Intervention de Oleh Kobzystyy

Réunion du 4 juin 2014 à 16h30
Commission des affaires européennes

Oleh Kobzystyy, conseiller politique chargé d' affaires à l' ambassade d' Ukraine :

Merci pour l'attention que vous portez à l' Ukraine : nous en avons vraiment besoin. Mon pays traverse une période trouble. Il s'agit de la crise la plus grave depuis son indépendance, car elle présente un vrai danger pour l' intégrité et l' avenir démocratique de l' Ukraine, ainsi que pour la sécurité de l'Europe. La Russie a placé le monde occidental sur la défensive en remettant en cause les fondements géostratégiques sur lesquels repose notre sécurité depuis la fin de la guerre froide.

L'annexion de la Crimée n'est, je crois, que la première étape. La Russie est en effet insatiable. Vladimir Poutine a semé les graines de la déstabilisation en Ukraine et, plus grave, partout où se trouvent des minorités russophones à « protéger », à savoir sur tout le pourtour de la Fédération de Russie.

Malgré toutes les tentatives de la perturber, par le biais de terroristes armés et par celui de la propagande, l'élection présidentielle s'est bien passée : librement et en conformité avec la législation ukrainienne. Je souligne que la France a largement contribué à la transparence de cette élection présidentielle anticipée, notamment par l'envoi d'un grand nombre d'experts dans le cadre de la mission d'observation électorale de l' OSCE, parmi lesquels des citoyens français envoyés par le congrès mondial des Ukrainiens et par le comité représentatif de la communauté des Ukrainiens de France dont la présidente, Mme Pasternak, ici présente, s'est elle-même rendue sur place.

Il y a quelques jours, la commission électorale centrale a dépouillé 100 % des bulletins de vote et M. Petro Porochenko a été officiellement déclaré président de l'Ukraine, fort de quelque 55 % des suffrages obtenus dès le premier tour. Le scrutin a été marqué par une forte participation – plus de 60 % de votants – sauf dans l'Est, contrôlé par les séparatistes pro-Russes. Le nouveau président a plusieurs défis à relever.

Le premier est la sécurisation de la région du Donbass, à l'est de l' Ukraine. C'est primordial. On a noté, ces derniers jours, une intensification des combats dans les villes de Donetsk et Lougansk avec un nombre élevé de morts parmi les séparatistes et parmi les militaires ukrainiens – on parle de 200 à 400 morts des deux côtés. Aujourd'hui même, six civils ont été tués dans les rues de Lougansk. Aucun dialogue politique n'étant possible pour l'instant dans l'est du pays, il est nécessaire de passer par une phase de stabilisation. Une fois les opérations militaires terminées, les discussions politiques avec les représentants légitimes du Donbass pourront être organisées.

Pour l'heure, Moscou continue à apporter son soutien financier et militaire aux séparatistes. Les gardes-frontières russes ont ouvert des corridors par où passent librement les camions chargés de séparatistes armés, camions arrêtés par nos propres gardes-frontières. La situation est donc très difficile. Reste que l' Ukraine n'entend pas reculer face à cette menace terroriste et nous continuerons à prendre toutes les mesures diplomatiques, politiques et militaires pour protéger la vie de nos citoyens.

Pour nous, l'essentiel est d'obtenir des Russes un retour à des relations internationales civilisées et au droit international. Nous attendons des Russes qu'ils s'abstiennent de toute violence et de toute provocation par leur soutien à des groupes séparatistes de l'est et du sud-est de l' Ukraine.

Le deuxième défi du nouveau président est la reconstruction de toute la sphère politique. La prochaine étape est l'organisation d'élections législatives anticipées à l'automne prochain ou, en tout cas, d'ici à la fin de l'année, afin d'adapter le champ politique ukrainien à la réalité du résultat de l'élection présidentielle, mais aussi afin d'éviter de laisser le temps aux éléments pro-Russes et séparatistes de se reconstituer et d'obtenir trop de sièges au Parlement.

La troisième étape consistera à sauver l'économie. Depuis plusieurs mois, la communauté internationale soutient Kiev avec le minimum nécessaire en termes de prêts pour éviter le défaut de paiement et l'effondrement du pays. Des réformes sont donc nécessaires sur fond d'austérité provoquée par la conditionnalité de l'aide du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. La facture gazière représente un premier défi, car Kiev n'a pas d'autre choix que de négocier le prix du gaz avec la Russie. Cette question est liée au paiement par l'Ukraine de quelque 2,5 milliards de dollars de dettes au profit de Moscou, condition sine qua non posée par le Kremlin à plusieurs reprises et à grand renfort d'ultimatums.

Il conviendra en parallèle – c'est le défi suivant – de travailler au parachèvement du rapprochement avec l'Union européenne. L'Ukraine a signé en mars dernier le volet politique de son accord d'association avec l'Union. Le volet économique pourrait être signé lors du sommet européen fin juin à Bruxelles. Ce point figure en tout cas à l'ordre du jour de la réunion du Conseil européen des 26 et 27 juin. Si tout se passe comme prévu, nous pourrons le signer à cette date, ce qui nous permettra de nous détacher économiquement de la Russie et de surmonter la crise économique et politique qui embrase le pays depuis plus de six mois, mettant en péril la sécurité et la paix régionales.

Autre défi, et non des moindres : relancer le dialogue avec la Fédération de Russie. M. Porochenko va s'y employer et a promis de négocier le retour de la Crimée en Ukraine et de poursuivre l'intégration du pays à l'Union européenne. Un entretien dont nous attendons beaucoup est prévu à Bruxelles entre le président Hollande et le président Porochenko. J'espère que ce dialogue bilatéral au plus haut niveau se poursuivra prochainement en Normandie à l'occasion des commémorations du soixante-dixième anniversaire du Débarquement des Alliés.

Les objectifs de Moscou sont pour le moment relativement clairs : la Russie va d'abord digérer la Crimée avant de continuer la restructuration rationnelle de son pourtour étranger proche, en provoquant une instabilité territoriale en Ukraine qui permettra d'asseoir la stabilité stratégique russe.

Plus que jamais, l'Ukraine est à la croisée des chemins.

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