COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES
Mardi 17 juin 2014
Présidence de Mme Danielle Auroi, Présidente de la Commission, et de Mme Elisabeth Guigou, Présidente de la Commission des affaires étrangères,
La séance est ouverte à 17 heures 05
Audition, conjointe avec la Commission des affaires étrangères, de Mme Fleur Pellerin, secrétaire d'État au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, sur le projet de partenariat transatlantique
M. Pierre Lellouche souhaite prendre la parole avant que l'audition de Mme Fleur Pellerin ne débute.
Je suis chargé de la rédaction d'un rapport en vue de la ratification par notre assemblée d'une convention internationale de l' Union postale universelle. Après étude du dossier avec l'un des administrateurs de la commission des affaires étrangères, nous nous sommes aperçus que le texte, datant de 2008, avait été modifié en 2012 et que la nouvelle version abrogeait les précédentes. Je suggère donc que nous mettions un terme au processus de ratification de la convention de 2008 et que nous lancions celui du texte de 2012, actuellement examiné par le secrétariat général du Gouvernement.
Il serait utile, madame la présidente, que vous demandiez au ministère des affaires étrangères et du développement international pourquoi nous est transmis un texte abrogé.
Nous interrogerons le ministère des affaires étrangères et lui demanderons également si le retrait du texte n'entraînerait pas des difficultés juridiques.
Les mécanismes de ratification des accords internationaux souffrent d'une grande lenteur. Nous devons en outre faire face à un problème d'engorgement, puisque, depuis le début de la législature, cinquante-six accords internationaux ont été examinés par l' Assemblée nationale et que trente-neuf attendent de l'être. Dans le cas des textes dont vous parlez, il s'est écoulé deux ans entre leur signature et leur dépôt au Parlement ; le Sénat a ensuite mis deux ans à les étudier et ils sont en instance à l'Assemblée depuis un an : cinq ans au total, ce qui est inadmissible. Il faut néanmoins préciser que les projets sont élaborés par différents services de l'administration avant d'être transmis au Parlement et que la phase la plus longue s'avère celle de la rédaction de l'étude d'impact, attachée au projet de loi et obligatoire depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Le Gouvernement avait ainsi mis deux ans et demi pour déposer la version de la convention postale signée en 2004.
La Commission en vient à l'audition de Mme Fleur Pellerin, secrétaire d'État au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, sur le projet de partenariat transatlantique.
Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes, et moi-même remercions Fleur Pellerin, secrétaire d' État au commerce extérieur, à la promotion du tourisme et aux Français de l'étranger, d'avoir accepté notre invitation.
Les négociations sur le partenariat transatlantique suscitent une forte mobilisation de l' opinion publique, ce qui est légitime, car les enjeux sont importants. L'Assemblée nationale a clairement exprimé sa position il y a un an lors de la définition du mandat de négociation, dans le cadre d'une proposition de résolution défendue par Seybah Dagoma. Le 22 mai dernier, nous avons à nouveau débattu de la question et adopté une nouvelle résolution demandant la poursuite des négociations, mais exigeant la transparence et l'information du Parlement par le Gouvernement. Madame la secrétaire d'État, où en sommes-nous des demandes d'information que nous vous avons adressées ? Le mandat de négociation sera-t-il publié, comme l'a réclamé le Gouvernement, sachant que l'unanimité des gouvernements de l'Union européenne est requise en la matière ? Cinq sessions de négociations se sont tenues : nous souhaiterions que vous fassiez le point sur l'avancement des discussions, notamment sur la question des marchés publics.
Les États membres ont confié un mandat clair à la Commission européenne. Nos intérêts défensifs – touchant à des questions au sujet desquelles nous devons nous protéger – nous font refuser les poulets chlorés, les boeufs aux hormones et toutes les dispositions qui abaisseraient la législation européenne en matière de protection sanitaire. Nous avons également demandé l'exclusion des secteurs de la défense et de l'audiovisuel. Nos intérêts offensifs concernent le secteur financier, nos entreprises, très dynamiques, devant pouvoir entrer sur le marché américain : le rapprochement des normes européennes et américaines nous profiterait dans tous les domaines, notamment dans celui-ci. Enfin, la question des marchés publics se trouve sur la table des négociations.
Lors du débat sur la résolution, nous avons exprimé notre inquiétude sur l'éventuelle mise en place d'un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, car l'expérience de l'accord de libre-échange nord-américain (ALENA) soulève des craintes légitimes et son insertion dans le traité pourrait permettre à des entreprises de contester une loi européenne ou nationale.
Depuis le 22 mai dernier, la question de l'exterritorialité se pose avec davantage d'acuité encore, puisque la banque BNP Paribas se trouve exposée au paiement d'une lourde sanction financière prononcée par la justice américaine. Je comprends la réaction de ceux qui considèrent qu'une telle menace de mort – car c'est bien de cela qu'il s'agit – rend vaine la négociation d'un partenariat économique. Mais on peut également considérer que celui-ci pourrait rendre impossible à l'avenir ce genre de traitement discriminatoire à l'encontre des banques européennes.
La Commission des affaires européennes suit avec vigilance les négociations de libre-échange entre l'Union européenne et les États-Unis. Nous avons d'ailleurs adopté deux résolutions sur le mandat de négociation du projet d' accord transatlantique. Le groupe de travail créé au sein de notre commission a procédé à l' audition de représentants de la société civile : tous ont exprimé une grande inquiétude, que n' apaisent ni les lignes rouges ni les perspectives de croissance, certains craignant que nos intérêts ne soient sacrifiés au cours de la négociation. Aussi convient-il de garantir une plus grande transparence des discussions au profit des parlementaires et de la société civile – vous avez d'ailleurs commencé à le faire, madame la secrétaire d' État. Les parlements nationaux seront amenés à ratifier l'accord, même s'ils ne pourront pas l'amender : aussi est-il important de les informer régulièrement. Mais cette information doit également bénéficier au Parlement européen.
La représentation nationale aura-t-elle à se prononcer prochainement sur la ratification des accords de libre-échange signés par l'Union européenne avec la Colombie et le Pérou, et dont certaines dispositions se trouvent déjà appliquées ? Par ailleurs, des négociations sont actuellement conduites avec le Mercosur et avec l'Inde, et il y a lieu de ne pas se focaliser sur la seule discussion avec les États-Unis.
La transparence est importante, mais le point fondamental reste la qualité de l'accord. Mme Élisabeth Guigou a rappelé les lignes rouges, que nous saurons défendre comme l'ont montré la promotion de l'exception culturelle européenne et la prise en compte des préférences collectives des citoyens européens, avant la décision relative au mandat. Néanmoins, la menace de remises en cause plane constamment. Ainsi, s'agissant de l'harmonisation des normes, est-il raisonnable de s'engager dans la négociation alors que les États-Unis refondent actuellement leur législation en matière de sécurité sanitaire des aliments sans que nous disposions d'informations sur le contenu des nouvelles normes ? Des lignes rouges pourraient ainsi être franchies par simple modification de la loi américaine.
Le choix du mécanisme de règlement des différends suscite également de fortes inquiétudes, car il pourrait remettre en cause la souveraineté des États et leur capacité à légiférer. L'Allemagne rencontre déjà des difficultés en la matière, pendant que Veolia attaque l' Égypte et Philip Morris, l'Australie. Nous comptons sur le Gouvernement français pour que la Commission européenne et la commission des affaires étrangères élaborent un compte rendu sérieux et détaillé de la consultation en cours. Il convient que le Gouvernement français nous informe des options discutées : soit un mécanisme de règlement des différends entre les États et les investisseurs, soit un système de recours au juge national.
Ces négociations pourront-elles aboutir dans le calendrier très resserré qu'imposent les échéances électorales américaines – élection de mi-mandat à l'automne prochain et élection présidentielle dans deux ans –, étant donné que le Congrès américain refusera très probablement d'accorder au président Obama l'instrument du fast-track ?
Certains considèrent que nous n'aurions rien à gagner dans ces négociations : rien n'est plus faux. Il est tout aussi erroné d'affirmer que notre partenaire américain pourrait se détourner de l'Europe au profit d'autres grandes régions du monde, les Américains négociant actuellement d'autres traités de libre-échange. Les économies européenne et américaine sont d'ores et déjà très intégrées, et il s'avère nécessaire de s'interroger sur la meilleure manière d'améliorer des relations commerciales aussi privilégiées dans un esprit de réciprocité, de vigilance, d'exigence et de transparence.
La France et les États-Unis sont des partenaires majeurs l'un pour l'autre. Cette relation s'appuie sur le dynamisme des échanges, qu'il s'agisse d'investissements directs étrangers (IDE) ou de commerce. Les États-Unis sont le premier client de la France hors de l'Union européenne, le premier investisseur étranger et le premier destinataire de nos IDE. Nos investissements croisés, d'une densité exceptionnelle, représentent une source d'emplois et de croissance. Les États-Unis constituent les premiers investisseurs étrangers en France avec près de 20 % des capitaux étrangers investis dans nos entreprises, la moitié de ces investissements se portant dans l'industrie. Ces investissements génèrent 450 000 emplois au total dans notre pays. Avec près de 20 % du total des investissements français à l'étranger, les États-Unis représentent la première destination des investissements français à l'étranger. La France est devenue en 2012 le cinquième investisseur étranger aux États-Unis, en progression de deux places. Aujourd'hui, plus de 2 300 entreprises françaises emploient 500 000 Américains et réalisent un chiffre d'affaires cumulé supérieur à 170 milliards d' euros.
En dépit des idées reçues et des clichés, l'économie française est l'une des plus ouvertes du monde. La France est le cinquième récipiendaire en matière d'investissements étrangers, et le premier pour les investissements étrangers dans l'industrie en Europe. Les chiffres de 2013 publiés par le cabinet Ernst & Young ont encore récemment confirmé cette attractivité.
Nos échanges commerciaux sont également dynamiques. Mis à part l' Union européenne, les États-Unis sont notre premier client et notre deuxième fournisseur, avec près de 60 milliards d'euros échangés : 22 000 entreprises françaises exportent aujourd'hui aux États-Unis, dont 80 % sont des petites et moyennes entreprises et des entreprises de taille intermédiaire ; la France s'avère ainsi le neuvième fournisseur des États-Unis, avec une part de marché qui a progressé l'année dernière.
La France est la sixième puissance exportatrice mondiale et le quatrième exportateur mondial dans le secteur agro-alimentaire. Défendre nos exportations et l'accès au marché des pays tiers revient donc à stimuler notre économie, nos emplois et notre croissance.
Les États-Unis sont aussi le premier partenaire scientifique de la France, notamment dans la coopération universitaire. Le Président de la République a d'ailleurs inauguré à San Francisco, en février 2014, un incubateur de start-up françaises.
Cette relation très dense doit maintenant se renouveler et se projeter vers l'avenir. L'idée du partenariat commercial transatlantique (PCT) n'est pas neuve : elle date des années 1990 et s'est traduite par le lancement, en 1995, d'un dialogue économique transatlantique. En 2013, nous avons décidé d'aller plus loin en ouvrant des négociations pour un accord dépassant le seul cadre commercial. Cette entreprise présente, comme toute négociation, des défis et des difficultés, et elle se heurte, de part et d'autre, à des sensibilités légitimes.
Le Gouvernement défend un objectif ambitieux : accéder aux marchés publics américains au niveau fédéral et fédéré, protéger les indications géographiques, alléger les coûts réglementaires pour nos exportateurs de cosmétiques, de médicaments, de biens industriels, de produits alimentaires, de vêtements par la suppression des barrières non tarifaires que constituent les procédures très lourdes d'enregistrement, d'agrément ou de recertification. Nous essaierons également de cheminer vers la reconnaissance mutuelle des normes – lorsque ce sera possible et souhaitable – et vers l'adoption de futures normes compatibles pour les nouveaux secteurs, comme les véhicules électriques et la 5G, et qui pourraient devenir une référence mondiale. Nous souhaitons ainsi permettre à l'Europe de prescrire davantage les normes et les standards. Ceux-ci sont devenus un élément essentiel de la compétitivité mondiale. Hier, l'Europe a triomphé avec la norme mobile GSM, ce qui a entraîné de considérables retombées économiques. Nous devons renouer avec de tels succès.
Notre objectif n'est donc pas seulement de réduire les droits de douane, qui sont déjà faibles des deux côtés de l'Atlantique, mais d'abaisser les barrières non tarifaires pour que les produits français soient exportés plus facilement vers les États-Unis.
Naturellement, on n'entre pas dans une négociation en ayant seulement à l'esprit ce que l'on peut y gagner, si bien que nous avons défini ce que nous ne sommes pas prêts à discuter et avons exclu ces matières du mandat de négociation.
Nous souhaitons évidemment signer un accord équilibré, le risque d'un texte déséquilibré existant pour toute négociation. Le Gouvernement sera donc très vigilant sur le résultat qu'obtiendra la Commission européenne. Les États européens partent avec un certain handicap face aux États-Unis, car nos intérêts offensifs portent essentiellement sur les aspects non tarifaires et réglementaires qui sont plus délicats à négocier que les aspects tarifaires, les dispositifs américain et européens s'avérant assez différents. À cet égard, une application insuffisante d'un accord transatlantique aux États fédérés américains conduirait à un résultat final déséquilibré, et donc inacceptable pour l'Union européenne et pour la France : il s'agit donc d'un point dur à défendre.
Les produits agricoles sont sensibles pour l'Union européenne du fait du différentiel de compétitivité. La France et la Pologne ont ainsi demandé à la Commission européenne de ne pas libéraliser complètement un certain nombre de produits sensibles – qui représentent 4 % des lignes agricoles correspondant à 0,6 % des importations – dont la viande de boeuf, de porc et de volaille, le maïs doux, les produits amylacés, le bioéthanol, le rhum et les ovoproduits.
Afin de prendre en compte les choix des citoyens, la France et l'Union européenne ont toujours adopté une attitude prudente, fondée sur le principe de précaution, conduisant à exclure la décontamination chimique des viandes – les poulets chlorés – ou l'utilisation de promoteurs de croissance – hormones – en élevage. La Commission européenne a assuré publiquement qu'elle défendrait nos positions, et nous y veillerons. En tout état de cause, la législation européenne ne sera pas modifiée par l'accord avec les États-Unis. Il est faux d'affirmer que se négocie, dans ces discussions, une révision à la baisse de nos normes sanitaires et phytosanitaires dans le secteur agro-alimentaire.
Le maintien de l'exclusion des services audiovisuels dans les engagements de libéralisation des services constitue une ligne rouge. Garantie par le mandat de négociation, cette exclusion sera assurée dans le respect du principe de neutralité technologique. L'introduction d'un concept de produit numérique ne pourra ainsi pas remettre en cause l'exception culturelle.
Il convient d'assurer la réciprocité dans l'ouverture des marchés publics entre les entreprises américaines dans l'Union européenne et les entreprises européennes aux États-Unis. Or l'Europe est aujourd'hui presque totalement ouverte pour les États-Unis, alors que les acteurs européens n'ont accès qu'à 47 % des marchés américains. Je répéterai personnellement au négociateur américain qu'il s'agit là d'un point dur de l'accord, lorsque je le rencontrerai la semaine prochaine à Washington.
La protection des données personnelles n'est pas négociée dans le cadre de l' accord et aucune disposition du texte, notamment dans son volet relatif au commerce électronique, ne devra affecter le niveau de protection des données personnelles dans l'Union européenne.
Le niveau de protection de la santé, de l'environnement et des consommateurs en Europe, assuré par les législations internes, sera pleinement respecté. Les normes européennes en matière de décontamination chimique des viandes, d' organismes génétiquement modifiés ( OGM ) et de promoteurs de croissance ne seront pas modifiées.
Nous défendons la reconnaissance des indications géographiques. L'utilisation abusive des appellations françaises, génériques ou semi-génériques, comme le champagne, doit être proscrite par une protection efficace des indications géographiques, alors que les Américains défendent davantage les marques que les indications géographiques.
Dans le cadre du débat engagé sur le dispositif d'arbitrage dans le chapitre « protection des investissements », la Commission a pris en compte, dès l'adoption du mandat, l'exigence des États membres de préserver leur droit à réguler. À l'issue de la consultation publique que la Commission a ouverte en mars dernier à la demande de la France et qui s'achèvera le 6 juillet prochain, la Commission remettra, à l'automne, un rapport aux États membres et au Parlement européen, dont les conclusions devront être intégrées dans les négociations. Ce sujet est compliqué, car, à l'instar de ses partenaires européens, la France a signé avec des pays tiers plus de quatre-vingt-dix accords bilatéraux qui visent à protéger les intérêts de nos entreprises à l'étranger et qui ont tous été approuvés par la représentation nationale. Nous avons donné mandat à la Commission de négocier des accords de protection de nos investissements avec de nombreux pays. Nous devrons décider après la consultation publique si nous souhaitons un accord de ce type avec les Américains et ce que nous souhaiterions y insérer.
Le débat sur le traité transatlantique ne touche pas que le fond des dossiers. Il s'attache aussi à la méthode de négociation d'un traité commercial de cette ampleur et, plus largement, à la question de la nécessaire transparence démocratique. L' exigence de transparence accrue qu'ont formulée les parlementaires et la société civile rejoint la position constante de la France depuis deux ans. Le 22 mai dernier, à l'occasion de l'examen de la proposition de résolution du groupe GDR, nous avons eu un débat important sur cette question. À mon sens, il ne s'agit plus aujourd'hui de parler de transparence, mais de la mettre en pratique ; c'est la raison pour laquelle je me suis engagée à venir devant vos commissions après chaque cycle de négociations afin de vous donner un aperçu précis et actualisé de l'état des discussions.
J'ai également demandé que les modalités de transmission des documents du Conseil à cette assemblée soient clarifiées : un travail a été engagé en ce sens par le secrétariat général aux affaires européennes ( SGAE ) avec la commission des affaires européennes. Je rappelle que les documents du Conseil – comme le mandat de négociation – sont transmis par un canal sécurisé. Par ailleurs, le Gouvernement a décidé de vous communiquer les comptes rendus confidentiels rédigés par la Commission après chaque session de négociation. Il est toutefois nécessaire de clarifier les règles de confidentialité d'accès à ces documents au sein de la commission des affaires européennes, car ces documents seront strictement réservés à votre usage, et je vous laisse le soin de poursuivre cette réflexion avec le SGAE.
Le Gouvernement a soutenu la publication du mandat donné à la Commission européenne, mais cette procédure nécessite l'unanimité des États membres et onze d'entre eux s' y sont opposés. En outre, j'ai demandé qu'un document à usage public soit diffusé par la Commission après chaque round de négociation et j'attends la réponse de M. Karel De Gucht, commissaire européen chargé du Commerce.
Le cinquième cycle de négociations s'est tenu à Washington du 19 au 23 mai dernier. La première année de discussion avec les États-Unis aura permis aux négociateurs de bien cerner les difficultés à surmonter, mais elle n'a obtenu que peu d'avancées substantielles. Ainsi, plusieurs blocages de nature technique et politique ne sont pas résolus depuis la fin de 2013.
Les deux parties affirment leur volonté de parvenir à un démantèlement complet des tarifs en matière d'accès au marché des biens, mais les offres actuellement en discussion ne traduisent pas cette volonté, l'offre américaine s'avérant encore largement inférieure à celle de l'Union européenne.
S'agissant des services, l'échange d'offres en cours ne devrait pas régler le problème tenant au refus des États-Unis de dresser la liste des mesures non conformes aux principes de l'accord qui existent dans le droit des États fédérés. Il n'y a pas non plus d'accord à ce stade sur les modalités de négociation, c'est-à-dire sur le choix d'une liste négative ou positive. L'offre de l'Union européenne sera présentée dans les prochains jours sous l'aspect d'une liste positive qui énumère les services ouverts – et dans laquelle ne figurent ni l'audiovisuel ni les services publics – alors que celle des États-Unis est de nature négative, puisqu'elle indique les services qui ne sont pas ouverts.
Actuellement, les États-Unis continuent de refuser l'inclusion d'un volet sur la coopération réglementaire dans les services financiers ; or cette question représente un enjeu offensif important pour l'Union européenne.
Les États-Unis refusent également le principe du traitement national en matière de marchés publics, c'est-à-dire de traiter les entreprises européennes comme les américaines, au motif que cela remettrait partiellement en cause les mesures du Buy American Act. Ils se retranchent, de manière injustifiée, derrière la compétence des États fédérés pour exclure tout engagement en matière d'accès aux marchés publics fédérés, même lorsque ceux-ci bénéficient de financements fédéraux. Il s'agit d'un point dur aux yeux de la Commission européenne, et nous soutenons cette position.
Les États-Unis écartent les pistes de travail proposées par la Commission pour renforcer la protection des indications géographiques et préfèrent leur système de marque commerciale. Ce sujet constitue également un point dur pour la Commission européenne et pour la France.
La France exerce la plus grande vigilance sur le dossier de la protection de l'investissement. Les discussions sont suspendues jusqu'au résultat de la consultation publique européenne sur le mécanisme d'arbitrage entre investisseurs et État, qui s'achèvera le 6 juillet prochain. Dans le courant de l'été, la Commission européenne rédigera un rapport synthétisant les dizaines de milliers de réponses reçues : il sera débattu, probablement après l'installation de la nouvelle Commission le 1er novembre prochain, avec les États membres et le Parlement européen.
La convergence réglementaire constitue un enjeu majeur des négociations et fait également l'objet de divergences marquées. Peu d'avancées ont été enregistrées sur la dizaine de secteurs en discussion – dont la chimie, les cosmétiques, la pharmacie, les équipements médicaux, l'automobile ou le textile. Les négociations sur les obstacles techniques au commerce se heurtent au problème de l'application de l'accord aux États fédérés. Le point de blocage majeur concerne la nécessaire intégration des États fédérés américains, comme cela a été le cas avec le Canada.
Au terme de ce cinquième cycle de négociations, et compte tenu du contexte politique américain de la fin de l'année 2014 et du début de 2015 qui sera marqué par les élections de mi-mandat et par l'adoption éventuelle, par le Congrès, d'un mandat de fast-track confié aux négociateurs américains, très peu de progrès sont à espérer à court terme.
La prochaine session de négociation se tiendra lors de la semaine du 14 juillet prochain à Bruxelles, puis en septembre aux États-Unis. Elles seront suivies d'un exercice de « stock taking », qui verra les négociateurs dresser l'état des lieux des discussions en octobre, puis d'un conseil informel des ministres du commerce extérieur auquel je participerai le 15 octobre.
Mon intention est de vous tenir régulièrement informés et de revenir devant vos deux commissions à l'automne pour faire un nouveau point. Votre intérêt pour cette négociation s'avère utile et nécessaire, et je me réjouis de poursuivre nos échanges de façon constructive afin de vous informer et de recueillir vos points de vue, qui alimentent la position de la France dans les instances européennes.
Les négociations avec le Canada sont sur le point de s'achever, mais nous n'avons pas encore eu connaissance du texte définitif, que la France attend avant de se prononcer sur l' accord. Ce traité sera de nature mixte et requerra donc la ratification des États membres et du Parlement européen. Les accords avec le Pérou et la Colombie sont provisoirement entrés en vigueur les 1er mars 2013 et 1er août 2013 ; le ministère des affaires étrangères a transmis un projet de loi de ratification le 28 avril dernier au secrétariat général du Gouvernement. À la suite de la consultation interministérielle, le Conseil d'État examinera le texte au plus tôt au mois de juillet, puis le Conseil des ministres en sera saisi et, enfin – mais pas avant le mois d'octobre –, le Parlement.
Les organisations syndicales et de consommateurs nous ont alertés sur certains sujets, mais rares sont celles qui souhaitent rompre le processus de négociation. La résolution européenne adoptée par notre assemblée répond d'ailleurs largement à leurs inquiétudes.
Les points de vigilance que vous avez exposés sont-ils partagés par les autres pays de l'Union européenne ?
Les collectivités territoriales expriment à leur tour des préoccupations. Ainsi, le conseil régional de Basse-Normandie a émis un voeu le 24 avril dernier dans lequel il exprime des réserves sur le déroulement des négociations en cours. Certaines collectivités contestent même que l'Union européenne ait pu entrer dans ce processus avec les États-Unis. Serait-il possible d'informer les collectivités territoriales de l'état d'avancement des discussions ?
Les États-Unis ont-ils également identifié des points de vigilance et défini des lignes rouges ?
Sans remettre en cause votre volonté de transparence, madame la secrétaire d'État, vous ne disposez que de peu d'informations. En effet, il s'agit d'une matière communautaire et c'est la Commission européenne qui pilote la négociation, situation ingrate pour le ministre chargé du commerce extérieur que je fus et que vous êtes aujourd'hui. La France peut peser au moment de l'élaboration du mandat de négociation, puis de manière indirecte au cours des discussions et, dans cette étape, le Parlement peut vous aider à influencer le négociateur européen, tâche d'autant plus délicate que celui-ci quittera ses fonctions à l'automne prochain. Au cours du comité stratégique de suivi de la négociation que vous avez réuni hier, M. Jean-Luc Demarty, directeur général du Commerce à la Commission européenne, a bien fait savoir que c'était la Commission qui était chargée des discussions avec les États-Unis – car ce n'est sûrement pas la Basse-Normandie !
Le groupe UMP reste favorable à la négociation d'un partenariat transatlantique, car l'expansion du commerce est porteuse d'opportunités pour la croissance et l'emploi – même si elles sont difficiles à évaluer –, notamment dans le secteur industriel.
Le traité sera-t-il mixte ? M. Demarty n'a pas apporté de réponse claire à cette question. Il sera très difficile de forcer les États fédérés à abaisser les barrières normatives en matière de marchés publics, et il nous faudra exercer une pression sur le négociateur européen pour qu'il ne se rende pas aux arguments des Américains qui se réfugieront derrière leur Constitution et les prérogatives des États fédérés pour refuser des ouvertures trop importantes.
La publication du mandat sera difficile en raison de l'opposition de certains États membres, et le compte rendu des cycles de négociations restera théorique, car il serait étonnant que M. Demarty présente un état des lieux à tous les parlements nationaux après chaque session de discussion. Cela limitera l'association des parlements, alors que celle-ci est indispensable pour l'information des opinions publiques et pour le renforcement de la position de l'exécutif dans ses rapports avec les Américains et avec le commissaire européen chargé du commerce.
S'agissant du Buy American Act, il convient d'empêcher son application aux matières qui seront contenues dans le traité ou, à défaut, d'élaborer une législation européenne similaire. En effet, cette réciprocité est indispensable pour que nos PME ne soient pas pénalisées dans l'accès aux marchés publics.
Un tsunami normatif américain s'abat sur les entreprises des deux côtés de l'Atlantique, et nous devons faire face à l'expansion de l'extraterritorialité de la loi américaine. Dans l'affaire BNP Paribas, j'ai été scandalisé par le dédain avec lequel le président Obama a traité notre pays lorsqu'il a affirmé que, dans son pays, la justice agissait sans instructions, car tel était le cas dans un État de droit et dans une vraie démocratie. Il faut empêcher ces sanctions unilatérales qui ne reposent sur aucun fondement juridique international. Les Américains punissent la plus grande banque française d'avoir utilisé le dollar sans avoir rattaché cette activité au sol américain, alors que la loi des États-Unis dispose que ces opérations rendent leurs auteurs comptables devant les tribunaux américains, en l'occurrence le procureur de l'État de New York, alors même qu'elles ne sont pas illégales et que cette responsabilité n'est prévue par aucune norme internationale. Ce saccage de BNP Paribas se déroule au moment même où des émissaires des entreprises américaines font la queue dans les hôtels de Téhéran pour entrer en affaires avec l'Iran !
Tous les groupes du CAC 40 évoluant aux États-Unis sont soumis à la législation américaine pour des aspects touchant à l'autodélation, à la délation des conduites à l'intérieur de l'entreprise, à la coopération avec la justice américaine, et toutes sont pénalisées. Puisque les normes font partie des discussions commerciales avec les États-Unis, il est impensable de ne pas aborder la question des services financiers et d'accepter que la loi américaine s'applique à nos entreprises alors que les entreprises américaines échappent le plus souvent à la loi européenne, y compris fiscale. En même temps qu'un procureur de l'État de New York casse une grande banque française avec la bénédiction du président américain, un groupe américain achète un fleuron de l'industrie française qui souffre de sous-capitalisation du fait de l'insuffisance de ressources en France, alors même que son activité s'avère prospère et solide. Où sont l'égalité et la réciprocité ? J'ai suggéré hier à M. Demarty de faire une pause dans les négociations et de poser ces questions aux Américains – l'idée ne lui en était pas venue. Madame la secrétaire d'État, vous devriez donc ouvrir une consultation avec l'ensemble de nos groupes travaillant aux États-Unis afin de savoir à quel point ils se trouvent déjà soumis au droit américain. Nous devons dire à nos partenaires américains que, s'ils ne renoncent pas à l'extraterritorialité systématique de leur droit, l'Europe se dotera d'une législation équivalente. Dans le cas contraire, nous deviendrions de simples sous-traitants de l'industrie américaine.
L'exclusion de l'audiovisuel et de la défense du mandat de négociation est contre-productive. En effet, les Européens ne peuvent rien vendre au Pentagone sans passer par une société américaine qui commandera la totalité de l'investissement français ou européen aux États-Unis, comme l'a montré le cas de BAE Systems. À l'inverse, les sociétés américaines d'armement font leurs achats en Europe en pénétrant dans tous les secteurs et tous les pays. Le Gouvernement doit se pencher sur ce déséquilibre structurel et juridique, l'affaire BNP Paribas ne représentant pas une exception, mais un cas parmi beaucoup d'autres. Je souhaite une négociation commerciale avec les États-Unis, mais elle doit se faire à jeu égal ou, comme ils disent, sur un « level playing field ».
Madame la secrétaire d'État, la Commission européenne vous dit-elle tout ce qu'elle sait et tout ce qu'elle négocie vraiment ?
Le secteur de la défense a-t-il été introduit dans le champ de la négociation ?
La convention sur le centre international de règlement des différends sur l'investissement constitue une clause majeure des accords de protection de l'investissement que la France signe depuis de nombreuses années.
J'ai posé au Gouvernement une question écrite sur l'extraterritorialité : ne pourrait-on demander à la banque Goldman Sachs des explications sur son rôle dans les problèmes de la Grèce ? Les Américains comprendraient vite le message. Je reviens de Washington où certains de mes interlocuteurs se sont montrés sensibles à cette question. Une loi de 1980 protège la recherche d'éléments en France pour faire des procès anti-trusts aux États-Unis, et nous pouvons utiliser de telles législations.
L'accord transatlantique sera-t-il soumis au Congrès américain ? Si tel n'était pas le cas, il ne s'appliquerait pas aux États fédérés.
Les accords avec le Pérou et la Colombie seraient appliqués de manière provisoire ! Depuis quand des traités internationaux peuvent-ils entrer en vigueur sans que le Parlement les ait ratifiés ? Le Conseil d'État a déjà formulé des remarques acerbes à ce sujet.
Ces négociations montrent les limites du système de l'Union européenne dans lequel beaucoup trop d'acteurs interviennent. Le maréchal Foch avait résumé cette situation en affirmant que, depuis qu'il avait commandé une coalition, il admirait beaucoup moins Napoléon.
En France, les indications géographiques protégées et divers labels définissent la qualité de la viande de boeuf, mais les États-Unis ont adopté une autre approche. Cette différence soulève des inquiétudes pour la structuration de l'espace rural et des zones défavorisées, qui vivent de la possibilité de vendre leur production à un prix plus élevé que les prix pratiqués outre Atlantique. Je souhaitais donc vous alerter, madame la secrétaire d'État, sur cette particularité de la viande bovine.
Nous rencontrons des problèmes avec les États-Unis au sujet de la gouvernance d'internet et de la protection des données personnelles : ces négociations ne constituent-elles pas l'occasion d'édicter des règles communes entre des pays qui partagent des valeurs communes ? En effet, une gouvernance mondiale s'avérera plus délicate à réformer compte tenu de l'action de certains États visant à réduire la liberté et la transparence du fonctionnement d'internet. Nous devrions profiter de ce moment où les États-Unis se trouvent affaiblis dans ce domaine depuis la révélation de l'existence de leur système d' écoute, le PDG de Facebook ayant même déclaré que le gouvernement américain était « une menace pour internet ».
Au moment de la discussion sur le mandat de négociation, j'avais présenté une résolution dans laquelle je dressais une liste des points durs, parmi lesquels le cabotage maritime, l'application de l'accord aux États fédérés, les indications géographiques, le mécanisme de règlement des différends et les services financiers. J'avais raison de pointer ces sujets pour lesquels la négociation se révèle délicate.
Hier, lors de la réunion du comité de suivi stratégique de la négociation, plusieurs parlementaires vous ont interrogée, madame la secrétaire d'État, sur la question de l'extraterritorialité. L'actualité de BNP Paribas et la réaction du président Obama ne peuvent pas nous laisser sans réaction, car d'autres banques européennes subissent la même situation. Étant donné l'importance de ce sujet, on ne peut poursuivre des négociations aussi asymétriques, les États-Unis parlant d'une seule voix quand chacun des pays européens applique sa propre stratégie en fonction de la situation de ses banques. L' Union européenne n'est pas assez musclée face aux Américains, le raid sur Alstom en apporte une nouvelle preuve. Tous ces sujets sont liés, et il nous faut définir une stratégie et une méthode.
Des parlementaires américains républicains et démocrates m'ont dit que leur priorité résidait dans la conclusion de l'accord transpacifique bien plus que dans celle de l' accord transatlantique. Barack Obama a récemment réalisé une tournée dans des pays d'Asie du Pacifique, mais aucune information sur l'état d'avancée de cette négociation n'a filtré. En avez-vous, madame la secrétaire d'État ? Quel impact aura-t-elle sur les discussions transatlantiques ? Quel impact nos pourparlers avec les États-Unis ont-ils sur notre relation avec la Chine, notamment sur la discussion d'un accord d'investissement avec ce pays, qui a très mal pris l'ouverture de la négociation d'un accord transpacifique ?
Les vingt-huit pays de l'Union européenne ont signé le mandat de négociation qui fixe les points de vigilance partagés par l'ensemble des États membres. Néanmoins, il est vrai que les intérêts offensifs et défensifs peuvent diverger d'un pays à l'autre. Ainsi, nous avons des intérêts défensifs sur l'agriculture que nous partageons parfois avec la Pologne. De même, nous ne partageons pas les lignes rouges de l' Allemagne pour certains secteurs industriels. Le mandat de la négociation confié à la Commission comprend les lignes rouges de l'ensemble des États membres.
Il est possible de prévoir un canal d'information des collectivités territoriales similaire à celui que j'ai mis en place pour les organisations non gouvernementales et la société civile, et vous pouvez vous faire l'écho de nos discussions dans vos circonscriptions.
Les États-Unis ont bien entendu des points de vigilance et des lignes rouges. Ils sont par exemple réticents à l'idée d'imposer l'ouverture des marchés publics des États fédérés, ils défendent certaines positions de leur agriculture ou des tarifs dans des secteurs comme le textile – les droits de douane s'élevant à 30 % en moyenne pour le textile et à 37 % pour la maroquinerie et les chaussures.
Les négociations sont en effet menées par le commissaire européen chargé du commerce et non par les ministres du commerce extérieur des États membres, ce qui répond au principe d'un accord bilatéral entre l'Union européenne et les États-Unis ! Il ne s'agit pas d'un traité entre la France et les États-Unis.
Le mandat de négociation comporte un chapitre sur le ferroviaire et un sur l'énergie, ces domaines relevant de la compétence des États membres. L'accord sera donc mixte, sauf si aucune disposition touchant à ces matières ne figure dans l'accord final. Cela serait étonnant étant donné l'importance accordée à ces sujets. Le mécanisme de règlement des différends induit également la mixité des compétences.
Je mets les informations portées à ma connaissance à la disposition de la commission des affaires européennes par le biais d'une transmission cryptée et sécurisée. Chaque membre de l'Assemblée peut demander à la commission de connaître ces informations en respectant l'exigence de confidentialité qui s'impose à lui.
Madame la secrétaire d'État, la commission des affaires étrangères doit être également destinataire de ces informations, car elle est compétente pour la ratification de tous les traités. Je vais donc saisir le SGAE en ce sens.
Je soutiendrai votre demande, madame la présidente. Les comptes rendus des sessions de négociation vous seront communiqués dans ce cadre, même si nous n'avons aucun argument à opposer à ceux qui les considéreront fallacieux et malhonnêtes par nature.
Le Buy American Act constitue évidemment un obstacle à la conclusion d'un accord équilibré, puisqu'il empêche la réciprocité dans l'accès aux marchés publics. Nous souhaitons donc démanteler ce type de dispositif, mais ne pas créer de notre côté des systèmes qui rendraient les échanges plus difficiles. Nous aurons cette discussion au moment de la ratification de l'accord pour en dresser le bilan, mais il serait paradoxal d'entrer dans une négociation de libre-échange en affirmant que nous allons renforcer les barrières protectionnistes. Accordons une chance à la négociation pour obtenir des Américains des concessions visant à ouvrir davantage les marchés publics ; en cas d'échec, nous pourrons alors nous pencher sur nos propres dispositifs en faisant le constat de la plus grande ouverture de nos marchés.
Le débat sur l'extraterritorialité de la loi américaine remonte au vote des lois Helms-Burton et d'Amato-Kennedy en 1996. La Commission européenne et la France ont toujours affirmé leur opposition à l'application extraterritoriale des lois américaines. Il est vrai que se développe aujourd'hui une diplomatie de l'influence du droit. Dans cette bataille, l'Europe est plus faible, car le système juridique américain a pris une place dominante dans les modes de régulation du commerce international et des relations entre les entreprises et les États. Les applications extraterritoriales de la loi américaine dépassent de beaucoup celles de la législation européenne. Ainsi, on éprouve de grandes difficultés à faire reconnaître et appliquer des décisions de justice en matière de protection des données personnelles à des entreprises dont le siège n'est pas situé en France, mais qui opèrent dans notre pays.
Je ne suis pas persuadée que ce soit au commissaire De Gucht de faire valoir cette question dans le cadre des négociations du traité de libre-échange. Il s'agit en effet d'une préoccupation politique que doit défendre le Conseil des chefs d'État et de gouvernement. Une initiative de la Commission et du Conseil serait opportune, car l'Union européenne doit répondre à ce qui va bien au-delà du soft power, et commencer par faire respecter sa législation en Europe. Toutefois, demander une pause le temps de régler la question donnerait à croire que l'Union européenne a plus à perdre qu'à gagner dans cette négociation, d'autant plus que la pause ne pourrait que se prolonger en raison des échéances électorales américaines et de la négociation du partenariat transpacifique.
Même si les pays de l'Union européenne ont souvent tendance à conduire des stratégies assises sur leur seul intérêt national, le fait que plusieurs banques européennes appartenant à différents pays risquent de connaître le même sort que BNP Paribas – qui a été sanctionnée pour des opérations qui n'ont pas été effectuées aux États-Unis et qui n'impliquaient pas d'entreprise américaine, mais qui étaient libellées en dollars, ce seul élément la faisant entrer dans le champ de la loi américaine – devrait conduire l'Union européenne à lancer une initiative pour apporter une réponse coordonnée. Si des comportements délictueux sont mis au jour, il est normal qu'ils soient sanctionnés, mais que la première banque européenne soit condamnée à verser des pénalités financières qui paraissent disproportionnées au regard de la jurisprudence, que d'autres banques risquent de l'être ensuite, voilà qui devrait inciter l'Union européenne à agir pour éviter un risque systémique.
C'est ici l'existence d'une base juridique internationale pour une telle sanction qui est en cause. On peut, sur le fondement d'un accord international, nous punir d'investir en Iran. Mais, dans le cas cubain, nous ne sommes pas d'accord avec les Américains sur la question de l'embargo. Ils veulent briser une banque européenne à coups de batte de base-ball parce qu'elle utilise le dollar : il convient que nous répondions par une initiative politique, en refusant de continuer la négociation comme si de rien n'était.
On peut répondre par une initiative politique, mais l'arrêt des négociations sur le partenariat transatlantique ne constitue pas une bonne méthode d'action. En outre, je milite depuis longtemps pour que l'Union européenne adopte une position commune sur la fiscalité des multinationales qui ne paient pas d'impôt sur les sociétés en Europe, mais n'en acquittent pas davantage aux États-Unis puisque tous leurs profits sont transférés dans des paradis fiscaux. Nous devons nous saisir de ces questions avec nos partenaires européens et évoquer sans attendre ces sujets dans une enceinte comme l'OCDE. En revanche, il serait inopportun de suspendre les négociations transatlantiques.
J'espère pouvoir bientôt vous transmettre les comptes rendus des sessions de négociation que nous adresse la Commission. On ne peut, a priori, douter de la fiabilité de ces documents, dont la lecture s'avère éclairante, quoique laborieuse, et qui reflètent bien la teneur des discussions.
Les marchés publics de défense ont été exclus, comme dans tous les accords de libre-échange que nous négocions.
La saisine du Congrès américain dépendra de la capacité du président Obama à obtenir la Trade Promotion Authority ou fast-track dont il a besoin pour négocier le partenariat.
L'application transitoire des accords avec la Colombie et le Pérou correspond à un dispositif classique où les mesures relevant de la compétence de l'Union européenne entrent en vigueur sans attendre que les parlements nationaux ratifient les dispositions liées aux compétences des États membres.
J'entends votre alerte sur la particularité du secteur de la viande bovine en France, monsieur Bleunven. Actuellement, nous ne pouvons pas exporter de boeuf aux États-Unis à cause de l'encéphalopathie spongiforme bovine, et le mandat de négociation range cette filière dans la catégorie des secteurs sensibles.
Le partenariat transatlantique ne constitue pas la bonne enceinte pour débattre de la gouvernance d'internet, puisque des pays importants pour cette matière, comme le Brésil, n'appartiennent pas à la région de l'Atlantique nord. En outre, les organisations non gouvernementales et les entreprises, très concernées par ce sujet, ne sont pas associées aux négociations commerciales. En revanche, la commissaire Viviane Reding étudie la question du transfert de données personnelles dans les pays ne disposant pas des mêmes normes de protection que l'Europe – et c'est le cas des États-Unis où il n'existe pas d'équivalent de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) – et a mis à l'étude un règlement et une directive en matière de fichiers souverains et de réglementation des données personnelles. En outre, on a amorcé une renégociation du traité Safe Harbor qui lie l'Union européenne aux États-Unis pour le transfert des données et qui a montré toutes ses insuffisances. La France défend une remise à plat exhaustive du régime de transfert des données personnelles de l'Union européenne vers les États-Unis, car il s'agit d'un enjeu économique majeur qui compte pour beaucoup dans la puissance des entreprises multinationales qui ne paient pas d'impôt sur les sociétés en Europe.
Les lignes rouges sur le cabotage maritime, le domaine aérien, les indications géographiques, le règlement des différends entre les investisseurs et les États, l'accès aux marchés publics des États fédérés constituent des points durs de la négociation : si nous n'obtenons pas satisfaction sur ces questions, le texte ne sera pas un bon traité. Les lignes aériennes et de navigation fluviale intérieures aux États-Unis restent fermées aux opérateurs européens, alors qu'elles sont ouvertes en Europe aux entreprises américaines.
Il faut adopter une stratégie concertée afin de développer une diplomatie juridique visant à contester le monopole de régulation du législateur américain, à contrer l'influence du droit anglo-saxon et à promouvoir le droit d'inspiration romaine. De même, le mécanisme de règlement des différends pourrait également aider les entreprises européennes ; avec un tel système, BNP Paribas aurait pu faire appel à un arbitrage indépendant plutôt que d'être confrontée au grand jury américain, peu enclin à protéger les intérêts des entreprises étrangères.
Nos interlocuteurs américains utilisent le partenariat transpacifique comme levier de négociation vis-à-vis de l'Union européenne, en affirmant que, si le partenariat transatlantique n'était pas signé, les échanges commerciaux américains se tourneraient encore davantage vers l'Asie. La Chine cherche à renforcer son statut de puissance commerciale et diplomatique ; pour ce faire, elle accroît sa présence en Europe et en Afrique et noue un dialogue stratégique commercial avec l'Union européenne, afin de ne pas se lier dans quelque relation exclusive que ce soit.
Madame la secrétaire d'État, le problème de l'extraterritorialité ne renvoie pas à la prééminence du droit anglo-saxon, mais aux conflits de juridiction en souveraineté. C'est le droit international qui règle cette question et c'est sur lui qu'il convient de s'appuyer. Nous faisons face à un conflit de juridiction, les Américains souhaitant établir leur juridiction dans des domaines non reconnus par le droit international. Une transaction en dollars ne suffit pas à établir un chef de compétence, et un tel conflit se règle par l'arbitrage interétatique sur le fondement de l'article 2 de la charte des Nations Unies proclamant l'égalité et la souveraineté des États. Vous devez tenir cette position ferme si vous ne voulez pas vous condamner à l'impuissance.
Des questions de droit international public se posent en effet, mais la justice américaine considère qu'une transaction en dollars compensée par une structure située dans l'État de New York entre dans le champ du droit américain. Il est possible de contester cette interprétation, mais il convient de privilégier une stratégie européenne.
Vous n'y arriverez jamais à vingt-huit États membres ! C'est à la Cour internationale de justice de trancher cette question. Il ne faut pas se coucher devant les Américains !
Personne ne se couche, monsieur Myard, mais il convient d'apprécier la balance des avantages et des inconvénients dans cette négociation. Nous mènerons cette évaluation de l'accord une fois qu'il sera conclu et que nous aurons à nous prononcer sur sa ratification.
Madame la secrétaire d'État, le commissaire européen Karel De Gucht ne peut pas se réfugier derrière la limitation de sa compétence aux seules questions commerciales pour nous empêcher de soulever au sein de l'Union européenne ce problème politique d'extraterritorialité. D'ailleurs, la Haute Représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité est censée suivre l'ensemble des relations économiques extérieures et ce sujet doit être mis sur la table du Conseil européen. Peut-être pourrions-nous en outre introduire des procédures bilatérales, mais il est évident que cela touche à l'ensemble des relations politiques de l'Union européenne avec les États-Unis.
Madame la secrétaire d'État, je respecte vos compétences, mais, pour un sujet aussi politique, le ministre de tutelle, M. Fabius et le chef de l' État – moqué par le président Obama affirmant que le cas de BNP Paribas n'était pas politique, mais relevait uniquement de la justice américaine – doivent s'engager. Le procureur de l'État de New York a probablement fait son travail, mais la sanction est totalement disproportionnée et soulève un problème général de rouleau compresseur diplomatique, juridique et commercial américain dont le but est d'asseoir la domination des États-Unis sur ses partenaires étrangers. Il faut interrompre la négociation pour que le Conseil pose aux Américains la question politique de leur volonté de fonder un partenariat égalitaire. BNP Paribas ne constitue pas un cas isolé, car d'autres banques européennes seront concernées ; or les banques assurent le financement de l'économie européenne, alors que les Américains utilisent l'épargne placée dans les fonds de pension. Les normes réglementaires concernant les fonds de pension sont élaborées par les Américains, si bien que la disparition des banques européennes – qui ne seront pas remplacées par les fonds de pension puisque nous n'y avons pas accès – mettra le financement de l'économie européenne en grand danger. Comment accepter une négociation commerciale excluant le secteur financier ? Il ne s'agit pas, comme vous le suggérez, d'un simple problème technique !
Je n'ai pas dit que c'était un problème technique ! Au contraire, j'ai expliqué que, puisqu'il s'agissait d'un problème politique, il fallait que soit prise une initiative au sein du Conseil européen. Le président de la République et le ministre des affaires étrangères et du développement international se sont déjà exprimés sur la question en la plaçant à un niveau politique. Parallèlement, BNP Paribas négocie avec la justice américaine.
Lorsque vous étiez ministre du commerce extérieur, monsieur Lellouche, vous ne vous êtes pas offusqué des lois Helms-Burton et d'Amato-Kennedy, et vous n'avez entrepris aucune initiative sur ce sujet !
Lorsque j'exerçais vos fonctions, le président Obama ne voulait pas lancer de négociation pour la signature d'un partenariat transatlantique. En revanche, nous avons dû traiter un cas d'accès aux marchés publics canadiens, et j'ai mis la question de la réciprocité à l'agenda du Conseil européen, car la Commission européenne s'interdisait de mobiliser une telle clause, pourtant prévue par l'Organisation mondiale du commerce. Je suis bien aise que vous ayez repris ce terme de réciprocité, mais il faut maintenant le faire appliquer. Je n'ai pas eu à affronter les Américains sur cette question, à l'exception du cas de Havana Club, entreprise française expropriée sur le fondement de l'application d'une loi américaine. De même, si General Electric acquiert Alstom, l'entreprise française ne pourra plus entretenir ses centrales à Cuba dès la phase de négociation dans laquelle nous nous trouvons.
Le mandat de négociation contient la demande d'accès réciproque aux marchés publics, cette requête étant une condition sine qua non à la conclusion de l'accord.
Quant à Havana Club, j'ai rencontré leurs représentants à Cuba et je n'ai pas eu l'impression que leur problème ait été réglé.
Nous aurons l'occasion d'interroger Laurent Fabius, puisque le sujet de l'extraterritorialité entre dans les compétences du Conseil des ministres des affaires étrangères et qu'il sera même peut-être traité par le Conseil européen. Le cloisonnement fâcheux des compétences à l'intérieur de la Commission ne doit pas nous interdire de soulever un tel problème, d'autant plus que cette séparation artificielle ne se retrouve pas au sein du Gouvernement français.
Je tiens à remercier Mme la secrétaire d'État pour la précision de ses réponses, pour sa disponibilité et pour sa compétence.
Madame la secrétaire d'État, je vous remercie à mon tour d'avoir répondu à nos questions. Nous aurons l'occasion de travailler à nouveau ensemble, car le traitement de ces questions sera long et difficile.
La séance est levée à 18 h 45