçabilité étant, par nature, très imparfaite.

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