Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 17 juin 2014 à 17h00
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

Sans remettre en cause votre volonté de transparence, madame la secrétaire d'État, vous ne disposez que de peu d'informations. En effet, il s'agit d'une matière communautaire et c'est la Commission européenne qui pilote la négociation, situation ingrate pour le ministre chargé du commerce extérieur que je fus et que vous êtes aujourd'hui. La France peut peser au moment de l'élaboration du mandat de négociation, puis de manière indirecte au cours des discussions et, dans cette étape, le Parlement peut vous aider à influencer le négociateur européen, tâche d'autant plus délicate que celui-ci quittera ses fonctions à l'automne prochain. Au cours du comité stratégique de suivi de la négociation que vous avez réuni hier, M. Jean-Luc Demarty, directeur général du Commerce à la Commission européenne, a bien fait savoir que c'était la Commission qui était chargée des discussions avec les États-Unis – car ce n'est sûrement pas la Basse-Normandie !

Le groupe UMP reste favorable à la négociation d'un partenariat transatlantique, car l'expansion du commerce est porteuse d'opportunités pour la croissance et l'emploi – même si elles sont difficiles à évaluer –, notamment dans le secteur industriel.

Le traité sera-t-il mixte ? M. Demarty n'a pas apporté de réponse claire à cette question. Il sera très difficile de forcer les États fédérés à abaisser les barrières normatives en matière de marchés publics, et il nous faudra exercer une pression sur le négociateur européen pour qu'il ne se rende pas aux arguments des Américains qui se réfugieront derrière leur Constitution et les prérogatives des États fédérés pour refuser des ouvertures trop importantes.

La publication du mandat sera difficile en raison de l'opposition de certains États membres, et le compte rendu des cycles de négociations restera théorique, car il serait étonnant que M. Demarty présente un état des lieux à tous les parlements nationaux après chaque session de discussion. Cela limitera l'association des parlements, alors que celle-ci est indispensable pour l'information des opinions publiques et pour le renforcement de la position de l'exécutif dans ses rapports avec les Américains et avec le commissaire européen chargé du commerce.

S'agissant du Buy American Act, il convient d'empêcher son application aux matières qui seront contenues dans le traité ou, à défaut, d'élaborer une législation européenne similaire. En effet, cette réciprocité est indispensable pour que nos PME ne soient pas pénalisées dans l'accès aux marchés publics.

Un tsunami normatif américain s'abat sur les entreprises des deux côtés de l'Atlantique, et nous devons faire face à l'expansion de l'extraterritorialité de la loi américaine. Dans l'affaire BNP Paribas, j'ai été scandalisé par le dédain avec lequel le président Obama a traité notre pays lorsqu'il a affirmé que, dans son pays, la justice agissait sans instructions, car tel était le cas dans un État de droit et dans une vraie démocratie. Il faut empêcher ces sanctions unilatérales qui ne reposent sur aucun fondement juridique international. Les Américains punissent la plus grande banque française d'avoir utilisé le dollar sans avoir rattaché cette activité au sol américain, alors que la loi des États-Unis dispose que ces opérations rendent leurs auteurs comptables devant les tribunaux américains, en l'occurrence le procureur de l'État de New York, alors même qu'elles ne sont pas illégales et que cette responsabilité n'est prévue par aucune norme internationale. Ce saccage de BNP Paribas se déroule au moment même où des émissaires des entreprises américaines font la queue dans les hôtels de Téhéran pour entrer en affaires avec l'Iran !

Tous les groupes du CAC 40 évoluant aux États-Unis sont soumis à la législation américaine pour des aspects touchant à l'autodélation, à la délation des conduites à l'intérieur de l'entreprise, à la coopération avec la justice américaine, et toutes sont pénalisées. Puisque les normes font partie des discussions commerciales avec les États-Unis, il est impensable de ne pas aborder la question des services financiers et d'accepter que la loi américaine s'applique à nos entreprises alors que les entreprises américaines échappent le plus souvent à la loi européenne, y compris fiscale. En même temps qu'un procureur de l'État de New York casse une grande banque française avec la bénédiction du président américain, un groupe américain achète un fleuron de l'industrie française qui souffre de sous-capitalisation du fait de l'insuffisance de ressources en France, alors même que son activité s'avère prospère et solide. Où sont l'égalité et la réciprocité ? J'ai suggéré hier à M. Demarty de faire une pause dans les négociations et de poser ces questions aux Américains – l'idée ne lui en était pas venue. Madame la secrétaire d'État, vous devriez donc ouvrir une consultation avec l'ensemble de nos groupes travaillant aux États-Unis afin de savoir à quel point ils se trouvent déjà soumis au droit américain. Nous devons dire à nos partenaires américains que, s'ils ne renoncent pas à l'extraterritorialité systématique de leur droit, l'Europe se dotera d'une législation équivalente. Dans le cas contraire, nous deviendrions de simples sous-traitants de l'industrie américaine.

L'exclusion de l'audiovisuel et de la défense du mandat de négociation est contre-productive. En effet, les Européens ne peuvent rien vendre au Pentagone sans passer par une société américaine qui commandera la totalité de l'investissement français ou européen aux États-Unis, comme l'a montré le cas de BAE Systems. À l'inverse, les sociétés américaines d'armement font leurs achats en Europe en pénétrant dans tous les secteurs et tous les pays. Le Gouvernement doit se pencher sur ce déséquilibre structurel et juridique, l'affaire BNP Paribas ne représentant pas une exception, mais un cas parmi beaucoup d'autres. Je souhaite une négociation commerciale avec les États-Unis, mais elle doit se faire à jeu égal ou, comme ils disent, sur un « level playing field ».

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