COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mercredi 4 juin 2014
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission
La séance est ouverte à 16 h 35
Table ronde, conjointe avec le groupe d'amitié France-Ukraine, sur l'Ukraine après l'élection présidentielle et sur le partenariat oriental, avec la participation de M. Oleh Kobzystyy, conseiller politique à l'ambassade d'Ukraine, Mme Sacha Koulaeva, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de la Fédération internationale des Droits humains, M. Volodymyr Viatrovich, historien, directeur de l'Institut national de mémoire, Mme Vira Nanivska, présidente du Centre ukrainien des perspectives politiques, Mme Nathalie Pasternak, présidente du Comité représentatif de la communauté ukrainienne de France et M. Alexis Prokopiev, président de l'association Russie-Libertés
Notre table ronde, organisée conjointement avec le groupe d'amitié France-Ukraine, semble se tenir dans un contexte encore plus tendu qu'il y a quelques jours puisque, selon des informations que nous n'avons pas encore pu vérifier, les autorités de Kiev feraient état du chiffre de plus de 300 morts et 500 blessés au cours des dernières vingt-quatre heures dans la région de Sloviansk. Peut-être M. le conseiller politique de l'ambassade pourra-t-il nous préciser cette information qu'il faut prendre, bien entendu, avec beaucoup de réserve et de prudence.
M. Oleh Kobzystyy assure actuellement le remplacement de l'ambassadeur d'Ukraine à Paris, qui a récemment démissionné. Deux de nos invités, Mme Vira Nanivska et M. Volodymyr Viatrovitch, viennent spécialement d'Ukraine. Nous entendrons également Mme Sacha Koulaeva et Mme Nathalie Pasternak – qui a été envoyée en mission d'observation à l'occasion de l'élection présidentielle du 25 mai dernier –, et M. Alexis Prokopiev. D'autres personnalités ukrainiennes auraient aimé pouvoir s'exprimer, mais, pour des raisons d'organisation et de bonne tenue du débat, nous avons dû limiter le nombre de participants. Nous avons néanmoins échangé à la faveur du déjeuner organisé à l'Assemblée.
Notre commission suit avec une grande d'attention les évolutions de la situation en Ukraine ; nous avons d'ailleurs créé un groupe de travail commun avec la commission des affaires étrangères sur la question du partenariat oriental.
Des communications ont été présentées à plusieurs reprises lors de nos réunions, et nous nous sentons particulièrement concernés par les épreuves traversées par tout le peuple ukrainien. Nous sommes également très sensibles à ses aspirations démocratiques inspirées par les règles de l'Union européenne, à l'heure où nos propres populations semblent parfois douter de l'Europe. À cet égard, la date du 25 mai était doublement symbolique, avec, chez nous, des élections dont les résultats ont parfois désagréablement surpris, puisqu'elles furent marquées par une montée très forte des ultra-nationalistes, et avec, en Ukraine, une élection présidentielle qui s'est tenue de façon satisfaisante, puisqu'un Président de la République a été élu démocratiquement face à la volonté de déstabilisation de certains. La stabilisation démocratique semble devoir connaître une nouvelle étape avec l'annonce d'élections législatives anticipées.
Peut-on vraiment parler de stabilisation, monsieur le chargé d'affaires ? Ouvre-t-elle de nouvelles perspectives ? Jusqu'à quel point pouvons-nous nous montrer positifs ? La politique du partenariat oriental, qui cherche encore ses marques, peut-elle s'inspirer des premières démarches que nous avons engagées ensemble ?
Je préside un groupe d'amitié et, si l'amitié a un sens, c'est bien dans une période comme celle que vient de vivre l'Ukraine qu'elle doit s'exprimer, d'abord par une attention particulière, ensuite par des interventions auprès du Gouvernement.
Nous souhaitons que nos invités reviennent sur ce que vit la population ukrainienne dans son ensemble. L'organisation prochaine d'élections législatives est un objectif très important pour conforter la représentation démocratique que nous appelons de nos voeux. Nous avons tous été attentifs à l'élection présidentielle du 25 mai, conscients qu'elle apportait à l'Ukraine la possibilité de redémarrer une vie institutionnelle démocratique reconnue par tous. Ainsi votre président a-t-il rencontré le nôtre en Pologne, de même que le président Obama. Voilà des actes fondateurs.
Nous aimerions enfin que vous nous éclairiez sur la poursuite de la construction de cette démocratie, et que vous nous indiquiez quelles sont vos attentes vis-à-vis des parlementaires que nous sommes, plus attentifs que d'autres à l'Ukraine au sein de ce groupe d'amitié et désireux de vous accompagner sur ce chemin plus que difficile.
Merci pour l'attention que vous portez à l' Ukraine : nous en avons vraiment besoin. Mon pays traverse une période trouble. Il s'agit de la crise la plus grave depuis son indépendance, car elle présente un vrai danger pour l' intégrité et l' avenir démocratique de l' Ukraine, ainsi que pour la sécurité de l'Europe. La Russie a placé le monde occidental sur la défensive en remettant en cause les fondements géostratégiques sur lesquels repose notre sécurité depuis la fin de la guerre froide.
L'annexion de la Crimée n'est, je crois, que la première étape. La Russie est en effet insatiable. Vladimir Poutine a semé les graines de la déstabilisation en Ukraine et, plus grave, partout où se trouvent des minorités russophones à « protéger », à savoir sur tout le pourtour de la Fédération de Russie.
Malgré toutes les tentatives de la perturber, par le biais de terroristes armés et par celui de la propagande, l'élection présidentielle s'est bien passée : librement et en conformité avec la législation ukrainienne. Je souligne que la France a largement contribué à la transparence de cette élection présidentielle anticipée, notamment par l'envoi d'un grand nombre d'experts dans le cadre de la mission d'observation électorale de l' OSCE, parmi lesquels des citoyens français envoyés par le congrès mondial des Ukrainiens et par le comité représentatif de la communauté des Ukrainiens de France dont la présidente, Mme Pasternak, ici présente, s'est elle-même rendue sur place.
Il y a quelques jours, la commission électorale centrale a dépouillé 100 % des bulletins de vote et M. Petro Porochenko a été officiellement déclaré président de l'Ukraine, fort de quelque 55 % des suffrages obtenus dès le premier tour. Le scrutin a été marqué par une forte participation – plus de 60 % de votants – sauf dans l'Est, contrôlé par les séparatistes pro-Russes. Le nouveau président a plusieurs défis à relever.
Le premier est la sécurisation de la région du Donbass, à l'est de l' Ukraine. C'est primordial. On a noté, ces derniers jours, une intensification des combats dans les villes de Donetsk et Lougansk avec un nombre élevé de morts parmi les séparatistes et parmi les militaires ukrainiens – on parle de 200 à 400 morts des deux côtés. Aujourd'hui même, six civils ont été tués dans les rues de Lougansk. Aucun dialogue politique n'étant possible pour l'instant dans l'est du pays, il est nécessaire de passer par une phase de stabilisation. Une fois les opérations militaires terminées, les discussions politiques avec les représentants légitimes du Donbass pourront être organisées.
Pour l'heure, Moscou continue à apporter son soutien financier et militaire aux séparatistes. Les gardes-frontières russes ont ouvert des corridors par où passent librement les camions chargés de séparatistes armés, camions arrêtés par nos propres gardes-frontières. La situation est donc très difficile. Reste que l' Ukraine n'entend pas reculer face à cette menace terroriste et nous continuerons à prendre toutes les mesures diplomatiques, politiques et militaires pour protéger la vie de nos citoyens.
Pour nous, l'essentiel est d'obtenir des Russes un retour à des relations internationales civilisées et au droit international. Nous attendons des Russes qu'ils s'abstiennent de toute violence et de toute provocation par leur soutien à des groupes séparatistes de l'est et du sud-est de l' Ukraine.
Le deuxième défi du nouveau président est la reconstruction de toute la sphère politique. La prochaine étape est l'organisation d'élections législatives anticipées à l'automne prochain ou, en tout cas, d'ici à la fin de l'année, afin d'adapter le champ politique ukrainien à la réalité du résultat de l'élection présidentielle, mais aussi afin d'éviter de laisser le temps aux éléments pro-Russes et séparatistes de se reconstituer et d'obtenir trop de sièges au Parlement.
La troisième étape consistera à sauver l'économie. Depuis plusieurs mois, la communauté internationale soutient Kiev avec le minimum nécessaire en termes de prêts pour éviter le défaut de paiement et l'effondrement du pays. Des réformes sont donc nécessaires sur fond d'austérité provoquée par la conditionnalité de l'aide du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale. La facture gazière représente un premier défi, car Kiev n'a pas d'autre choix que de négocier le prix du gaz avec la Russie. Cette question est liée au paiement par l'Ukraine de quelque 2,5 milliards de dollars de dettes au profit de Moscou, condition sine qua non posée par le Kremlin à plusieurs reprises et à grand renfort d'ultimatums.
Il conviendra en parallèle – c'est le défi suivant – de travailler au parachèvement du rapprochement avec l'Union européenne. L'Ukraine a signé en mars dernier le volet politique de son accord d'association avec l'Union. Le volet économique pourrait être signé lors du sommet européen fin juin à Bruxelles. Ce point figure en tout cas à l'ordre du jour de la réunion du Conseil européen des 26 et 27 juin. Si tout se passe comme prévu, nous pourrons le signer à cette date, ce qui nous permettra de nous détacher économiquement de la Russie et de surmonter la crise économique et politique qui embrase le pays depuis plus de six mois, mettant en péril la sécurité et la paix régionales.
Autre défi, et non des moindres : relancer le dialogue avec la Fédération de Russie. M. Porochenko va s'y employer et a promis de négocier le retour de la Crimée en Ukraine et de poursuivre l'intégration du pays à l'Union européenne. Un entretien dont nous attendons beaucoup est prévu à Bruxelles entre le président Hollande et le président Porochenko. J'espère que ce dialogue bilatéral au plus haut niveau se poursuivra prochainement en Normandie à l'occasion des commémorations du soixante-dixième anniversaire du Débarquement des Alliés.
Les objectifs de Moscou sont pour le moment relativement clairs : la Russie va d'abord digérer la Crimée avant de continuer la restructuration rationnelle de son pourtour étranger proche, en provoquant une instabilité territoriale en Ukraine qui permettra d'asseoir la stabilité stratégique russe.
Plus que jamais, l'Ukraine est à la croisée des chemins.
Je vous suis très reconnaissante de m'avoir invitée à prendre la parole en ces lieux. Évidemment, l'événement numéro un en Ukraine est Euromaïdan qui a brisé toutes les attentes russes et provoqué une déchirure entre la société civile et le Gouvernement. Les idées au nom desquelles les Ukrainiens sont descendus dans la rue – les valeurs démocratiques – font presque sourire en Europe occidentale. Pour elles, pourtant, les Ukrainiens acceptent de mourir. Les Européens ont sans doute oublié les sacrifices qui leur furent nécessaires tout au long de l'histoire pour aboutir à l'Union européenne, construction très fragile, mais qui revêt une très grande importance pour tous les peuples qui l'entourent, une importance que je qualifierais de matérielle.
Ainsi sommes-nous prêts à tout abandonner pour la suprématie de la loi, à savoir l'absence de corruption. Notre centre a conduit une étude révélant que 73 % de la population de l'est de l'Ukraine plaçait la lutte contre la corruption au premier plan, contre 63 % à l' échelle nationale. Chaque fonctionnaire doit agir en fonction de la loi et non du pouvoir dont il dispose.
Maïdan continue à vivre, à influer sur le Gouvernement afin que le système change. Nous ne sommes peut-être pas tout à fait conscients de ce que veut dire « changer de système », mais tout le monde comprend ce que signifie « ne pas changer de système ». Si la position de rejet est bien affirmée, la position constructive n'est pas encore bien définie et dépendra de notre capacité à apprendre des Européens. Aussi l'euroscepticisme, qui considère que l' Union européenne a vécu, mais aussi la propagande russe, selon laquelle les valeurs européennes n'existent plus, n'ont-ils plus de sens pour nous, car nous savons que ces valeurs sont éternelles, que l'Union européenne était la première à les défendre – et nous sommes bien décidés à reprendre le flambeau.
Comment est-il possible que, dans l'espace post-soviétique, l'Ukraine ait pu se retrouver dans cette situation ? Nous étions en tous points semblables à la Russie et aux autres pays dans les années 1990 : nous avons subi une thérapie de choc fort peu efficace, car il n'y a pas eu de développement institutionnel à même de jeter les bases d'un nouveau système politique et économique susceptible d'organiser démocratiquement l'économie de marché. Comme tous les autres pays, l' Ukraine s'est retrouvée dans le chaos libéral, mais chaque pays a adopté une voie différente. Il était impossible en Russie de gérer ce libéralisme débridé sans institutions fortes : il ne lui restait donc qu'à restaurer ses institutions autoritaires et totalitaires. La Biélorussie et le Kazakhstan lui ont emboîté le pas. L' Ukraine, elle, s'obstine à prôner la démocratie.
Pour nous, la déstalinisation du pouvoir d'État, des organes d'État, des organes de gestion de l'économie sont l'objet d'études détaillées pour la réalisation desquelles il nous faut coopérer avec l'Union européenne. Le partenariat oriental, dans ce contexte, apparaît très important. En effet, en dehors du fait que certains pays sont revenus en arrière, même si d'autres, comme l'Ukraine, ont connu, depuis, deux, voire trois révolutions, le travail de désoviétisation entamé au début des années 1990 reste inachevé. C'est pourquoi l'on ne saurait se limiter à l'organisation d'élections : il convient de construire un pouvoir exécutif et un pouvoir législatif démocratiques.
En tant qu'historien, j'évoquerai surtout le passé – le passé qui détermine l'avenir. Le mouvement de Maïdan a été la troisième tentative des Ukrainiens de dire adieu au passé totalitaire, la première ayant été la grève de la faim des étudiants au début des années 1990, qui a conduit à l'indépendance, la deuxième la Révolution orange de 2004. Nous avons atteint aujourd'hui un point de non-retour dans la condamnation du communisme. En effet, jusqu'à présent, les communistes étaient restés dans les rouages du pouvoir et bloquaient le processus de désoviétisation.
Pendant les vingt-trois années qui ont suivi l'indépendance, l'opposition a pu remporter toutes les élections sauf les législatives de 2002. Le système politique était donc relativement ouvert jusqu'à ce que le pouvoir essaie de le verrouiller, provoquant la Révolution orange en 2004 et Maïdan récemment. La décommunisation est un mouvement de fond en Ukraine alors que, avec Poutine, la Russie revient aux symboles et aux pratiques soviétiques.
La tentative de resoviétisation de l'Ukraine par le président Ianoukovitch, en matière culturelle et de gestion de l'État, par le biais, notamment, de la censure, d'emprisonnements pour raisons politiques, a conduit à Maïdan. La révolte a été provoquée par la violence exercée contre les étudiants qui protestaient pacifiquement et par les snipers qui ont tiré sur les manifestants. Dès lors, tout a basculé. Dans de nombreuses villes, on a enfin mis bas les statues de Lénine, symboles de cette fausse idéologie.
Le renversement de Ianoukovitch a signé l'échec de sa tentative de resoviétiser le pays, hormis dans le Donbass où les habitants ont conservé des éléments d'identité soviétique : c'est là qu'étaient envoyés ceux que le système réprimait, et cette région – où règne encore l'industrie à la soviétique – est en pleine dépression économique. Ceux qui sympathisent avec l'idéologie poutinienne ne sont pas les pro-Russes ni les russophones d'Ukraine, mais les homo sovieticus nourris par la propagande russe qui, d'anti-Maïdan est devenue de plus en plus anti-ukrainienne, anti-européenne, anti-occidentale, anti-libérale. On note par conséquent un décalage : les partisans de Poutine en Ukraine ne rêvent pas de la Russie actuelle, mais de l'URSS passée, cependant que le reste de l'Ukraine entend tirer un trait définitif sur ce passé totalitaire et écrire un nouveau chapitre de son histoire.
Poutine voit que cette démocratie ukrainienne efficace, qui réussit, pourrait constituer une entrave pour ses plans ambitieux de restauration de l'empire, plans qui menacent non seulement l'Ukraine, mais également l'Europe – ce pour quoi nous devons agir ensemble.
La FIDH se préoccupe beaucoup de l'aggravation continue de la situation en Ukraine depuis novembre 2013, quand lui sont parvenus les premiers rapports sur les disparitions, les arrestations arbitraires, les tortures. Nous avons en outre exprimé notre grande inquiétude sur les conditions dans lesquelles s'est déroulé le référendum en Crimée : une présence armée très forte ôte à notre sens toute légitimité à cette consultation.
Nous travaillons sur de nombreux cas de disparitions non encore élucidées, y compris pendant les mois de décembre et de janvier derniers. Il nous semble nécessaire que l'action judiciaire soit poursuivie contre les auteurs de ces méfaits.
Nous nous soucions également des personnes déplacées et des réfugiés, sans cesse plus nombreux et se retrouvant pour beaucoup dans une situation très inquiétante.
Nous sommes attentifs au respect de toutes les minorités. La situation des Tatars est plus que préoccupante en Crimée ; plusieurs ont trouvé la mort, d'autres ont été enlevés, arrêtés ou détenus, d'autres encore ont été dépossédés de leurs biens, soit au cours de leur tentative de quitter la Crimée, soit sur place. Nous avons recensé, lors de nos missions, de nombreux cas d'intimidation, de harcèlement et de persécution de ceux qui expriment leur désaccord avec l'annexion de la Crimée par la Russie, qu'il s'agisse des directeurs d'école, des enseignants, des journalistes et des activistes politiques. Comme la communauté des Tatars de Crimée a déjà connu la répression sous Staline et a eu par la suite, tout au long de l'histoire de l'Union soviétique, un vécu dramatique, il convient de prendre particulièrement en considération la vulnérabilité qui en résulte. Tout aussi dramatique, sur le plan économique, est la situation des Tatars qui ont dû quitter la péninsule en urgence.
Nous nous préoccupons par ailleurs du sort des personnes contraintes, à cause des hostilités, de se déplacer du Sud ou de l'Est vers l'Ouest.
Le nombre des personnes disparues ou torturées pendant leur détention – arbitraire – augmente de façon dramatique dans l'est de l'Ukraine. Des témoignages signalent la participation de forces russes à ces agissements. Des enquêtes doivent être menées le plus rapidement possible afin que la lumière soit faite sur ces actes. La justice est la seule garantie d'une paix durable.
La liberté sans restriction de la presse doit être assurée pour tous les journalistes souhaitant couvrir le conflit contre la véritable guerre de propagande menée par le gouvernement russe. Nous déplorons les meurtres de journalistes dans l'est de l' Ukraine. Un journaliste russe, en particulier, qui a beaucoup travaillé avec la FIDH, a ainsi trouvé la mort.
Enfin, il s'agit d'appeler l'attention de la diplomatie française, européenne et internationale sur l'importance de ce qui se passe en Ukraine, mais aussi en Russie elle-même, puisque les libertés civiles, déjà très menacées depuis deux ans, le sont encore davantage à la suite de ce conflit. Les voix indépendantes qui contestent l'action des forces russes en Crimée, à l'est de l'Ukraine ou à Odessa sont réprimées, persécutées. Les conséquences de cette situation affectent toute l'Europe de l'Est, mais aussi l'Asie centrale.
Le comité représentatif de la communauté ukrainienne de France compte 150 000 Français d'origine ukrainienne et Ukrainiens. Comme il y a dix ans, nous avons organisé, pour l'élection présidentielle du 25 mai dernier, une mission française d'observateurs internationaux bénévoles. L'État français a accordé une subvention qui a permis la prise en charge d'une partie des frais de voyage de ces observateurs, de ce fait un peu moins bénévoles, mais pas moins motivés. La mission était composée de quarante-trois personnes, parmi lesquelles quatre interprètes et deux journalistes – dont Caroline Fourest qui a déjà fait part de ses observations par ailleurs. Nous avons pu envoyer nos observateurs dans onze régions – Kharkov, Kiev, Tchernivtsi, Tchernihiv, Poltava, Kirovograd, etc… – ; nous avons ainsi pu couvrir l'ensemble du territoire à l'exception du Donbass, qu'il s'agisse de Donetsk ou de Lougansk, pour des raisons de sécurité.
Nous avons constaté, en dix ans, une très grande prise de conscience par les citoyens de l'enjeu de ces élections et du rôle des observateurs internationaux. L'accueil a été partout très chaleureux et nous avons rencontré des gens informés de la loi électorale et qui ont par conséquent organisé les bureaux de vote de façon très professionnelle. La plupart des observateurs, des Français venant en Ukraine pour la première fois, se sont montrés très surpris par la maturité de la société civile : les fraudes se sont révélées des plus minimes, sans doute parce que, pour une fois, elles n'étaient pas le fait de l'État lui-même. Les Ukrainiens sont donc prêts pour de véritables changements, pour prendre leur destin en main ; ils ont évolué bien plus vite que les politiques. Même à Kharkov ou à Odessa, les gens nous ont témoigné toute leur reconnaissance en voyant que nous venions contribuer à la garantie de leur choix. Le très grand nombre de jeunes dans les bureaux de vote nous a interpellés ; nous n'avions plus affaire, en effet, aux membres des anciennes équipes post-soviétiques. Ces jeunes sont le symbole de Maïdan.
Nous avons constaté le très grand sérieux de cette élection. Des citoyens ukrainiens nous ont déclaré qu'elle était importante à leurs yeux puisqu'il s'agissait d'élire un président leur convenant, mais aussi parce que, à travers elle, l' Ukraine montrait au monde que, par ce changement profond, elle prenait le chemin de la démocratie et adoptait les standards européens.
L'association Russie-Libertés a pour principal objet la défense des droits et des libertés en Russie. De nombreux citoyens russes aspirent aux valeurs et aux principes communément admis dans l'espace européen : État de droit, élections libres et transparentes, indépendance de la justice, lutte contre la corruption.
Ne sous-estimons pas la gravité de la crise ukrainienne et de ses répercussions, non seulement sur l'Ukraine et sur la Russie, mais aussi sur l'ensemble de l'Europe, y compris sur la France. L'implication de la Russie dans cette crise est aujourd'hui avérée. Contredisant les propos qu'il avait tenus au début du mois de mars, le président Poutine a lui-même reconnu, au cours de sa conférence de presse du 17 avril, que des troupes russes avaient contribué à l'organisation du référendum en Crimée. Il se trouve donc à l'origine du conflit qui se déroule sur le territoire ukrainien.
La politique étrangère russe est intimement liée aux préoccupations de politique intérieure : le président Poutine utilise la crise ukrainienne à des fins de propagande interne. En déstabilisant l'Ukraine, il renforce son assise au sein de la société russe et sa base électorale. Sa cote de popularité a fortement augmenté. Avant la crise ukrainienne, il était très contesté. De lourds soupçons de fraude pesaient sur les élections législatives de décembre 2011 et sur la présidentielle de mars 2012. Au lendemain de chacun de ces scrutins, des centaines de milliers de citoyens russes sont descendus dans la rue pour réclamer des élections libres et davantage de démocratie. Une des manifestations a réuni plus de 250 000 personnes sur l'avenue Sakharov à Moscou en décembre 2011. Plusieurs participants ont été interpellés et certains ont été condamnés à des peines d'emprisonnement en camp de deux à quatre ans, alors qu'ils avaient manifesté de manière pacifique.
Le président Poutine veut se maintenir au pouvoir coûte que coûte. Le pouvoir est concentré dans les mains d'un clan et de quelques oligarques. La justice n'est pas indépendante, et la Russie est classée à la 127e place par l'ONG Transparency International pour l'indice de perception de la corruption.
Mais Vladimir Poutine cherche aussi à préserver et à élargir une zone d'influence à l'extérieur de la Russie. Ainsi, lors des élections européennes, il n'a pas hésité à soutenir plus ou moins ouvertement des partis anti-européens, notamment en France, au Royaume-Uni, en Hongrie et en Bulgarie. Ces partis, en retour, ont exprimé leur soutien à sa politique. Certains ont réalisé des scores très élevés. Cette politique est totalement assumée par le Kremlin. Comme un intervenant précédent l'a indiqué, le projet même de la construction européenne va à l'encontre des desseins de Poutine.
En tant qu'ONG indépendante, Russie-Libertés appelle toutes les parties au dialogue et au refus de la violence en Ukraine. La solution à la crise ne peut être que politique et diplomatique, pas militaire.
La situation en Ukraine nous préoccupe : la Commission des affaires européennes en discute régulièrement ; le groupe d'amitié France-Ukraine a organisé plusieurs auditions et rencontres, notamment avec les responsables de l'ambassade d'Ukraine en France. Je vous remercie, les uns et les autres, de vos analyses très intéressantes. J'ai beaucoup apprécié ce que vous avez dit à propos de la démocratie et des droits de l'homme. Le renforcement des institutions démocratiques, avec l'élection du président puis du parlement au suffrage universel, est une des clés de la réussite. L'Ukraine doit accorder une attention particulière aux droits humains et suivre, en la matière, les recommandations du Conseil de l'Europe, dont elle est membre. D'autre part, je ne suis pas loin de partager votre avis, monsieur Prokopiev, concernant l'attitude de la Russie à l'égard de l'Union européenne.
L'élection présidentielle du 25 mai constituait une étape importante aux yeux de l'Union européenne. M. Porochenko a été élu dès le premier tour. Comment le scrutin s'est-il déroulé dans les régions qui posent problème – Donetsk, Lougansk, Slaviansk –, mais aussi à Kharkov, ville importante de l'est de l'Ukraine dont on parle peu en ce moment ? Selon Laurent Fabius, « les conditions sont désormais réunies pour que l' Ukraine avance dans le respect des orientations décidées par ses citoyens et que les réformes nécessaires soient menées à bien, dans un esprit d'apaisement, de stabilité et de dialogue national ». La réconciliation nationale est indispensable. Comment voyez-vous la suite des événements ? Est-il possible d'engager un dialogue avec les populations de l'est de l'Ukraine ? Nous savons que les milices pro-russes sont armées par la Russie : seuls des militaires sont capables de lancer des missiles contre des avions.
Je vous remercie à mon tour de vos interventions constructives, qui nous ont beaucoup appris. Au moment où la population ukrainienne appelle de ses voeux un rapprochement avec l'Union européenne, les forces eurosceptiques n'ont jamais été aussi puissantes au sein de l'Union, comme le montrent les deux scrutins qui se sont déroulés de manière concomitante le 25 mai. Il y a un décalage entre les difficultés que nous éprouvons à construire l'Union et ce que celle-ci représente à l'extérieur. En outre, la crise ukrainienne est souvent citée comme un exemple de l'impuissance de l' Union européenne, de son incapacité à organiser une action extérieure cohérente et à réagir efficacement dans des délais appropriés. Il a notamment beaucoup été question des tiraillements franco-allemands à propos de l'Ukraine. Qu'en avez-vous perçu ? On a le sentiment que la population ukrainienne attendait davantage de l'Union européenne. Est-ce le cas ? Qu'aurait-elle pu faire de plus ?
La Russie a été invitée aux commémorations du Débarquement en raison du rôle qu'elle a joué au cours de la Seconde Guerre mondiale. Je suis très satisfait que le président ukrainien ait également été convié, l'Ukraine ayant été particulièrement touchée par ce conflit. En tant que député de Basse-Normandie, j' assisterai aux cérémonies et aurai sans doute l'occasion de saluer M. Porochenko.
L'armée ukrainienne a repris le contrôle du territoire là où c'était possible. Où en est-on aujourd'hui, monsieur le chargé d'affaires ? Quelles sont vos forces ? Comment vivez-vous cette situation ?
Madame Koulaeva, vous avez sollicité notre attention sur la situation des droits humains, notamment en Crimée. Qu'attendez-vous plus précisément de nous ?
Pouvez-vous également revenir, madame, sur les demandes d'enquête ? Vous avez mentionné l'attention particulière de la FIDH sur les enquêtes relatives aux disparitions. Nous avons aussi reçu il y a quelque temps une des personnes blessées sur Maïdan, qui a réclamé une enquête internationale afin d'établir les responsabilités en la matière.
D'autre part, que deviennent les personnes qui s'étaient organisées sur Maïdan, maintenant que la démocratie traditionnelle prend le relais avec les élections ? Comment la situation évolue-t-elle de ce point de vue ? La référence à Maïdan demeure-t-elle ?
Nous n'avons pas déployé d'observateurs électoraux dans l'est de l'Ukraine, ni à Donetsk ni à Lougansk. Cependant, une jeune femme de notre groupe, originaire de Donetsk, a décidé de se rendre dans sa ville. Pour des raisons de sécurité, elle y est allée non pas en qualité d'observateur, mais de simple témoin. Elle nous a rapporté qu'une véritable mafia s'était installée à Donetsk et que la terreur régnait dans les rues de la ville. Elle a notamment fait état de cas d'arrestations, de réquisitions de voitures, de vols de bijoux et de racket. Malgré cela, environ 10 % de la population a fait la démarche d' aller voter. Ces personnes ont trouvé les bureaux de vote grâce au bouche à oreille. Naturellement, ces suffrages n'ont pas été comptabilisés, ne serait-ce qu'en raison de l' impossibilité de vérifier les listes électorales. Mais cela montre que, même à l' est du pays, les Ukrainiens tenaient à s'exprimer dans les urnes, malgré le séparatisme ambiant.
À Kharkov, nous avons déployé une grosse équipe d'observateurs, dont mon époux a fait partie. La situation a été des plus calmes et tout s'est très bien passé. Dans tout le pays, les citoyens ont montré leur volonté de conduire le processus électoral jusqu'à son terme, dans la sérénité.
S'agissant de la réconciliation nationale, l'agression de la Russie a, en fait, mobilisé et ressoudé la nation ukrainienne, qui était jusqu'alors assez divisée. Face à la menace extérieure, des personnes qui n'étaient initialement guère favorables aux manifestations de Maïdan soutiennent désormais les efforts des autorités de Kiev. Paradoxalement, Vladimir Poutine a favorisé l'émergence d'une nation politique ukrainienne unie et déterminée.
Au début, les militants de Maïdan, dont j'ai fait partie, ont regretté que l' Union européenne ne prenne pas plus clairement et fermement position contre M. Ianoukovitch et son entourage, compte tenu de la dérive du régime. Elle n'a pas adopté les sanctions individuelles que nous réclamions. Mais la situation a changé avec l'agression de la Russie : l'Ukraine se sent désormais soutenue par la communauté internationale, tant par l' Union européenne que par les États-Unis, ce qui est essentiel dans cette période difficile.
De nombreux crimes commis pendant les manifestations de Maïdan demeurent non élucidés. Volodymyr Vassylenko, éminent juriste ukrainien qui a travaillé pour le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie à La Haye, a créé une ONG qui recueille des témoignages et réunit des preuves sur ces crimes. Le nouveau parlement ukrainien devrait autoriser la ratification du Statut de Rome. Nous pourrons alors faire appel à la Cour pénale internationale pour juger ces crimes.
En ce qui concerne le chantier démocratique qui s' ouvre après l'élection présidentielle, il est clair que l'Ukraine ne pourra pas se passer de l'aide financière des organisations internationales, notamment de l'Union européenne. À cet égard, il est essentiel que les crédits destinés à soutenir les réformes en Ukraine ne prennent pas la forme de l'aide technique qui a été accordée au cours des vingt dernières années. En effet, les conseils des consultants ne suffisent pas. Les pays de la première et de la deuxième vague d'élargissement n'ont mené leurs réformes avec succès que lorsqu'ils les ont accompagnées de véritables changements institutionnels. Il ne faut pas séparer ces deux aspects : l'aide doit être conçue en termes d'appui aux politiques publiques. L' Ukraine doit se doter d'institutions compatibles avec celles de l'Union européenne et adapter sa législation à l'acquis communautaire. C'est une condition nécessaire pour accélérer les réformes.
Auparavant, seule la Russie était invitée pour représenter l'ex-Union soviétique aux cérémonies commémorant le débarquement en Normandie. Le Quai d'Orsay nous a longtemps opposé cette pratique. Mais la situation et la perception de l'histoire ont changé. Nous remercions la partie française de son geste. Le président Porochenko a déclaré hier que cette invitation était très importante pour notre pays : elle témoigne de la volonté de l'Union européenne et de la France de soutenir l'Ukraine dans cette période de transformation.
En ce qui concerne l'engagement de l'armée ukrainienne dans le conflit, l'opération antiterroriste va se poursuivre. Les gardes-frontières ukrainiens font face à des attaques quotidiennes de mercenaires venus de Russie. La situation est loin d'être stabilisée. Chaque jour, la frontière est franchie par des camions remplis d'hommes – dont certains déclarent avoir servi le président Kadyrov en Tchétchénie et affirment leur détermination à aller jusqu'à Kiev – et d'armes provenant de Russie et, désormais, de Crimée – les plaques figurant sur ces armes permettent d'identifier le lieu de leur fabrication. Nous faisons le maximum pour arrêter cette invasion militaire. Selon le secrétaire du Conseil national de sécurité et de défense d'Ukraine, la Russie mène une guerre hybride : elle ne mobilise pas de troupes régulières, mais envoie des mercenaires pour aider les extrémistes à déstabiliser le pays. Nous nous efforçons de calmer la situation. Nous envisageons de fermer notre frontière avec la Russie.
Les séparatistes s'abritent derrière la population civile. Ils s'installent dans les quartiers résidentiels et tirent depuis les habitations. Il nous est très difficile de les déloger et de les neutraliser, car nous voulons à tout prix éviter de faire des victimes civiles. Notre stratégie est donc très différente de celle des Russes en Tchétchénie : ils avaient bombardé Grozny à l'arme lourde et détruit des quartiers entiers. Pour notre part, nous cherchons autant que possible à encercler les terroristes en dehors des zones d'habitation. C'est pourquoi l'opération prend du temps.
Les méthodes utilisées, notamment le recours aux civils comme boucliers humains, plaident pour l'emploi du terme « terroriste » plutôt que « séparatiste ».
Le terme « terroriste » est à utiliser avec précaution. Les résistants français étaient qualifiés de terroristes.
Je terminerai par deux citations. D'une part, « les ministres de la défense des États membres de l'OTAN soutiennent l'opération antiterroriste menée par les autorités ukrainiennes ». D'autre part, « l'Ukraine peut compter sur le soutien de l' OTAN dans la mise en place de la réforme de l'armée et du secteur de la défense ».
La crise ukrainienne intervient dans un contexte régional très préoccupant. La Crimée est devenue une cinquième « zone grise » après la Transnistrie, l'Abkhazie, l'Ossétie du Sud – ces trois régions ont déclaré leur indépendance et sont contrôlées, de fait, par la Russie, qui dispose de troupes importantes dans chacune d'entre elles – et le Haut-Karabakh – cette zone est officiellement occupée par l'Arménie, mais la question de la responsabilité de Moscou est posée, compte tenu de la forte présence militaire russe dans le pays. Avec l'annexion de la Crimée, de loin le plus grand et le plus peuplé de ces territoires, ce sont désormais 3,5 millions de personnes qui vivent dans ces zones de non-droit. Le droit international n'y est pas applicable, car elles relèvent en principe de l'autorité d'un pays, mais sont contrôlées par un autre.
Dans une étude que nous avons réalisée il y a quatre mois, nous évoquions déjà la forte probabilité que la Crimée finisse par rejoindre les quatre « zones grises » que j'ai citées. En effet, elle forme avec celles-ci une ligne continue, dans la zone qui sépare la Russie et l'OTAN. La prise de contrôle de la Crimée faisait partie d'un plan plus vaste. La consultation des habitants de la péninsule était en fait une question secondaire. En tout cas, la Crimée est le seul de ces cinq territoires à avoir été ouvertement rattaché à la Russie. Ce n'est que la deuxième fois depuis 1945 qu'un État annexe ainsi une partie du territoire d'un autre État, le seul précédent étant l'annexion du Koweït par Saddam Hussein en 1990. C'est donc une situation très grave au regard du droit international. Il est nécessaire de parler haut et clair sur ce dossier avec la Russie, y compris le 6 juin avec M. Poutine.
La vente programmée de navires Mistral par la France à la Russie suscite de vives réactions. L'un des bâtiments a été baptisé Sébastopol cinq mois avant l'annexion de la Crimée. Les médias russes et ukrainiens ironisent sur ce point : pour savoir quelle sera la prochaine région annexée par la Russie, il suffirait donc de connaître le nom du prochain navire livré par la France à la Russie ! Quoi qu'il en soit, cette vente revêt une forte portée symbolique et modifie la perception que l'on peut avoir de l'action de la France.
La réforme du système judiciaire ukrainien entamée en 2012 doit absolument être poursuivie. À cet égard, le parlement ukrainien jouera un rôle crucial. Le groupe d'amitié France-Ukraine peut l'encourager dans cette voie, en insistant notamment sur la transparence des enquêtes ou sur l'interdiction de l'utilisation des aveux obtenus sous la torture ou à la suite de mauvais traitements. La situation hors norme que connaît actuellement l' Ukraine ne doit pas servir de prétexte pour s'affranchir des règles en matière de droit de la défense ou de droit à un procès transparent et équitable. Dans l'est du pays, le chaos règne, et ces droits ne sont pas nécessairement respectés, y compris par la partie ukrainienne.
L'Ukraine a engagé la procédure de ratification du Statut de Rome. Nous saluons ce grand pas en avant. Saisie par Kiev, la Cour pénale internationale a commencé à enquêter sur les événements qui se sont déroulés en Ukraine jusqu'à la fin du mois de février. Selon nous, il est indispensable d'étendre le champ de l'enquête à la période suivante, de mars à aujourd'hui. L'Ukraine doit ratifier de toute urgence le Statut de Rome. Cela lui donnera un instrument supplémentaire pour garantir le respect du droit et la justice, mais aussi pour appeler l'attention de la communauté internationale sur les agissements d'autres pays sur son territoire, en particulier de la Russie.
Pendant les quatre années du mandat de M. Ianoukovitch, un travail systématique de destruction et de décomposition de l'armée et des services secrets ukrainiens a été mené par des membres de l'état-major, du service de renseignement et du service de contre-espionnage qui ont travaillé en lien direct avec Moscou. Certains d'entre eux se sont réfugiés en Russie. Mais ce réseau continue à exister, ce qui entrave sérieusement les opérations que mènent les autorités ukrainiennes dans l'est du pays.
Il convient d'être précis dans l'emploi des termes. Le séparatisme est une tendance centrifuge qui cherche à obtenir l'indépendance à l'égard du centre. Or les mouvements actuels à l'est et au sud de l'Ukraine ne sont pas internes, mais suscités de l'extérieur, par des agitateurs des services russes. En outre, leur objectif n'est pas la constitution d'un État indépendant, mais le rattachement à la Russie. Le terme de séparatisme n'est donc pas approprié. Il conviendrait plutôt de parler de groupes terroristes qui tentent de faire diversion. Ils sont soutenus par une partie de la population qui, comme je l'ai indiqué, ne souhaite vivre ni en Ukraine ni en Russie, mais revenir à l'Union soviétique.
Qu'aurait pu faire l'Union européenne ? Il nous semble qu'elle a tardé à réagir. La réélection de Vladimir Poutine en mars 2012 a été suivie d'une vague de répression et de l'adoption de lois liberticides. Dans une tribune publiée dans Libération, Russie-Libertés et d'autres ONG ont alerté l'opinion sur cette situation et appelé l'Union européenne à tenir un langage de vérité au président Poutine. Or, à notre surprise, les relations politiques et diplomatiques avec le Kremlin n'ont été en rien modifiées.
Dans notre rapport sur la corruption en Russie, que nous avons présenté devant vous le 21 mai, nous avons souligné que la corruption était le principal carburant tant du régime de M. Ianoukovitch que de celui de M. Poutine. Or les entreprises et les acteurs politiques européens ont des moyens pour lutter contre la corruption dans ces pays. Par exemple, l'aide financière à l'Ukraine pourrait être conditionnée non pas à l'application de mesures d'austérité – qui auront des conséquences néfastes pour la population –, mais à l'instauration d'une véritable transparence des opérations bancaires et des transactions financières, ainsi qu'à la mise en place de dispositifs de lutte contre la corruption qui associent la société civile. S'agissant de la Russie, nous proposons l'adoption d'une « loi Magnitski » européenne, qui permettrait de sanctionner les responsables de violations des droits humains ou d'actes de corruption sur le territoire russe.
Nous insistons sur la nécessité que tous respectent scrupuleusement les droits humains, en particulier la liberté de la presse et les droits des minorités, en Russie comme en Ukraine, à l'est comme à l'ouest. Nous appelons les parties à refuser toute solution militaire et à rechercher une issue politique et diplomatique à la crise ukrainienne.
Je vous remercie tous d'avoir participé à cette table ronde. Monsieur le chargé d'affaires, vous nous avez présenté avec beaucoup de nuances le point de vue officiel des autorités ukrainiennes. Quant à vous, mesdames, messieurs, qui représentez la société civile française ou ukrainienne, vous avez tous souligné l'importance des valeurs démocratiques, en particulier de la transparence, de la lutte contre la corruption et des droits des minorités. Il était particulièrement utile d'avoir votre éclairage, monsieur Prokopiev, à un moment où il nous est difficile d'avoir des contacts avec les officiels russes, les interlocuteurs du groupe d'amitié France-Russie étant frappés par les sanctions européennes.
Je vous remercie à mon tour de ces échanges. L'élection présidentielle du 25 mai constitue un point d'appui. Mais nous avons conscience que la situation économique demeure fragile, de même que le processus de construction démocratique dans lequel l'Ukraine s'est résolument engagée, forte de l'élan donné par Maïdan. Notre rôle – modeste – de parlementaires est d'insister sur la nécessité de conforter ce processus, et d'être présents aux côtés de l'Ukraine lors des prochaines échéances.
Vous faites une analyse sans concession, monsieur Prokopiev, de la situation en Russie, et vous êtes tout à fait dans votre rôle. Mais, comme le reconnaît le président Porochenko lui-même, l'Ukraine devra de toute façon discuter avec la Russie. Il nous appartient d'encourager un tel dialogue, notamment en marge des commémorations du débarquement.
La présence du président Poutine à ces cérémonies est parfaitement justifiée au regard de l'histoire : la Russie est l'héritière de l'Union soviétique, dont chacun connaît l'engagement dans le second conflit mondial aux côtés des Alliés. Si l'Armée rouge n'avait pas libéré le camp où mon père était emprisonné, je ne serais sans doute pas là. Quant à l'Ukraine, qui a connu des moments terribles au cours de cette guerre et dont une partie de l'histoire a été occultée, elle a aussi toute sa place aux commémorations du 6 juin. C'est une très bonne chose que le Président de la République y ait invité M. Porochenko.
À l'instar des autres démocraties, la France accorde une grande attention aux événements actuels, qui ne concernent pas seulement l'Ukraine, mais aussi les équilibres au coeur de l'Europe et au-delà. La France est proche de l'Ukraine culturellement, historiquement et même affectivement. Elle est consciente de cette relation privilégiée. Pour ma part, j' ai toujours été accueilli avec beaucoup de chaleur en Ukraine. L'Europe a mis un peu de temps à réagir, mais nous sommes aujourd'hui présents aux côtés de l'Ukraine et nous le serons plus encore à l'avenir.
La séance est levée à 18 h 10