Intervention de Sacha Koulaeva

Réunion du 4 juin 2014 à 16h30
Commission des affaires européennes

Sacha Koulaeva, responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale, à la Fédération internationale des droits humains, FIDH :

La crise ukrainienne intervient dans un contexte régional très préoccupant. La Crimée est devenue une cinquième « zone grise » après la Transnistrie, l'Abkhazie, l'Ossétie du Sud – ces trois régions ont déclaré leur indépendance et sont contrôlées, de fait, par la Russie, qui dispose de troupes importantes dans chacune d'entre elles – et le Haut-Karabakh – cette zone est officiellement occupée par l'Arménie, mais la question de la responsabilité de Moscou est posée, compte tenu de la forte présence militaire russe dans le pays. Avec l'annexion de la Crimée, de loin le plus grand et le plus peuplé de ces territoires, ce sont désormais 3,5 millions de personnes qui vivent dans ces zones de non-droit. Le droit international n'y est pas applicable, car elles relèvent en principe de l'autorité d'un pays, mais sont contrôlées par un autre.

Dans une étude que nous avons réalisée il y a quatre mois, nous évoquions déjà la forte probabilité que la Crimée finisse par rejoindre les quatre « zones grises » que j'ai citées. En effet, elle forme avec celles-ci une ligne continue, dans la zone qui sépare la Russie et l'OTAN. La prise de contrôle de la Crimée faisait partie d'un plan plus vaste. La consultation des habitants de la péninsule était en fait une question secondaire. En tout cas, la Crimée est le seul de ces cinq territoires à avoir été ouvertement rattaché à la Russie. Ce n'est que la deuxième fois depuis 1945 qu'un État annexe ainsi une partie du territoire d'un autre État, le seul précédent étant l'annexion du Koweït par Saddam Hussein en 1990. C'est donc une situation très grave au regard du droit international. Il est nécessaire de parler haut et clair sur ce dossier avec la Russie, y compris le 6 juin avec M. Poutine.

La vente programmée de navires Mistral par la France à la Russie suscite de vives réactions. L'un des bâtiments a été baptisé Sébastopol cinq mois avant l'annexion de la Crimée. Les médias russes et ukrainiens ironisent sur ce point : pour savoir quelle sera la prochaine région annexée par la Russie, il suffirait donc de connaître le nom du prochain navire livré par la France à la Russie ! Quoi qu'il en soit, cette vente revêt une forte portée symbolique et modifie la perception que l'on peut avoir de l'action de la France.

La réforme du système judiciaire ukrainien entamée en 2012 doit absolument être poursuivie. À cet égard, le parlement ukrainien jouera un rôle crucial. Le groupe d'amitié France-Ukraine peut l'encourager dans cette voie, en insistant notamment sur la transparence des enquêtes ou sur l'interdiction de l'utilisation des aveux obtenus sous la torture ou à la suite de mauvais traitements. La situation hors norme que connaît actuellement l' Ukraine ne doit pas servir de prétexte pour s'affranchir des règles en matière de droit de la défense ou de droit à un procès transparent et équitable. Dans l'est du pays, le chaos règne, et ces droits ne sont pas nécessairement respectés, y compris par la partie ukrainienne.

L'Ukraine a engagé la procédure de ratification du Statut de Rome. Nous saluons ce grand pas en avant. Saisie par Kiev, la Cour pénale internationale a commencé à enquêter sur les événements qui se sont déroulés en Ukraine jusqu'à la fin du mois de février. Selon nous, il est indispensable d'étendre le champ de l'enquête à la période suivante, de mars à aujourd'hui. L'Ukraine doit ratifier de toute urgence le Statut de Rome. Cela lui donnera un instrument supplémentaire pour garantir le respect du droit et la justice, mais aussi pour appeler l'attention de la communauté internationale sur les agissements d'autres pays sur son territoire, en particulier de la Russie.

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